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Neige sous haute surveillance

En 2010, les avalanches ont causé la mort de 41 personnes, skieurs et randonneurs. Pendant l’hiver, grâce à un réseau de surveillance et à un équipement informatique pointu, Météo France édite chaque jour un bulletin prévisionnel des risques d’avalanche.

Un grillage de plastique orange délimite l’endroit comme s’il s’agissait d’une scène de crime. Une trentaine de mètres carrés de neige derrière une cabane en bois, au pied des pistes de la station de l’Alpe d’Huez (Isère), à 1 800 mètres d’altitude. “ Attention à ne pas marcher n’importe où ! ”, tance le pisteur-secouriste Maxime Brenckle, à l’intention du photographe trop hardi. Une tranchée creusée par les passages successifs indique le chemin, préservant de part et d’autre la virginité de la neige. Maxime, prêt à tout abandonner à la moindre alerte émanant de son talkie-walkie, suit scrupuleusement le protocole. Ouvre le cadenas d’un abri ventilé, y relève le taux d’humidité, les températures minimales et maximales de l’air dans la nuit, la température actuelle. Mesure la vitesse du vent. Observe, “ c’est le plus délicat ”, la nébulosité du ciel. Forme des nuages, altitude, étendue de la couverture nuageuse, le pisteur note tout au fur et à mesure. Puis il interroge le principal suspect, la neige. Evalue sa résistance à l’enfoncement, à l’aide d’une sonde équipée d’un poids qu’on laisse tomber. S’agenouille, tire un “ carottier ” de sa poche, un tube de plastique aux dimensions ajustées. Extrait, grâce à lui, un cylindre de neige, le pèse afin de déterminer sa densité. Examine ensuite un échantillon de neige à la loupe pour identifier le type de grain. La nomenclature en distingue une dizaine, de la caractéristique étoile, signe de neige fraîche, aux “ gobelets ”, grains anguleux qui n’adhèrent plus les uns aux autres. Le givre de surface, frais du matin, présente des arêtes bien marquées. Le pisteur vérifie enfin le pluviomètre et la hauteur de neige tombée depuis la veille. Le tout a pris moins de 10 minutes.

De la mesure…

De telles mesures sont réalisées deux fois par jour, vers 8 h et 13 h, dans 150 postes d’observation. Répartis dans les Alpes, les Pyrénées et la Corse, essentiellement dans des stations de ski, ils composent l’un des maillons du réseau français de prévision du risque des avalanches. Une fois par semaine, en plus des relevés quotidiens, les observateurs creusent un trou jusqu’au sol (celui-ci peut atteindre 2 m à 2,5 m de profondeur en fin de saison) et détaillent l’empilement des couches de neige. Leur succession, leur épaisseur et leur type de grains dessinent ainsi des “ profils ”, plus ou moins dangereux en fonction des changements météorologiques. Les informations recueillies, digérées par des logiciels de simulation, vérifiées et interprétées par des nivologues (des météorologistes spécialistes de la neige), servent à Météo France à estimer le risque d’avalanche sur 36 massifs montagneux, couvrant 13 départements plus l’Andorre. “ Comme souvent pour ce genre de dispositif, tout part d’une catastrophe ”, rappelle Jean-Louis Dumas, adjoint au chef du Centre d’études de la neige (CEN). Le 10 février 1970, une avalanche emporta le centre de loisirs UCPA de Val-d’Isère. Bilan : 39 jeunes ensevelis, et presque autant de blessés.Le même hiver, plusieurs catastrophes s’enchaînèrent et obligèrent les autorités à organiser la surveillance du manteau neigeux, mission qui échut à Météo France. De retour dans les locaux du service des pistes, Maxime saisit sur ordinateur ses résultats. Il utilise le logiciel Geniliv, mis au point par le CEN. Le laboratoire de recherche, situé à Grenoble, dépend de Météo France. Il a pour mission de développer et d’améliorer les outils de prévision du risque d’avalanche, qu’il s’agisse des logiciels ou du matériel. Le pisteur a fini : les informations sont transférées par mail ou protocole FTP au centre Météo France de Toulouse. Malgré l’informatique, Maxime n’hésite pas à téléphoner pour partager de vive voix ses impressions avec le nivologue départemental. “ On ne peut pas tout dire avec un formulaire électronique ”, explique-t-il.

… au calcul des risques

Direction le centre départemental météorologique, en l’occurrence celui de l’Isère, à Grenoble. Le nivologue, aujourd’hui, s’appelle Jean-François Myon. Là aussi, malgré l’apport de l’informatique, les murs s’ornent de graphiques imprimées, les profils des manteaux neigeux des stations. “ L’habitude, se justifie le prévisionniste, et aussi parce que ça permet d’avoir une vue globale, même si nos écrans le permettent ”. Il prend connaissance des données météo et de l’état de la neige, mises à disposition sur le réseau informatique interne de Météo France. Parmi elles, les mesures de Maxime, mais aussi les photos satellites. Sur l’écran du nivologue, les logiciels de simulation calculent le risque d’avalanche. Chaque massif apparaît sous la forme d’un cône vu de dessus. Il est découpé en tranches de 300 mètres d’altitude, selon six expositions et deux niveaux de pente. Les couleurs des secteurs varient en fonction du niveau de risque.Derrière cette image, a priori simple, trois logiciels sont à l’œuvre. Safran calcule les prévisions météo (la température de l’air, le vent, l’humidité, les précipitations, le rayonnement solaire), heure par heure, massif par massif. Le deuxième, Crocus, simule l’évolution du manteau neigeux en fonction des prévisions de Safran. Mepra, pour finir, analyse la stabilité du manteau neigeux et livre les cartes colorées. En fin de course, le nivologue valide les résultats et rédige le bulletin de prévision des avalanches. Lequel est disponible chaque jour à 16 heures sur le site de Météo France.Les logiciels de simulation sont-ils efficaces ? “ Les transformations de la neige dans le manteau sont bien anticipées, témoigne Jean-François Myon. En revanche, les effets du vent sont mal modélisés. ” Un sujet sur lequel planche le CEN. Le vent, capable de transporter de grandes quantités de neige, peut modifier la couche supérieure du manteau neigeux. Laquelle devient plus résistante et plus lourde que les couches inférieures, ce qui augmente les risques d’avalanche. Un piège pour les randonneurs et les skieurs. Car malgré toute cette technologie à leur service, le risque zéro n’existe pas !

Flocons potentiellement meurtriers

Ce sont l’empilement des couches de neige au fur et à mesure des précipitations, et leur évolution en fonction de la météo, qui déterminent le risque d’avalanche. La température, le type de grain, la densité de la neige sont des mesures importantes qui vont alimenter les logiciels de simulation.

Des mesures deux fois par jour

Le réseau de prévision du risque d’avalanche s’appuie sur des mesures sur le terrain. Durant la saison de ski, deux fois par jour sont effectués des relevés météorologiques (température de l’air, taux d’humidité…) et nivologiques (température de la neige, densité, aspect des grains…), dans 150 postes des Alpes, des Pyrénées et de la Corse, surtout des stations de ski.

Transmission au réseau Météo France

Maxime Brenckle, pisteur-secouriste à la station de l’Alpe d’Huez, transmet ses observations grâce au logiciel Geliniv. En complément, le pisteur n’hésite pas à téléphoner pour partager ses impressions.

Stations automatiques

A haute altitude, 25 stations automatiques prennent le relais. Bardées de capteurs, alimentées par panneaux solaires, elles sont conçues pour résister au givre et avoir une grande autonomie électrique. Elles transmettent, chaque heure, leurs mesures (hauteur de la neige, température et taux d’humidité de l’air, vitesse et direction du vent) via le satellite Meteosat.

Simulation numérique

Jean-François Myon, nivologue du centre météorologique de l’Isère, s’appuie sur des simulations logicielles pour établir ses prévisions. Les logiciels, développés et mis continuellement à jour par le Centre d’études de la neige de Météo France, calculent l’évolution de l’empilement des couches de neige en fonction des changements météorologiques. Les prévisions sont faites à l’échelle des massifs.

Flocons en flacons

Le Centre d’études de la neige, lequel développe les logiciels de simulation, a aussi une activité de recherche classique. Pour mener des expériences, outre deux sites en altitude, il dispose de deux chambres froides. Elles permettent, entre autres, d’étudier l’évolution des couches de neige en fonction de la température et de l’humidité, et de tester des capteurs en condition extrême. Lors de notre visite, les échantillons stockés attendaient d’être utilisés.

Purge préventive

Pour les stations de ski, le bulletin prévisionnel est un outil de travail. Il permet de déclencher, si nécessaire, les avalanches préventives. La station de l’Alpe d’Huez dispose de 93 canons automatiques, que l’on active à distance grâce à une console. “ La neige a tendance à s’entasser toujours aux mêmes endroits, les exploseurs sont installés de manière à purger les pentes ”, explique Jean-Marc Daultier, pisteur-artificier.

Secours électronique

La prévision ne suffit pas pour épargner les vies. Lorsqu’on skie ou que l’on fait une randonnée dans une zone non sécurisée, il est recommandé de partir avec un appareil de recherche des victimes d’avalanche, communément appelé Arva. Il s’agit d’un émetteur-récepteur radio à conserver à portée de main. Pour être efficace, l’Arva doit impérativement être accompagné d’une pelle et d’une sonde. Il existe aussi des réflecteurs passifs (qui ne requièrent pas d’alimentation électrique), moins onéreux, placés dans les chaussures et les vêtements (Recco).

Un risque calculé

Chaque jour, le bulletin prévisionnel du risque d’avalanche pour le lendemain est disponible à 16 heures sur le site de Météo France. Il est affiché dans les stations de ski et précise le niveau de risque d’avalanche hors des pistes balisées. Une information capitale reprise sur des panneaux au pied et au sommet des domaines skiables.

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Olivier Lapirot