Passer au contenu

Retournement temporel : le pouvoir magique du son

Grâce à un miroir à retournement temporel, des chercheurs sont parvenus à renvoyer un son vers sa source, comme si le temps avait été inversé. Un exploit prometteur qui devrait déboucher, entre autres, sur l’amélioration des
communications sans fil à très haut débit.

Et si le son pouvait remplacer l’électronique et l’électromagnétisme dans la transmission de signaux ? Cette idée, a priori saugrenue, est pourtant envisagée comme une sérieuse piste de recherche par les scientifiques de
plusieurs laboratoires dont celui de Stanford, la prestigieuse université américaine. Leur idée : troquer les ondes électromagnétiques contre des ondes acoustiques afin de profiter des propriétés mécaniques propres au son. A la clé, des
applications dans de nombreux domaines dont les transmissions à très haut débit (voir encadrés ci-contre et page suivante).L’idée du retournement temporel des ondes est née en France, il y a une dizaine d’années. Les équipes de Mathias Fink, directeur du Laboratoire des ondes acoustiques (LOA) de Paris s’intéressent alors à la propagation des ultrasons
dans des milieux désordonnés. Une de leurs expériences consiste à transmettre un son à travers une forêt de tiges métalliques aléatoirement clouées sur une planche. Le dispositif est un peu complexe : la planche est plongée dans une cuve
remplie d’eau, les ultrasons s’y diffusant plus facilement que dans l’air. Un émetteur/récepteur est fixé à chaque extrémité de la planche, l’un d’eux étant relié à un ordinateur.L’expérience menée au LOA consiste à envoyer un son très bref, d’une microseconde, à partir d’un premier émetteur/récepteur. Lorsque le son arrive à l’autre bout de la planche, il est capté par l’autre émetteur/récepteur, qui le
transmet à l’ordinateur où sa ‘ signature ‘ (l’ensemble des signaux qui le composent) est enregistrée et numérisée. Au cours de son voyage, le son a subi d’importantes modifications. Car émettre un son,
c’est produire une onde acoustique qui, lorsqu’elle rencontre un obstacle, se réfléchit, d’où des phénomènes d’amplification et de suppression. Deux changements ont été constatés lors de l’enregistrement du signal, après sa traversée dans la forêt
de tiges. D’une part, la brève impulsion d’une microseconde s’est allongée, atteignant 300 microsecondes à son arrivée. D’autre part, le milieu désordonné l’a brouillée : l’impulsion d’origine ne ressemble plus qu’à une suite de bruits,
impossibles à décoder. C’est alors que les chercheurs du LOA ont utilisé le PC comme un ‘ miroir à retournement temporel ‘. L’ordinateur a réémis le son en inversant l’ordre de sa signature : le
dernier signal reçu est parti en premier, et ainsi de suite jusqu’au premier… Le son a ainsi retraversé la forêt de tiges jusqu’à l’émetteur d’origine.

Comment obliger une onde à revenir à son point de départ

Premier constat : le signal recueilli est quasi identique au signal d’origine (il comporte juste un peu de bruit en plus). Il possède la même forme d’onde et surtout, sa durée a été recompressée : de 300 microsecondes, elle
est repassée à une microseconde ! Second phénomène : l’onde retournée revient précisément à l’endroit de l’espace d’où elle a été initialement émise. Si on enlève la planche à tiges (il ne reste que de l’eau), on perd cette précision dans
la trajectoire. Conclusion : on peut obliger une onde à ‘ revivre son passé ‘, et la complexité du milieu permet de la diriger précisément sur la source initiale. D’ailleurs, plus il y a de
‘ bazar ‘ sur son chemin et plus sa trajectoire est précise !De l’envoi d’un son à celui d’un signal numérique, il n’y a qu’un pas : car si le phénomène de compression temporelle des ondes retournées permet la transmission d’une succession de signaux très brefs, avec une très bonne
qualité, pourquoi ne pas l’appliquer à la transmission de bits ? Il suffit de coder le ‘ 1 ‘ avec l’impulsion retournée et le ‘ 0 ‘ avec l’impulsion
retournée négative (pour schématiser, on renvoie, dans le cas du 0, un signal dans lequel toutes les valeurs positives deviennent négatives, et inversement). Un émetteur (une antenne utilisé pour la transmission d’ondes radios, par exemple) peut
ainsi localiser un récepteur (un PC, par exemple) et obtenir une empreinte parfaitement identifiable des 0 et des 1 émis par le PC, même dans un milieu semé d’obstacles.Stanford et l’ESPCI (l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielle, dont dépend le LOA) font partie des laboratoires qui travaillent sur la transposition du retournement temporel des ondes aux télécommunications. Stanford
bénéficie, pour ce type de recherche, du soutien d’Intel. De son côté, l’ESPCI a déjà réalisé des expériences (voir encadré page précédente) avec des débits éloquents : 800 Mbit/s ! De quoi placer de nombreux espoirs dans cette
technologie encore très discrète, mais qui ne devrait pas tarder à faire parler d’elle…

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Eric Inglebert