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Quand les cybermarchands revendent des infos sur leurs clients

Sur Internet, on vous invite souvent à fournir des renseignements personnels. Des données que des sociétés achètent pour cibler leurs campagnes de pub.

Il est devenu presque impossible d’y échapper. Vous cherchez un horaire de train sur le Net ? On vous demande immédiatement vos nom, prénom et adresse de courriel. Vous souhaitez obtenir un renseignement sur un
produit ? Commencez donc par remplir un formulaire, avec état-civil, âge, profession et adresse électronique ! ‘ Alors qu’il nous paraîtrait incongru de donner notre date de naissance à l’entrée
d’un supermarché, il nous semble normal, sur Internet, de fournir ce type d’information, y compris lorsque cela ne s’avère pas nécessaire ‘,
note Caroline Lancelot-Miltgen, doctorante en marketing à
l’université Dauphine, dans une étude qu’elle a réalisée sous l’égide de la Fondation Internet nouvelle génération (Fing).Certes, il n’est pas permis, en France, de récupérer des données personnelles à l’insu de l’internaute. De ce point de vue, la loi est très claire : le recueil de données personnelles ?” et leur
éventuelle cession à un tiers ?” est interdit sauf si l’intéressé y consent expressément, en cochant une case par exemple. C’est là le principe, destiné à lutter contre le spam, qui a été adopté dans le cadre de la loi
Informatique et libertés et de la loi sur la Confiance dans l’économie numérique de 2004.En revanche, légalement, un site peut parfaitement exiger des internautes qui souhaitent bénéficier de ses services ou acheter ses produits qu’ils lui communiquent certaines données personnelles. Impossible ainsi d’acheter
un article en ligne sans donner son nom, ses coordonnées et son adresse e-mail… des informations qui seront enregistrées dans les fichiers du cybermarchand, parfois accompagnés d’un véritable profil de consommateur : montant
d’achats moyen, goûts musicaux, budget habillement, etc.Les cybermarchands justifient la collecte (et la conservation) de ces données en arguant qu’elle permet de mieux servir le client en lui proposant un service sur mesure. C’est ce qu’on appelle le
‘ marketing one-to-one ‘, comprendre ‘ marketing individualisé ‘, dont le meilleur représentant est le libraire en ligne Amazon, pionnier du conseil personnalisé. ‘ Dans un
magasin, plus vous dites de choses au vendeur, mieux il vous conseille ‘,
justifie Yseulys Costes, PDG de la société d’e-marketing 1000Mercis.

Une véritable industrie du renseignement

Mais les cybermarchands ne pensent pas seulement à la satisfaction du client lorsqu’ils accumulent des dizaines d’informations sur son compte. Ils pensent aussi à leur trésorerie. Car ces informations, des sociétés
spécialisées les achètent. Une activité qui, en quelques années, est devenue une véritable industrie. En 2005, selon une enquête réalisée par Le Journal du Net, les détenteurs des quatre plus grosses bases françaises
d’adresses électroniques affirmaient en détenir plus de 16 millions. Des coordonnées qui sont ensuite revendues à des annonceurs désireux d’étendre leur clientèle.Prix de ces informations : de 150 euros pour les 1000 adresses qualifiées (une adresse e-mail associée à quelques données, comme un nom ou un hobby, par exemple) à 500 euros pour un ciblage plus pointu. Un marché en
plein essor : en 2005, les entreprises ont dépensé 40 millions d’euros en achat de fichiers. C’est plus de deux fois plus qu’en 2004, selon une étude de TNS-Sofrès… et cela représente quelque 181 millions
de courriels de prospection envoyés ! Dès lors, un internaute qui confie des détails personnels à un cybermarchand doit s’attendre à recevoir quantité de spams, provenant de sociétés qu’il ne connaît pas, lui proposant des
produits ou des services parfois très éloignés de ses besoins.Il peut même être sollicité par un homme politique (lire l’encadré ‘ Mauvaises surprises ‘) ! Ce genre de dérapage est assez fréquent mais, en matière de protection des données personnelles, il y a
pire. L’étourderie d’un webmaster, une faille de sécurité, et des informations nominales deviennent librement accessibles sur Internet… Il y a quelques années, le site d’une chanteuse française pour adolescentes
permettait de consulter directement les coordonnées que les fans saisissaient dans le Livre d’or !Des erreurs aussi énormes font bondir la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), chargée de veiller à la protection des données personnelles de chacun. Mais sa tâche est démesurée au regard de ses maigres
moyens : 85 agents pour 80 000 nouveaux fichiers publics et privés enregistrés en 2005, c’est peu. Le secteur du cybermarketing, qui a généré l’an dernier 157 plaintes pour des mails non sollicités (sur un
total de 3 834 plaintes reçues à la Cnil), ne mobiliserait pour sa part que trois à quatre personnes, confrontées à des dossiers souvent complexes.Dotée depuis 2004 d’un pouvoir de sanction, la Cnil s’est contentée pour l’heure de mises en demeure. Mais des sanctions financières pourraient intervenir à partir de l’été 2006. Le principe du
donnant-donnant ‘ Les internautes ne connaissent rien de leurs droits mais croient, un peu naïvement, que parce qu’il existe une loi, celle-ci est forcément respectée ‘, affirme Caroline
Lancelot-Miltgen, qui a mené plus de 1300 interviews pour son étude. Elle distingue ainsi quatre grandes familles d’internautes, dont deux s’illustrent par un point de vue très affirmé sur le sujet.D’un côté, les négociateurs qui souscrivent au principe du donnant-donnant. ‘ De plus en plus nombreux, ils sont prêts à délivrer des informations en contrepartie d’avantages concrets : un
meilleur prix, un cadeau… Ils ne donnent pas systématiquement leurs données personnelles, mais savent qu’elles possèdent une valeur d’échange, qu’ils font jouer lorsque la transaction les intéresse. ‘
A l’inverse, les ‘ réticents ‘ sont essentiellement des vétérans d’Internet qui restent très méfiants. Soucieux de préserver leur anonymat, ils recourent aux mensonges quand ils remplissent des
formulaires, et utilisent des adresses temporaires, comme on peut en créer sur
www.jetable.org. Une ligne de conduite qui souffre quelques écarts, puisque la détermination faiblit parfois devant le désir ou la nécessité d’obtenir un service ou un produit… moyennant,
on l’imagine, l’acquisition d’un logiciel antispam.

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Thierry Dupont