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Les effets du temps : Alain Carsoux

Depuis quinze ans, Alain Carsoux est directeur des effets visuels chez Duboi, le célèbre studio d’effets spéciaux. Pour le nouveau film de Jean-Pierre Jeunet, Un long dimanche de fiançailles (sorti le 27 octobre), il a utilisé des techniques de compositing.our redonner à Paris son visage de 1917. Un travail de magicien qui superpose différentes prises de vues.

Photo & Vidéo Numérique : Comment a débuté votre carrière ?Alain Carsoux : Je suis entré chez Duboi en tant qu’assistant du réalisateur Pitof pour des clips et des publicités. Sur Delicatessen, il n’y avait rien de prévu en effets spéciaux, mais il a fallu ‘ trafiquer ‘ quelques plans. On a développé un système permettant de superposer plusieurs images issues de différentes prises de vues. C’est notamment le cas du plan de l’Australien.PVN : Quels effets avez-vous pratiqués sur le nouveau film de Jean-Pierre Jeunet ?AC : Sur Un long dimanche de fiançailles, on a utilisé des effets comme le matte painting, c’est-à-dire une image que l’on crée artificiellement. Dans le passé, on peignait les décors sur une petite glace qu’on plaçait devant la caméra ; aujourd’hui, ces images sont conçues numériquement sur Photoshop. L’idée est de recréer ou d’inventer des décors d’époque.PVN : L’arrivée du numérique a-t-il changé vos méthodes de travail ?AC : Oui, énormément ! Dans les années 90, la numérisation de l’image a bouleversé les effets spéciaux. Lorsque la pellicule 35 mm est scannée, on peut appliquer de multiples couches d’effets sans dégrader l’image. Tout est modifiable à volonté. Cela va si loin que dans certains films, les trucages prennent une part importante lors du tournage. Pour les images de synthèse, on utilise aussi Maya, ainsi qu’un logiciel 2D que nous avons développé nous-mêmes et que l’on a inauguré avec La cité des enfants perdus. Ce logiciel assure à la fois le compositing, le mélange des sources d’images et le matte painting. Il existe d’ailleurs un département chez Duboi spécialement dédié au développement de logiciels.PVN : Dans quel format Jean-Pierre Jeunet a-t-il tourné son film ?AC : Un Long dimanche de fiançailles. été tourné en pellicule argentique 35 mm, puis numérisé au format 2K pour être traité, ce qui correspond à une résolution d’environ 2 048 x 1 556 lignes. On s’oriente vers du format 4 000 lignes, mais timidement, car cela requiert des machines très puissantes.PVN : Les films de Jeunet ont toujours un filtre. Pourquoi ?AC : sur le plan artistique, Jean-Pierre Jeunet préfère les couleurs chaudes, un peu soufrées, et n’apprécie pas le bleu un peu froid souvent très présent dans de nombreux films. Techniquement, c’est le fruit d’un étalonnage numérique.PVN : Le succès d’Amélie Poulain lui a-t-il donné plus de moyens pour réaliser ses trucages ?AC : Oui et non. On lui fait davantage confiance après ce succès, c’est certain. Mais de toute façon, même sans moyens, Jean-Pierre est quelqu’un qui va au bout des choses. S’il sait qu’il est possible de réaliser un trucage, il se donnera le temps et les moyens pour y arriver coûte que coûte.PVN : Êtes-vous présent sur le tournage ?AC : Bien sûr. Je suis présent dès le scénario pour rationaliser les méthodologies en termes de coût et de possibilités techniques. Jean-Pierre ne dit pas : ‘ Je vais tourner les voitures d’un côté et l’Opéra de l’autre. ‘ il dit : ‘ Je voudrais que l’Opéra Garnier ressemble à l’Opéra de 1917. ‘ C’est nous qui faisons le nécessaire pour concrétiser son souhait et donner à l’Opéra son allure d’époque. Or, ces décisions sont soumises à un budget. Selon ce que décide Jean-Pierre, les départements se divisent les tâches. On se heurte à une foule de problèmes entre les possibilités de tournage, les figurants et les accessoires. On filme dans plusieurs endroits différents pour simuler un seul. On prend des relevés car l’improvisation n’a pas de place au cinéma ; tout coûte cher. Le storyboard nous sert de base et on le reproduit en version animée en prenant des mesures avec des appareils de géomètre. C’est d’autant plus compliqué lorsque la caméra bouge comme dans le plan où l’on voit l’Opéra Garnier. On tourne l’Opéra un jour, la pancarte en studio un autre, puis des voitures et des figurants sur un terre-plein avec des marquages au sol. On superpose ensuite tous ces plans.PVN : Pourquoi ne pas filmer en numérique dès la source ?AC : Parce que la qualité du numérique HD n’égale pas encore celle des caméras argentiques 35 mm. Cela viendra avec le temps car la cassette numérique d’une heure a bien des avantages face à une pellicule (qui ne dure que douze minutes).PVN : Intervenez-vous sur le montage ?AC : Le montage s’effectue sur une station Avid, mais cette tâche ne constitue pas notre travail. Nous intervenons au stade de la conception tout au long du film, un an avant, pendant et après le montage. Certains plans doivent être traités avant le montage, alors que l’étalonnage s’effectue après. Un long dimanche de fiançailles a débuté en mars 2003 et sest terminé en juillet dernier.

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Édouard Maire