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Le fisc tente de justifier le nouveau dispositif de collecte de masse de vos informations

Alors que l’article 57 du projet de loi finances voté par les députés interroge, le gouvernement défend coûte-que-coûte ce dispositif de collecte de masse pour le fisc. Au risque de sonner creux.

Des « milliards de données […] ne demandent qu’à être exploitées et croisées avec d’autres pour lutter contre la grande fraude fiscale » écrit Jérôme Fournel, à la tête de la Direction générale des finances publiques (DGFiP). Dans une tribune au Monde, il plaide pour l’article 57 du projet de loi de finances, déjà adopté par les députés, qui va maintenant être examiné par les sénateurs. Le texte permet l’expérimentation pendant trois ans d’outils de collecte de masse des données publiques sur les réseaux sociaux et les plates-formes collaboratives. 

Bercy, grand chalutier des données ? 

« Contrairement aux fausses informations qui ont circulé sur ce sujet, il s’agit de collecter les seules données mises en ligne publiquement et librement accessibles par tous », défend Jérôme Fournel. « Il n’est pas question pour l’administration fiscale de rentrer dans des publications protégées ou des données que chacun ou chacune souhaite garder pour soi ».

Bercy veut chaluter toutes les données disponibles sur toutes les plates-formes de vente, d’échange, de partage. Et dans cet océan de données, chercher les fraudes éventuelles définies telles que les « activités occultes, domiciliations fiscales frauduleuses, trafics illicites en ligne ». Le dispositif ne va concerner que ces infractions « graves » et non plus les infractions contraventionnelles, comme prévu à l’origine par le gouvernement.

Les Gafa, modèle de réussite pour le service public ?

« La démarche est donc beaucoup moins intrusive que l’utilisation qui est faite des données personnelles par les acteurs du numérique et les sites commerciaux, utilisation qui s’étend très au-delà des seules données publiées au vu et au su de tous », explicite-t-il.

Par ailleurs, la DGFiP brandit le retard technologique comme une épée de Damoclès sur le service public.

« Je suis certain que si les administrations – dont l’administration fiscale – ne sont pas autorisées à tester, à expérimenter, parfois à se tromper et à renoncer, alors elles resteront au bord des révolutions technologiques en cours ou à venir, et cela se fera au détriment de la qualité du service public ».

Malgré ces affirmations, plusieurs interrogations restent en suspens. D’abord les aspects technico-juridiques de la réalisation sont encore une fois encore renvoyés au futur décret du Conseil d’État. Ensuite, est-ce que le ministère de l’Économie et des Finances a les capacités techniques de ses ambitions ? Enfin, comment s’accommoder principe de proportionnalité consacré par le RGPD ?

Sécurité, prédictibilité, efficacité ? 

Pour l’instant, ce que l’on sait, c’est que le recours à une entreprise sous-traitante à été interdit par un amendement adopté le 2 novembre 2019. Mais aucune information n’a fuité encore sur les moyens techniques disponibles en interne à la fois à la DGFiP et aux douanes. 

« Il faut rappeler que ce type d’outil de recherche des fraudes au fisc existe déjà », explique Bastien Le Querrec, membre de l’association La Quadrature du Net, qui défend les libertés numériques. « Mais ce sont des humains qui font ce travail de manière beaucoup plus respectueuse».

Quid, aussi, des enjeux politiques de cet outil ? Si cette collecte est « beaucoup moins intrusive » que celle orchestrée par les Gafa, elle est beaucoup plus étendue et entraîne des conséquences collectives d’ordre structurel. Avec cette collecte de masse, on change de paradigme de surveillance : on passerait d’une recherche ciblée à une recherche indifférenciée. La Cnil a d’ailleurs émis des réserves sur ce dispositif

« Extinction de l’incendie »

Ce qui nous amène à nous interroger : L’existence des masses de données suffit-elle à justifier leur utilisation pour d’un contrôle tous azimuts ? Faut-il absolument que le service public rattrape le « retard technologique » sur les Gafa ? La surveillance administrative doit-elle primer sur les libertés numériques ? Des questions sans réponses qui, pourtant, feraient avancer le débat nécessaire sur l’utilisation par les pouvoirs publics des nouvelles technologies à leur disposition. 

« Avec ce dispositif, on franchit une nouvelle étape dans le principe de  suspicion de culpabilité », insiste Bastien Le Querrec. « Le gouvernement n’est même plus complexé d’employer les termes “en masse” concernant des dispositifs de surveillance. Cette tribune ressemble une tentative d’extinction de l’incendie. »

Source : Le Monde

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Marion Simon-Rainaud