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Philosophie : sur Arte, les joueurs « ont des têtes d’abrutis »

Pour l’historien des lettres Colas Duflo, invité de l’émission Philosophie, les joueurs vivent dans l’isolement et souffrent d’addiction. Des propos bac + 8 en forme d’amalgame.

D’abord passée inaperçue à sa diffusion le vendredi 19 novembre, l’émission Philosophie d’Arte, animée par Raphaël Enthoven, a suscité une vive exaspération chez les joueurs depuis qu’un extrait a commencé à circuler ces derniers jours.

Dans cette séquence de cinq minutes dédiée aux jeux vidéo, le présentateur et son invité Colas Duflo, historien de la philosophie spécialisé dans le dix-huitième siècle, enchaînent les diatribes et les clichés sur le jeu vidéo : isolement, addiction, drogue et bêtise sont tour à tour évoqués à partir d’une simple photo – certes moyennement sexy – de joueurs en pleine partie en réseau.

« Ils ne communiquent pas entre eux, ils vivent dans une bulle », propose ainsi à la vue du cliché Raphaël Enthoven. « Oui, cette image est pathétique, ils ont des têtes d’abrutis, c’est terrifiant », renchérit Colas Duflo, auteur en 1997 de Le jeu, de Pascal à Schiller, dont le rapport direct au jeu vidéo ne paraît pas d’une clarté éblouissante.

L’invité de l’émission enchaîne les diatribes malheureuses, manifestant au passage une étonnante ignorance du sujet. « Ils ont l’air ensemble, mais chacun est dans une solitude absolue », dit-il ainsi à propos d’une LAN Party, une partie de jeu en réseau qui permet précisément de jouer en groupe et par équipe plutôt que seul.

L’addiction, « un thème dont on commence à parler »

A la fin d’une intervention confuse, Colas Duflo glisse tout de même qu’« on ne peut pas dire si les jeux sont bons ou mauvais. Mais ce spécialiste de Diderot enchaîne aussitôt avec la vieille question de l’addiction au jeu vidéo, un thème, dont on commence à parler », et tant pis s’il date en vérité d’il y a plus de vingt ans. Et de faire un parallèle avec d’autres « addictions sans drogue », le casino et les échecs.

Le passage le plus constructif, malheureusement tout juste esquissé, concerne la construction d’un monde virtuel à travers des règles artificielles fondamentales. Ce que Colas Duflo définit comme la « légalité ludique », et que les joueurs connaissent en partie, et de manière plus pragmatique, à travers les notions un peu passe-partout de gameplay, (les règles et le contrôle d’un jeu) et de gamedesign (l’art de la conception d’un jeu vidéo et ses règles).

L’émission retombe aussitôt dans les comparaisons malheureuses : « le jeu d’échecs produit un monde d’une beaucoup plus grande richesse ludique que ces jeux vidéo qui vont s’épuiser en huit heures », tranche l’invité de Raphaël Enthoven, confondant cette fois les possibilités combinatoires avec la longueur d’une aventure.
Le football serait-il plus riche si les matchs duraient 150 minutes ? Accessoirement, oublie de noter Colas Duflo, les jeux d’échecs sont, en droit, des jeux vidéo. Les premiers jeux d’échecs électroniques se sont d’ailleurs développés en même temps que la micro-informatique, dans une même passion commune pour la technologie et le jeu, dont Tetris sera l’une des meilleures synthèses.

Arte publie une parodie de l’extrait

L’extrait a donné lieu à une parodie croustillante, où l’autisme et l’isolement des gamers sont retournés aux universitaires. Arte.tv a décidé de relayer cette contre-vidéo sur son site Web. « L’émission sur les jeux vidéo avait suscité de nombreux commentaires, reconnaît la chaîne. Un internaute a même concocté une riposte drôle et intelligente. Comme on est beau joueur, nous avons décidé de diffuser ce “droit de réponse” en leur disant “bien joué”. »

Si l’on peut saluer l’élégante réaction d’Arte, il reste dommage qu’une émission de vulgarisation philosophique en soit encore réduite à rabâcher les clichés les plus éculés et les plus mal renseignés. Terriblement dommage qu’à l’heure où un chercheur en études cinématographiques, Alexis Blanchet, montre tout ce que l’on peut écrire et raconter de passionnant sur l’histoire culturelle des jeux électroniques, deux représentants de la philosophie fassent preuve d’aussi peu d’ouverture d’esprit. Outrageusement dommage, alors que l’animateur Jean Zeid, diplômé de philosophie, tient désormais une émission hebdomadaire consacrée aux jeux sur France Info, qu’un tel programme s’égare.
Cela fait une mauvaise publicité au jeu vidéo ainsi qu’à la philosophie. Mais dans cet extrait de l’émission, les deux étaient absents.

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William Audureau