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L’économie du narcissisme

Dans notre numéro de cet été, nous vous avions déjà parlé de cette économie, à moitié parallèle, qui se développe autour des jeux en ligne. Un…

Dans notre numéro de cet été, nous vous avions déjà parlé de cette économie, à moitié parallèle, qui se développe autour des jeux en ligne. Un récent article de Libération revient sur la condition de ces joueurs
professionnels chinois, payés de 50 à 100 euros par mois pour rester toute la journée rivés à WoW et autres jeux de rôle massivement multijoueurs, ce pour le compte d’Occidentaux prêts à débourser jusqu’à 500 dollars afin de
gagner des pièces d’or ou faire progresser leur personnage jusqu’aux plus hauts niveaux. Des dizaines de milliers d’entreprises chinoises de ce genre se partageraient une manne estimée à quelque deux milliards de dollars ; enfin, une petite
partie seulement, les intermédiaires occidentaux (essentiellement américains) prélevant la part du lion, comme dans l’économie des biens réels. Que la Chine soit devenue l’usine du monde virtuel comme elle est celle du monde réel (notamment pour la
production de biens électroniques, des iPod aux téléphones mobiles en passant par les ordinateurs) n’est pas étonnant. D’autant que pour les jeunes Chinois, c’est un travail comme un autre, et plutôt moins dur que celui des ateliers. Ce qui surprend
vraiment, c’est la motivation des acheteurs. C’est que le jeu, l’action humaine a priori la plus gratuite qui soit, puisse être à ce point saisi par la marchandisation, jusqu’à institutionnaliser une économie du trucage. Comme si vous payiez un
professionnel pour jouer aux cartes à votre place contre des amateurs, et reveniez rafler la mise au dernier pli ! Si encore il y avait quelque chose à gagner à la fin, on pourrait à la rigueur comprendre, mais même pas ! Naïvement, on
croyait que l’intérêt de tels jeux était le plaisir de progresser, de se mesurer aux autres, d’échouer et de recommencer, sans autre enjeu. C’est, heureusement, l’attitude de la plupart des joueurs ! ‘ A vaincre sans
péril, on triomphe sans gloire ‘
, écrivait Corneille. Pourtant, dans un monde virtuel où les périls ne sont pas réels et la gloire illusoire, puisque personne ne vous connaît vraiment, des millions d’individus sont prêts à
jeter de l’argent par les fenêtres pour satisfaire leur ego, sans même le plaisir de l’avoir mérité. Narcisse, réveille-toi, ils sont devenus fous !

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Bernard Montelh