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Digital Kaboul

Au cœur de la capitale afghane, le bazar de l’informatique déploie sa centaine d’échoppes sur cinq étages vétustes.

Les surprises ne manquent pas à Kaboul. Mais celle à laquelle j’ai été confronté lors de mon dernier voyage fut des plus piquantes. En quittant le grand marché pashtoune, je tombe sur un alignement de vendeurs amassés le long du trottoir ou installés à même le sol. Rien d’anormal jusqu’à ce que je découvre qu’ils vendent exclusivement du matériel électronique et informatique. La foule des camelots converge vers l’entrée d’un grand bâtiment aux murs bardés d’affiches publicitaires, où je m’engouffre aussitôt. Dès l’entrée, je suis saisi par les effluves de haschich que fument les nombreux porteurs en attendant de décharger les camions de livraison.À l’intérieur, la surprise est totale. Sur les cinq étages s’entassent des dizaines de petites échoppes dont les plus grandes n’excèdent pas 50 m2. Un souk high-tech en quelque sorte, où les PC portables côtoient les téléphones, les appareils photo ou les imprimantes et où, pour reprendre l’adage de Lavoisier, rien ne se perd, tout se transforme… Durant les heures passées ici (j’y reviendrai aussi le jour suivant en compagnie d’un interprète), je vais assister à quelques scènes aussi loufoques qu’improbables. Comme ce réparateur d’appareils photo qui utilise les pièces d’un compact Samsung pour réparer un Sony Cybershot ; ou ce gamin qui fouille dans une poubelle et en ressort tout sourires après y avoir déniché une carte mère fatiguée. Les commerçants m’accueillent chaleureusement, heureux de converser avec un étranger. Une constante chez les Afghans, naturellement accueillants. Ce sont eux qui vont m’expliquer la provenance de toutes ces marchandises.Le marché compte trois sources d’approvisionnement principales, dont une pour le moins officieuse. Légal : le matériel neuf et les commandes spécifiques sont expédiés depuis Dubaï par voie aérienne régulière ; les PC de bureau, presque exclusivement de marque Dell, arrivent par la route depuis le Pakistan dans les grands convois d’approvisionnement. Mais le marché est aussi un lieu de recel de matériel informatique volé à l’Otan… De quoi ajouter un peu de folklore à ce lieu déjà insolite !

Droits de douane

Hamza Khan a ouvert Bismillah (“ À la grâce de Dieu ”) Computer en 2002, juste après la chute du régime taliban. Les affaires sont florissantes jusqu’en 2008, mais l’intensification de la guérilla marque un coup d’arrêt à l’embellie. Ce Pashtoune s’est spécialisé dans la vente de portables et de périphériques, achetés légalement au Pakistan mais dont le prix varie en permanence: selon l’importance du “ droit de douane ” exercé par les insurgés mais aussi en raison des attaques régulières des bandits de grand chemin. Un prix proportionnel au risque pris par l’entreprise de transport !

Cent contrefaçons

La largeur de certaines boutiques n’excède pas celle du couloir attenant. dans celle-ci, qui ne mesure que 2 m2, s’entassent des centaines de logiciels pour PC, tous piratés bien évidemment. Les masters des copies proviennent de Chine. Vendre un logiciel consiste pour le commerçant à s’empresser de graver une copie et à la glisser dans une simple pochette à l’imprimé grossier. Le matériel n’échappe pas à la contrefaçon : dans la vitrine de Kahkashan computer, un superbe MacBook Air est vendu seulement 600 dollars…Stop! Il s’agit d’une copie chinoise, pour preuve le logo Windows XP collé sur le clavier. Et pas question de photographier ce surprenant exemple de contrefaçon, le commerçant le glisse sous le comptoir avec un sourire gêné. Drôle de scrupule !

L’art ultime de la récupération

C’est au dernier étage que s’entassent, le long des couloirs ou sur le sol des boutiques désaffectées, les composants électroniques hors d’usage: carte mère, câbles, restes de moniteurs informatiques ou magnétoscopes. Toute la journée, des gamins des rues fouillent dans ce capharnaüm à la recherche de pièces détachées. Ils remettront leurs trouvailles aux adultes de la famille, qui les vendront dans la rue pour une poignée d’afghanis. Seuls quelques magasins spécialisés dans la réparation des moniteurs cathodiques subsistent à cet étage.

Microchirurgie des appareils photo numériques

Tout est réparable ! Ici, la spécialité, c’est la photo numérique et la boutique ne désemplit pas. Les techniciens peuvent désosser intégralement un compact pour trouver la cause de la panne et y remédier. Pour cela, ils n’hésitent pas à utiliser des pièces détachées provenant d’un modèle différent, voire d’une autre marque. Je montre fièrement mon reflex Nikon D3 à un réparateur dans l’idée, assez stupide, de l’impressionner. Sa réaction me laisse sans voix. Non seulement il connaît parfaitement l’appareil mais, pensant que j’ai besoin de le faire réparer, il s’empresse de me proposer ses services.

Formation accélérée !

Premier étage, surprise. Un groupe de jeunes Afghans est en train de suivre un stage d’initiation à l’informatique, animé par le vendeur de la boutique. Installés à même le sol, ils apprennent en quelques heures à utiliser un ordinateur, le système d’exploitation et les principales fonctions des logiciels bureautiques.

Copie publique en tout genre

Sur le PC de ce gamin d’une douzaine d’années, une émission de variétés de la télévision égyptienne passe en boucle avec une plantureuse jeune femme qui danse en tenue légère. Pourquoi un tel entêtement ? Tout simplement pour graver les séquences vidéo sur les lecteurs MP3 ou les téléphones portables confiés par les clients. Le garçon fait aussi dans la contrebande de films et de musiques diverses.

Au rayon des PC tombés du camion…

Présenté par Rachid, le frère du gérant de la boutique Insaf Sedaquat (“ Juste et honnête ”, en dari, le persan afghan), voici le portable haut de gamme du moment, un HP DV7 vendu 650 dollars. derrière lui, l’amoncellement de tours Dell provient de vols commis sur les convois civils de marchandises destinées à l’Otan, en provenance du Pakistan. Le vendeur n’a même pas pris la peine d’ôter les plaques métalliques collées sur le côté des tours et qui indiquent US Army Property. Les machines sont vendues entre 70 et 100 dollars.

… et une batterie de camion pour recharger les portables !

de nombreux Afghans n’ont pas accès à l’électricité. Alors, pour recharger leur téléphone portable, ils se rendent dans ces “ cliniques ” qui fleurissent aux abords des marchés de Kaboul. Au programme, nettoyage du clavier et polissage de l’écran, mais surtout, recharge des batteries, à l’aide d’un appareillage astucieux: c’est une batterie de camion qui alimente celle des téléphones. Les ampoules électriques servent de résistance entre les deux, de manière à éviter la surcharge de la batterie du portable.

Kabul Dreams : du rock mixé sur PC

L’unique groupe de rock afghan se fournit lui aussi au marché informatique. Kabul Dreams fait de la pop anglaise et chante d’ailleurs dans la langue de Shakespeare. Ils viennent de sortir leur premier album, The Dream of my life, qu’ils ont intégralement mixé sur un simple PC portable. Pas évident de faire du rock en Afghanistan, un pays où la musique profane et, de surcroît, anglo-saxonne est très mal considérée et attire les foudres des intégristes de tout poil. Pour découvrir le travail de ces trois courageux garçons, une adresse: http://kabuldreams.com/

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Olivier Blaise, avec Philippe Fontaine