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Les couleurs reprennent du relief

De ses peintures d’origine, le tombeau de Philippe, le frère cadet de saint Louis, ne conserve aujourd’hui que des traces. Des historiens de l’art et des scientifiques en ont vu de toutes les couleurs pour reconstituer virtuellement sa
polychromie originale.

A quoi pouvait bien ressembler le tombeau du prince Philippe aujourd’hui conservé dans la basilique Saint-Denis ? Son apparence actuelle, dans laquelle domine la pierre, est en effet très éloignée de celle qu’il présentait au
XIIIe siècle. Comme la plupart des sculptures médiévales, cette sépulture associant un gisant et un coffre était richement ornée. Son sculpteur (anonyme) avait confié à un peintre et à un doreur le soin d’en magnifier les
reliefs en appliquant des pigments minéraux précieux (lapis-lazuli, cinabre) et des feuilles d’or. Les siècles avec leur cortège de dégradations n’en ont laissé que des traces. Des traces suffisamment importantes pour éveiller la curiosité de
Patrick Callet. Ce spécialiste en modélisation physique au Laboratoire de mathématiques appliquées aux systèmes de l’Ecole centrale Paris (ECP) a déjà, avec son équipe pluridisciplinaire, numérisé en 3D et simulé virtuellement l’apparence de
plusieurs sculptures (du Musée national des arts asiatiques – Guimet et du Musée du Louvre) mais toutes étaient en métal. Simuler l’apparence des peintures, des dorures et des motifs relevés sur le tombeau du fils de Louis VIII et de Blanche de
Castille constitue donc un défi. Il s’accroît d’une contrainte : privilégier les technologies et les procédés ne nécessitant aucun contact avec l’?”uvre.Un projet pluridisciplinaire a ainsi été monté. Il associe notamment des élèves ingénieurs et deux autres laboratoires de l’ECP, ainsi que Pierre-Yves Le Pogam, conservateur du département des sculptures au Musée du Louvre et
spécialiste des ?”uvres d’art et des monuments médiévaux.

Un appareillage scientifique à la hauteur de l’enjeu

L’étude sans contact des traces de polychromie de la sépulture princière passe par la numérisation en 3D du tombeau, la détermination des matériaux employés à partir de leurs caractéristiques physico-chimiques puis la réalisation de
la simulation spectrale des couleurs à l’aide d’un moteur de rendu.Mais l’énigme n’est pas complètement résolue. Pour distinguer les couches de peinture en cas de repeints successifs et pour connaître la taille des pigments employés, des microprélèvements se sont avérés indispensables ?” ils
sont en cours d’analyse. Il restera à modéliser l’environnement lumineux dans lequel baignait le tombeau au XIIIe siècle, puisque l’abbaye de Royaumont dans laquelle il était originellement placé a été détruite. Ne manqueront
alors que le regard et les croyances de l’homme du Moyen Age qui le contemplait…

Une représentation provisoire

Le gisant de Philippe Dagobert n’a pas encore retrouvé ses peintures d’antan. Seules leurs couleurs sont simulées sur ce clone en 3D fidèlement reconstitué. Les analyses sur les matériaux et la lumière sont en cours.

Des dessins pour premiers indices

Conservé à la Bodleian Library, ce dessin, sur lequel figure le tombeau de Philippe Dagobert, a été exécuté au début du XVIIIe siècle. Comme sur un autre dessin représentant un vitrail disparu de l’église
abbatiale de Royaumont, le jeune prince est habillé en clerc et porte une cotte rouge et un surcot bleu décoré de motifs dorés. On y voit aussi, au premier plan, un ange bleu aux ailes rouges.

Numérisation 3D sans contact

L’équipe du Create s’est rendue dans la basilique de Saint-Denis, la nuit, pendant les heures de fermeture au public. Elle a utilisé une caméra Breukmann projetant sur le tombeau des franges de lumière blanche. Son capteur CCD d’une
très haute précision capture les images. Puis les déformations des franges d’ombre et de lumière sont analysées par un logiciel spécial, sur un ordinateur connecté au dispositif qui en extrait un nuage de points en trois dimensions. Quinze séances
ont été nécessaires.

Tombeau virtualisé dans ses moindres détails

120 nuages de points ont ainsi été capturés. Ils ont été assemblés avec le logiciel RapidForm d’Inus Technology afin de reconstituer la forme du gisant et de son tombeau, à raison de 1 million de triangles pour le seul gisant et 7,5
millions de triangles pour le tombeau entier. Pour faciliter la manipulation de tels volumes de données, plusieurs niveaux de résolution ont été utilisés.

Analyse de couleurs

Pour identifier les peintures utilisées, il faut enregistrer le spectre de ‘ réflectance diffuse ‘ des traces qui restent sur la statue à l’aide d’un spectrophotomètre allant de
l’ultraviolet à l’infrarouge. Cet appareil se compose de fibres optiques éclairantes entourant une fibre réceptrice reliée à un boîtier, connecté à un ordinateur en USB, qui transforme la lumière reçue en signal échantillonnable par un logiciel
spécifique. Seules les longueurs d’onde visibles par l’?”il humain sont conservées.

Mesures sur plaques

Les mesures effectuées sur la statue ont été comparées avec d’autres mesures prises sur des échantillons de peinture préparés en laboratoire, et dont la composition est connue. Ces échantillons ont été réalisés en utilisant la pierre
d’origine du tombeau, du calcaire coquiller provenant de la carrière de Saint-Maximin dans l’Oise. Afin de mesurer l’impact de la couche de préparation et celle du liant sur la réflexion de chaque couleur, diverses plaques ont été réalisées pour une
même teinte : sans couche initiale de céruse, en mélangeant la céruse de la base avec du liant, et une troisième sans liant.

Essais de peinture

A partir du modèle numérique en 3D, une première réplique miniature du tombeau (50 cm de longueur) a été fabriquée en résine ?” par stéréophotolithographie. La sculpteuse Brigitte Bonnet a pu effectuer des premiers essais
de dorure en s’inspirant des techniques médiévales.

La palette retrouvée

Les observations faites sur le gisant, et leur confrontation avec des modèles théoriques, ont permis de déterminer les pigments utilisés. Blanc : blanc de plomb (céruse), blanc de chaux (ou de Meudon), craie. Noir : charbon
de bois (noir de vigne). Bleu : azurite, lapis-lazuli, indigo. Rouge : vermillon, minium, ocre rouge. Jaune : ocre jaune, massicot. Vert : terre verte, malachite, vert-de-gris. Les recettes des peintures et des dorures et les
techniques d’application les plus vraisemblablement employées sur la pierre ont ainsi pu être retrouvées.

Simulations hyperréalistes

Une fois les matériaux employés caractérisés, des calculs complexes et des logiciels spécifiques ont permis de réaliser les simulations spectrales du manteau du gisant et du lion. A la différence des simples textures employées dans
les jeux vidéos, celles-ci reproduisent l’interaction physique entre les ondes lumineuses et les matériaux considérés au niveau microscopique.

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Véronique Balizet