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Hybrides

Dans le premier numéro de MPV (rubrique Web, janvier 2005), nous découvrions les talents de graphiste multimédia d’Alain Delorme. Aujourd’hui, nous nous intéressons à sa nouvelle…

Dans le premier numéro de MPV (rubrique Web, janvier 2005), nous découvrions les talents de graphiste multimédia d’Alain Delorme. Aujourd’hui, nous nous intéressons à sa nouvelle carrière professionnelle et artistique de photographe. Les thèmes du corps mutant, de l’hybridité humaine et urbaine, des dérives de notre société de consommation sont au c?”ur de sa réflexion photographique toute numérique. En voici deux, extraits joliment maîtrisés : Little dolls et Tour de Babel.Micro Photo Vidéo : Quel a été votre parcours depuis notre première rencontre ?Alain Delorme : Depuis les débuts de MPV, j’ai, entre autres, réactualisé mon site web et me suis consacré pendant deux ans à ma série photographique Little dolls, pour laquelle j’ai créé un site. Pour réaliser ce projet, j’ai eu la chance d’être financé par l’association image/imatge, structure dont le but est d’aider à la création et à la découverte de projets photographiques, ceux de jeunes artistes, comme ceux d’artistes déjà reconnus. J’ai ainsi pu exposer et éditer Little dolls sous la forme d’une boîte en plastique rose laiteux réunissant toutes les images de la série. Mon parcours professionnel est tout récent, j’étais encore étudiant lors de notre premier entretien ! Depuis un an, j’ai réalisé diverses commandes photographiques et sites multimédias pour des photographes ou agents de photographes. Mon travail de webdesigner était en grande partie alimentaire. Mais ce double cursus webphoto m’a permis de travailler rapidement, de faire de nombreuses rencontres, de me créer un réseau. Le métier de photographe n’est pas évident aujourd’hui. Je pense que pour en vivre, au début, on est obligé de jouer entre deux extrêmes : soit se spécialiser dans un domaine, soit se diversifier et toucher à d’autres supports. Beaucoup de jeunes photographes sont aussi graphistes, vidéastes, etc. Depuis peu, je me lance complètement dans la photographie. Je travaille à l’agence France Presse, au labo photo, et consacre mon temps libre à mes projets photographiques personnels.MPV : En diversifiant vos activités, vous devez également diversifier vos outils. Quels appareils employez-vous et dans quels contextes ?A.D. : En voyage, j’emporte un panoramique Horizon et mon Nikon F4, très robuste. J’aime le Polaroid pour son côté unique et l’ambiance qui en découle, veloutée et chaleureuse. En numérique, je possède un Canon 5D, avec un capteur 24 x 36 mm qui me permet d’utiliser mon ancienne gamme d’optiques sans avoir à faire de rapport de multiplication, suivant celle que je choisis. Il est extrêmement léger et, équipé d’un 50 mm, il est de loin l’appareil pro le plus discret. Je l’utilise pour beaucoup de mes travaux en tant qu’indépendant, mais je l’ai aussi mis à contribution pour ma série Little dolls. En revanche, pour la Tour de Babel, j’ai utilisé un compact Nikon Coolpix 990.MPV : Vos séries Little dolls et Tour de Babel s’inscrivent dans une recherche photographique générale sur l’hybridité, un thème récurrent de la nouvelle génération de photographes plasticiens numériques. En quoi la transformation numérique est-elle au c?”ur de votre démarche personnelle ?A.D. : L’emploi du numérique et d’un logiciel de traitement d’image me permettent de réaliser des choses qui seraient difficiles à mettre en ?”uvre avec l’argentique. Je peux ainsi proposer de nouvelles visions, créer des manipulations d’images plus discrètes. À l’ère du tout numérique, la photographie a été libérée des conventions rigides du réalisme. Elle est maintenant capable de représenter non seulement ce qui est ‘ réel ‘, mais ce qui est ‘ possible ‘. Pour ma série Little dolls, j’ai été influencé par des artistes qui travaillent sur ce thème du corps mutant, comme Inez van Lamsweerde, Keith Cottingham, Orlan ou Aziz et Cucher. Le corps est pour moi un véritable champ d’investigation car tout en étant le lieu privilégié de l’affirmation de la personne, il est littéralement scuplté par les conventions sociales, par une certaine exigence de beauté. À travers la musculation, les tatouages, les piercings, voire la chirurgie plastique, on modifie le corps pour ‘ plaire ‘ selon des codes universels, tout en affirmant qu’il s’agit là de notre singularité. Étonnant !MPV : Dans Little dolls, vous vous attaquez aux petites filles que vous caricaturez et transformez en parfaites petites poupées. Quelle a été votre source d’inspiration pour cette série et que dénoncez-vous ?A.D. : Pour cette série, j’utilise l’outil informatique dans une logique de mutation et d’hybridation des corps. Cette ?”uvre a pour but d’être une critique acerbe de l’utilisation de l’image des enfants, notamment celle des petites filles, particulièrement ciblées par les publicitaires qui font d’elles des objets de consommation répondant aux lois du marché.MPV : La plastification des visages et de la scène générale est très accentuée. Comment procédez-vous de la prise de vue à la retouche pour obtenir un tel lissage ?A.D. : La séance photo se déroulait chez les parents de l’enfant. Je montais un studio improvisé avec les objets disponibles sur place. Le fond était généralement un drap de lit posé sur une table à repasser ou un étendoir à linge. Au début de la série, je ne travaillais qu’avec la lumière du jour, en installant le studio face à une fenêtre. Mais dans un souci de confort, et pour ne plus être dépendant du temps, la suite de la série s’est faite avec un flash de studio équipé d’un parapluie. Le temps de prise de vue réel ne dépassait guère les trente minutes : au-delà, l’enfant n’est plus concentré.MPV : La série Tour de Babel parle non plus de transformation humaine mais industrielle des paysages urbains. Quels sont les enjeux et les procédés spécifiques à cette série ?A.D. : La Tour de Babel est la suite d’Usin(âges), une ?”uvre réalisée pour une commande du conseil général de la Seine-Saint-Denis sur le thème Mémoire et résonances industrielles. À l’époque, j’avais confectionné une frise de dix mètres de long représentant un photo-montage conçu comme une transformation de matières premières, en référence à la chaîne demontage. Il s’agissait de l’assemblage d’images d’usines ‘ détachées ‘, du département de la Seine-Saint-Denis, en un conglomérat industriel qui mélangeait le passé et le présent : mélange de mémoire, de l’usine inactive, de l’usine active, de l’usine en réhabilitation… Depuis ce projet, j’avais archivé une certaine quantité de photos d’usines de toutes sortes, d’heures de repérages et de prises de vues numériques. J’ai eu envie de partir de là pour une nouvelle proposition d’images, tout en gardant l’idée de la su rabondance industrielle, de ce développement anarchique et un peu fou. Mais, cette fois ci, en allant dans l’autre sens, dans une accumulation verticale. Le procédé de fabrication a été simple : je détourais chaque usine et l’incorporais par la suite à mon image de référence. Concrètement, j’ai d’abord réalisé la tour (la dernière et la sixième image) et suis revenu ensuite progressivement en arrière, en six étapes, six images, pour arriver au paysage initial, vide.MPV : Quel sera votre prochain sujet d’hybridité ?A.D. : Il sera toujours question de l’humain. Mais plus que l’hybridité, ce sont les thèmes qui se rapportent à la société de consommation qui me préoccupent. Je vais donc travailler sur les médicaments, en partant du constat que la France est championne du monde toutes catégories dans la consommation de drogues psychotropes, ces fameuses petites pilules du bonheur : tranquillisants, hypnotiques, antidépresseurs et autres neuroleptiques…

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Marilia Destot