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La chasse aux bugs

Débusquer les bugs est un travail long et fastidieux réservé à des joueurs chevronnés.

Comme tous les jours depuis cinq mois, Sébastien arrive au bureau, allume son ordinateur et… entame une partie de Ghost Recon 3 sur sa console de jeux Xbox 360. Rien d’extraordinaire à cela : Sébastien est payé pour jouer. Sa tâche est de s’assurer que le joueur ne peut pas traverser les murs, que la console ne plante pas à la fin des niveaux, qu’aucun son nasillard ne vient gâcher le plaisir du joueur… Bref, rechercher et signaler tous les défauts de programmation de ce jeu avant sa sortie, prévue en mars 2006.‘ Je représente le joueur, et mon boulot est de chercher la faille ‘, déclare Sébastien. Son bureau est installé sur le plateau qui accueille les game designers, graphistes, développeurs et ingénieurs ?” environ 80 personnes en tout ?” qui travaillent sur le jeu. Dans les studios d’Ubisoft, à Montreuil, en région parisienne, les testeurs sont intégrés à l’équipe de production et peuvent ainsi réagir immédiatement. ‘ Nous donnons aussi notre avis, c’est gratifiant que la production nous écoute et cela peut améliorer le jeu. ‘Les tests ne se font pas au petit bonheur la chance. Ce travail commence après une dizaine de mois de développement, lorsque le jeu, bien avancé, est en phase bêta. Tous les matins, le responsable des testeurs envoie à son équipe un courriel contenant le plan de tests de la journée. Pour chaque jeu, l’équipe comprend entre 8 et 20 testeurs.Aujourd’hui, Sébastien doit vérifier que les parties sont correctement sauvegardées et que tous les éléments se lancent dans un niveau du jeu, puis il donnera son avis sur une nouvelle fonction récemment intégrée au programme.

Chacun à son poste pour la battue

La chasse aux bugs suit des étapes bien définies. On commence par vérifier les décors et les collisions. Si un immeuble se trouve sur le chemin du joueur, le programmeur doit écrire son code de façon à ce que le joueur soit obligé de l’éviter. Si le joueur traverse le mur, c’est une ‘ sortie de map ‘, un bug très sérieux.Prochaine étape, le ‘ walk through ‘, qui est un test du chemin que le joueur doit emprunter à chaque niveau pour atteindre les objectifs fixés par le scénariste. S’il est impossible de terminer la mission, ou si le logiciel plante en cours de route, c’est une autre erreur impardonnable. Plus les jeux se perfectionnent, plus l’intelligence artificielle (IA) joue un rôle crucial. ‘ Même les NPC [Non Playable Characters, ou personnages contrôlés par le logiciel, ndlr] doivent avoir un comportement intelligent. Si on tire sur un soldat qui fait une ronde, il doit essayer de se cacher et de repérer notre position, explique Sébastien. Cela donne beaucoup de cas de figure à tester. ‘ Une autre phase importante est la rapidité d’affichage (le ‘ frame rate ‘ dans le jargon), qui ne peut descendre en dessous de 15 images par seconde. Une fois que les graphistes et les ingénieurs ont optimisé le code, les testeurs peuvent vérifier cet aspect crucial.Pour les jeux en ligne, les testeurs reproduisent des conditions réelles en se connectant via une dizaine de fournisseurs d’accès différents. Ils doivent tout vérifier : création du profil, connexion au serveur, conséquences lorsqu’un joueur quitte la partie, problèmes de délai. Des robots se chargent des simulations de surcharge sur les serveurs.En suivant son plan de tests, Sébastien identifie donc des bugs. Il fait une capture d’écran ou réalise une vidéo chaque fois qu’il rencontre un problème. Il entre également une description dans la base de bugs. Le ‘ lead testeur ‘ passe en revue chaque problème et désigne un développeur pour le réparer. Une fois le bug corrigé, le même testeur fera une vérification, car toute correction peut entraîner un nouveau problème. S’il est satisfait, il déclare le bug ‘ corrigé et vérifié ‘. Dans Ghost Recon 3, les testeurs ont traité environ 7 000 bugs !Avant de commercialiser un jeu sur console, les éditeurs doivent le soumettre au constructeur pour une série de tests impitoyables. Des dizaines de testeurs maison et des robots tentent pendant deux semaines de trouver des dysfonctionnements. ‘ Juste avant de le soumettre au constructeur, on passe nos nuits au travail. On répète le walk through une cinquantaine de fois à huit testeurs. Si on trouve un bug, on recommence l’opération dès que l’ingénieur l’a corrigé ‘, raconte Sébastien. L’objectif est de passer le test du constructeur du premier coup, mais ce n’est pas toujours le cas.

Des mercenaires du test

Tous les éditeurs de jeux ne peuvent se permettre d’avoir une équipe de testeurs en interne. D’autres ont parfois besoin de renfort. Ils se tournent alors vers des sociétés spécialisées comme Bug Tracker, qui compte Ubisoft et d’autres poids lourds parmi ses clients. ‘ J’ai créé Bug Tracker en 1999 car les CD-Rom que j’utilisais à l’époque étaient pleins de bugs et rien n’était entièrement traduit en français ‘, se souvient Antoine Carre, le fondateur de la société. Aujourd’hui, une équipe d’une petite dizaine de personnes installées en région parisienne se concentre sur le test de versions ‘ localisées ‘, tandis qu’une cinquantaine d’employés travaillent à Montréal sur les tests fonctionnels et les tests de compatibilité.Après une ‘ localisation ‘, il faut s’assurer qu’il n’y a pas d’erreurs linguistiques et que la traduction n’a pas introduit de problèmes techniques. Les testeurs installés au Vésinet pratiquent la plupart des langues européennes et font appel à des personnes qui travaillent en indépendants au besoin. La même méthodologie s’applique : plan de tests, bases de bugs, rapports.‘ Il y a moins de bugs aujourd’hui, mais on pourrait encore faire mieux ‘, constate Antoine Carre, qui est bien conscient que les éditeurs doivent sortir le jeu et ne peuvent le peaufiner à l’infini. Selon les jeux, il estime que le test peut prendre entre 100 et 6 000 heures de travail, ce qui représente un budget non négligeable dans le coût du jeu. Et de conclure : ‘ Sur console, c’est presque impeccable car les constructeurs y veillent. Sur PC, on estime qu’on peut toujours faire des mises à jour sur Internet. ‘

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Isabelle Boucq