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Sans abri, mais pas sans PC

Animé par des bénévoles venus de tous horizons, le cyberespace de l’association Emmaüs fait office de maison virtuelle pour les personnes en situation précaire.

Dans un vaste hall, ils sont des dizaines, dont quelques femmes, qui prennent un café ou sont assis dans des fauteuils. D’autres attendent qu’on lave leur linge ou un entretien avec un travailleur social. Quelques-uns dorment allongés dans un coin. L’Agora, le centre d’accueil d’Emmaüs implanté dans le quartier du Châtelet, en plein c?”ur de Paris, accueille des personnes en difficulté, souvent sans abri. Au plus froid de l’hiver, jusqu’à 500 personnes se pressent chaque jour pour fuir les rigueurs de la rue. Aujourd’hui, un petit groupe fait la queue devant la porte du cyberespace. En 2003, Emmaüs a en effet installé des PC au sein de l’Agora.

Un espace virtuel personnel

Pour quelqu’un qui n’a plus ni toit, ni travail, ni famille, un PC peut sembler le cadet de ses soucis. Mais en fait, il permet de se créer un espace personnel virtuel bien utile. ‘ La première chose qu’ils veulent, c’est scanner leurs photos personnelles et leurs papiers d’identité. Car dans la rue ou dans les foyers, ils se font tout le temps voler ‘, explique Yves Bucas-Français, un bénévole du cyberespace qui conseille habitués et nouveaux venus.Quand on passe la porte du cyberespace, l’atmosphère n’est plus celle du hall, faite principalement de résignation. Devant les ordinateurs, c’est la concentration qui règne.Aujourd’hui, l’endroit est ouvert en libre-service à ceux qui ont pris rendez-vous. Sur les neuf postes, un est réservé aux passages éclairs pour relever son courrier. Dans la salle, trois bénévoles circulent, prêts à offrir leur aide sans pour autant faire le travail à la place des utilisateurs. ‘ On change de regard sur les personnes en difficulté, assure Yves. Beaucoup ont des diplômes. Certains sont des chômeurs de longue durée qui utilisaient l’informatique dans leur métier. Beaucoup n’ont pas de papiers. ‘ C’est le cas de Mohammed. Ce Tunisien de 28 ans est en France illégalement depuis trois ans. ‘ J’avais une société d’informatique en Tunisie, affirme-t-il. Mais je ne peux pas retourner là-bas. En France, je n’ai pas de papiers et pas d’abri. Je viens ici presque toutes les semaines pour lire des sites d’information et rester en contact avec mon pays. ‘Yaya non plus n’a pas de papiers et donc pas de possibilité de trouver un travail. Une autre association a conseillé à la jeune Sénégalaise de venir au cyberespace d’Emmaüs pour se familiariser avec l’ordinateur. ‘ Je n’y connaissais rien ‘, confie-t-elle. Yaya suit assidûment des cours de formation et est là pour pratiquer sa frappe grâce à un logiciel spécialisé.

La galère comme point commun

L’histoire d’Alpha Barry est encore différente. ‘ Je suis ancien combattant et j’ai travaillé chez Pechiney pendant 27 ans en France et en Afrique. J’avais déjà utilisé l’informatique, mais je suis venu me recycler ‘, raconte ce retraité, qui vit dans la ‘ galère ‘. C’est d’ailleurs là le seul point commun à tous ceux qui se retrouvent ici. Comme le résume Mohammed, impressionné par l’ambiance familiale qui règne dans le cyberespace, ‘ on est tous dans la galère, il faut être solidaire ‘.Tous débarquent au cyberespace après des parcours différents et avec des besoins variés. Yves Bucas-Français les résume : ‘ Ils doivent écrire des CV et des lettres de motivation. Beaucoup recherchent un logement. Ils font aussi des démarches administratives en ligne pour les Assedic ou le RMI. Enfin le courrier électronique et la presse internationale sont un lien avec leur famille et leur pays. Pour eux, une adresse électronique devient une maison virtuelle. ‘La première chose à faire est d’évaluer les connaissances des nouveaux arrivants pour les orienter vers un cours d’initiation, des séances de perfectionnement ou directement vers le libre-service. Les cours assurés par les bénévoles portent sur la découverte de l’ordinateur, Internet et la bureautique. Ceux qui s’y inscrivent s’engagent à suivre quatre demi-journées. Pour approfondir et réviser, ils peuvent aussi repasser en soirée.

Une aide globale au retour à l’emploi

Côté formation, le cyberespace est sur le point de passer à la vitesse supérieure. Ricardo Parrilla, éducateur spécialisé et salarié d’Emmaüs chargé du cyberespace, explique que deux nouveaux cours vont démarrer. ‘ Nous lançons un cours sur les questions administratives et un autre sur la recherche d’emploi, dans lequel nous allons filmer des simulations d’interviews ‘, raconte-t-il.L’équipe du cyberespace est très fière des résultats de son action. En un an, 45 personnes ont réussi à trouver un travail grâce au cyberespace. L’expression artistique trouve aussi sa place. Par le passé, les bénévoles ont proposé des ateliers de photo. ‘ On a travaillé en numérique ou en argentique. J’ai animé un atelier d’écriture autour de la photo, ce qui permettait de travailler le français, surtout pour les non-francophones ‘, explique Yves. Autre motif de fierté, ces travaux ont été publiés sur le site de Télérama et une participante est entrée dans une école d’art.Entre les cours et l’encadrement du self-service, le cyberespace est très gourmand en bénévoles. ‘ Je suis venu grâce à une petite annonce de Libération, raconte Yves. Travailler ici trois demi-journées par semaine correspond à une certaine idée de la citoyenneté ‘. Les retraités fournissent le gros des troupes, mais on trouve aussi des personnes entre deux emplois, des étudiants et d’autres venus de tous horizons. Anglaise, Hilary, habite la région parisienne. ‘ Je viens deux matinées par semaine. J’ai toujours travaillé dans des associations caritatives en Afrique et en Asie. J’aime parler avec les gens. Je les aide et en même temps j’améliore mon français ‘. Tout le monde est gagnant !

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Isabelle Boucq