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La redevance copie privée se justifie-t-elle toujours à l’ère du streaming ?

L’extension de la rémunération pour copie privée sur les appareils reconditionnés est débattue aujourd’hui à l’Assemblée nationale. Cet amendement a relancé la polémique sur la légitimité de cette compensation forfaitaire.

Adoptée par le Sénat, la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique va être débattue ce 10 juin à l’Assemblée nationale. Mais les conversations les plus enflammées risquent de se focaliser sur un tout autre sujet que le réchauffement de la planète. Car les députés vont devoir statuer sur l’exonération ou non de la rémunération pour copie privée sur les appareils reconditionnés. Les ayant-droits réclamaient depuis des mois son extension à ce type d’équipements et ont même signé une tribune à ce sujet dans le Journal du Dimanche avec de nombreux artistes. Une prise de parole qui a relancé la polémique sur le bien-fondé de cette indemnité et la façon dont elle est collectée en France. 

Une exception au droit d’auteur

L’esprit de la copie privée, c’est de prévoir une exception au droit d’auteur qui arrange tout le monde : la liberté d’action des consommateurs et le respect des auteurs. Pour éviter d’avoir à demander une autorisation à chaque fois qu’il copie une œuvre pour son usage personnel sur un smartphone, une tablette, une clef USB ou un disque dur externe, le particulier s’acquitte d’une sorte de forfait sur le prix d’achat de l’appareil.

« La rémunération pour copie privée n’est pas une taxe, mais une redevance qui est la contrepartie de la liberté de copier sur un support », nous rappelle le ministère de la Culture. « Ce n’est pas une exception française. Cette compensation est prévue par le droit européen et transposée dans de nombreux pays membres », ajoute-t-il. Elle est reversée en partie aux auteurs et sert aussi à financer des manifestations et des actions culturelles. C’est la société Copie France qui collecte la rémunération et la répartit entre les différents bénéficiaires, qu’il s’agisse de la musique, de la vidéo, de la photo ou de l’écrit.

Sauf que comme le fait observer Marc Rees, rédacteur en chef de Nextinpact et fin connaisseur du dossier, les utilisateurs copient de moins en moins. Et de s’interroger sur le fait que l’on puisse encore collecter 273 millions d’euros au titre de la copie privée en France en 2020, alors que l’usage des abonnements à des services de streaming s’est généralisé. 

Des divergences d’interprétation

Pour le ministère de la Culture et les ayant-droits, il n’y aurait rien là de paradoxal. L’abonnement en streaming permet d’accéder à un flux continu d’oeuvres en ligne mais lorsque les abonnés téléchargent un contenu avec ce même service, cela relèverait de la copie privée.

Une position que contestent les industriels du numérique. « Les consommateurs n’ont pas de propriété sur cette œuvre, mais juste un droit d’accès. La question se pose donc aujourd’hui de bien distinguer ce qui relève de la copie privée et ce qui est déjà payé dans le prix de l’abonnement ou de l’œuvre numérique », fait observer Stella Morabito, la déléguée générale de l’AFNUM (Alliance française des industries du numérique). Par le passé, la justice a déjà tranché en faveur des ayant-droits quand il s’est agi de savoir si le stream ripping ou l’enregistrement dans le cloud devaient être soumis à la copie privée.

Des études d’usages pas systématiquement renouvelées

Mais le problème ne se résume pas à une question d’interprétation juridique. Les modalités de la mise en œuvre de cette copie privée sont aussi contestées. C’est une Commission indépendante qui s’en occupe. Y siègent pour moitié des bénéficiaires (ayant-droits) et pour moitié des redevables (consommateurs et industriels du numérique). Elle est notamment chargée de déterminer l’assiette de la copie privée. « Les barèmes sont calculés en fonction du type de support, de la capacité de stockage, mais aussi d’études d’usage réactualisées à intervalle régulier », nous détaille le ministère de la Culture.

Les études d’usages sont réalisées avec beaucoup de sérieux et font l’objet d’appel d’offres et des enquêtes en face à face… mais ont l’inconvénient de durer longtemps et de coûter cher. Elles sont renouvelées, certes, mais pas de façon systématique pour tous les produits concernés par la taxe. Par exemple, des études d’usages ont été lancées entre novembre 2018 et mars 2019 pour les clefs USB et les cartes mémoires. Elles ont servi à réactualiser les barèmes qui sont entrées en vigueur en 2020. Et il n’est pas prévu pour le moment de les renouveler à court terme. 

Une vidéo, c’est le prix de 4 places de cinéma et 1 DVD

Autre problème, le montant des barèmes. Ils doivent être approuvés par la Commission, mais ce sont ayant-droits qui en ont l’initiative. Ils ont élaboré un modèle de calcul qui repose sur un système d’équivalences entre les usages du monde analogique et du monde numérique. « Par exemple, la copie privée sur la vidéo est calculée sur la base du prix de quatre places de cinéma et d’un DVD », cite Stella Morabito. « Cette méthodologie de calcul est particulièrement complexe et aboutit souvent à des montants beaucoup trop élevés qu’il faut ensuite corriger par des abattements », dénonce la déléguée générale de l’AFNUM.

L’association de consommateurs UFC-Que Choisir avait également tapé du poing sur la table avec une enquête en 2014 et plaidé pour une profonde refonte du système. Un rapport parlementaire de 2015, plutôt favorable au système actuel, avait également relevé que les barèmes étaient opaques et insuffisamment réactualisés.

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Les professionnels exonérés en théorie

Autre sujet de polémique, la rémunération pour copie privée est appliquée d’office sur les appareils, même lorsque ce sont des entreprises qui les achètent et alors que les professionnels sont exemptés du versement de cette indemnité. Ils doivent ensuite initier la démarche de se faire rembourser après-coup. Mais seule une minorité d’entre eux le fait. Les industriels militent donc pour une exonération du paiement de cette copie privée, en particulier pour les ordinateurs qui sont majoritairement acquis et utilisés dans un cadre professionnel. 

Ils ont a priori peu de chances d’être entendus sur toutes ces revendications car ils sont minoritaires au sein de la Commission copie privée. Un déséquilibre que déplorent également les associations de consommateurs comme l’AFOC (Associations Forces Ouvrières Consommateurs). 

Des associations de consommateurs désabusées

« Nous ne pouvons pas exercer de rôle actif au sein de cette commission, car les associations de consommateurs ne disposent que de 25% des sièges alors que les ayant-droits en ont 50%. Pour changer le fonctionnement de la commission, il faudrait changer sa composition, ce qui implique de changer la loi », regrette David Rousset, Secrétaire général de l’Afoc.

Impuissantes à peser sur la Commission, les associations de consommateurs l’ont presque toutes désertée. Sur le fond du sujet, elles sont encore plus sceptiques. « Aujourd’hui, la copie privée sert à faire financer une partie de la politique culturelle par les industriels et les consommateurs. Son produit suffit à justifier sa raison d’être et son importance », ajoute David Rousset. Une manière élégante de dire que cette manne est devenue indispensable au fonctionnement de la Culture et qu’il serait impossible de la supprimer. Et cela même si l’on prouvait un jour que plus personne ne copie…

Sources : la proposition de loi environnement et numérique, l’enquête de l’UFC Que Choisir de 2014, le rapport parlementaire de 2015, la tribune des artistes et ayant-droits du Journal du Dimanche

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Amélie CHARNAY