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Quand la Cinémathèque française se jette à l’eau

La technique du 3D Mapping a transformé, durant une dizaine de minutes, la façade de la Cinémathèque française en bassin olympique.

Jeudi 23 juin, 23 heures à Paris. La façade de la Cinémathèque française est envahie par les eaux. Sur les arêtes saillantes et les formes arrondies, l’eau ruisselle, emplit l’espace. Le champion olympique de natation, Alain Bernard, entame quelques longueurs. Suivent des visions psychédéliques qui placent le spectateur dans la tête du nageur au moment de la victoire.La musique électro du groupe Birdy Nam Nam renforce le pouvoir hypnotique des images. Ce voyage émotionnel et aquatique est rendu possible grâce à la technique appelée 3D Mapping, un “ système de vidéoprojection sur surface non conventionnelle ”, comme le définit Nicolas Manichon, le responsable d’opérations d’ETC London Paris, la société chargée de la projection. Les 600 m2 de la façade constituée de surfaces courbes, planes et anguleuses, deviennent un gigantesque écran de cinéma : six puissants vidéoprojecteurs les couvrent d’images. Malgré la structure complexe du bâtiment, on ne constate aucune déformation. Une prouesse due à un logiciel maison, OnlyView, et aux six serveurs informatiques qui pilotent les projecteurs.L’informatique autorise bien des audaces : déstructurer les volumes, immerger l’édifice, animer la façade avec l’illusion du relief. L’agence de communication Tokyo, à l’origine de l’événement, a convaincu l’équipementier sportif Arena d’investir dans un tel projet plutôt que dans une traditionnelle campagne d’affichage. Neuf mois de travail pour dix minutes de plongée hors du commun, à admirer à cette adresse www.youtube.com/watch?v=_67u23MMnA0.

L’informatique aux commandes du spectacle

Un PC “ maître ” avec Windows XP, muni de 3 Go de mémoire vive et d’une carte graphique dernier cri, pilote les six serveurs informatiques qui commandent les six vidéoprojecteurs. Un réseau local Ethernet Gigabit permet à toutes ces machines de communiquer entre elles. Chaque serveur est équipé de disques durs en Raid pour éviter toute défaillance. “ Les cartes graphiques surpuissantes, développées pour les jeux vidéo, font évoluer les techniques de projection ”, explique Nicolas Manichon, le responsable d’opérations d’ETC London Paris. Pour donner vie au film, le technicien François Rocchetti utilise le logiciel OnlyView, développé en interne chez ETC. Comme un logiciel de montage vidéo, il comporte des outils pour corriger les déformations liées à la surface de projection.

Six écrans sur une façade

Initialement, trois monuments étaient présélectionnés pour la projection, dont la Bibliothèque François Mitterrand. C’est finalement la Cinémathèque, dans le quartier de Bercy (à Paris), qui sera retenue parce qu’elle se prête mieux au projet. Sa façade est découpée en six zones. Six “ écrans ” qui doivent parfois interagir entre eux sans jamais se masquer, ni perturber la lisibilité du film. Une fois le bâtiment photographié sous toutes les coutures, sa façade est scannée par laser. Le résultat sert ensuite à créer un modèle numérique en volume de l’édifice à l’aide du logiciel 3DS Max.Ce dernier permet de positionner les projecteurs. Les six points de vue virtuels sont transmis à SuperBien, l’agence qui réalise le film, ou plus exactement les six films, un pour chaque projecteur. Le logiciel After Effects d’Adobe sert à ajouter les effets spéciaux.

Pleine lumière

Les six imposants vidéoprojecteurs DLP sont pointés en direction de la zone de projection qui leur a été assignée lors du découpage de la façade. Chaque machine est équipée d’une ampoule au xénon d’une puissance de 3 000 watts. L’intensité lumineuse varie de 18 000 à 25 000 lumens par appareil. A titre de comparaison, une lampe halogène domestique de 125 watts dégage 2 500 lumens. Les couleurs et les contrastes sont d’autant plus éclatants que la projection est réalisée dans l’obscurité complète. La position des projecteurs est étudiée de façon à ce qu’aucune source de lumière ne crée d’ombre portée sur une des six surfaces qui servent d’écran. Le placement des machines se fait au millimètre. Sur le réseau informatique mis en place pour l’occasion, chaque projecteur possède une adresse IP, mais pour relier chacun au bon serveur sans erreur, les techniciens recourent à la bonne vielle méthode du papier et du crayon.

Déformation sous contrôle

La veille de la projection, l’équipe technique met en place les vidéoprojecteurs. Par rapport à la simulation numérique dans 3DS Max, la réalité apporte son lot de variations. A l’aide du logiciel OnlyView, François Rocchetti projette une mire en forme de quadrillage sur la façade de la Cinémathèque. Il s’agit pour l’opérateur d’ajuster la position des projecteurs. Il faut faire en sorte que les droites restent parallèles, vérifier que les effets de perspective et les proportions sont respectés, afin que le film projeté ne soit ni tronqué, ni déformé. Le logiciel OnlyView offre une grille de déformation à points multiples : l’opérateur commence par placer quatre points, puis en rajoute au fur et à mesure pour coller au plus près aux volumes de la Cinémathèque.

Couleurs et contraste

Bien que tous les projecteurs soient identiques et aient été révisés en même temps, leur rendu est toujours un peu différent. Les techniciens veillent à les équiper de lampes ayant toutes la même durée de service et contrôlent l’intensité lumineuse qu’elles délivrent. Il faut régler les niveaux de blanc, de gris et de noir, puis les couleurs, une par une. Un travail méticuleux qui exige beaucoup d’expérience et un œil affûté. Sur la Cinémathèque, le travail s’avère d’autant plus difficile que la façade n’est pas homogène : elle comporte des parties blanches, d’autres grises et même des éléments en ardoise. A l’issue de cette phase, il ne reste plus qu’à caler la bande sonore, une formalité.

Dans l’eau jusqu’à la ligne d’arrivée

A 23 heures pile, la projection commence. L’eau ruisselle sur les différentes parties de la façade de la Cinémathèque pour former une énorme goutte qui semble engloutir, puis emplir le bâtiment, pour en faire un gigantesque aquarium. Tous les plans se suivent avec une grande fluidité, on passe d’une zone à l’autre de la façade sans sentir de décrochage et sans que l’image soit déformée ou paraisse étrange. Des conditions optimales pour faire passer le message de fin “ Rejoignez l’équipe Arena ”. Tous les visages des champions, Alain Bernard au premier plan, sont parfaitement restitués. La lumière revient. La façade de la Cinémathèque retrouve sa blancheur originelle tandis que le spectateur reste sous le charme de ce voyage aquatique.

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Cyril Valent