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Ces anges retenus en enfer

Avec pudeur, mais également une volonté de dénoncer, Jean-Luc Mège a réalisé un reportage bouleversant sur les enfants chiffonniers de Phnom Penh. Rencontre avec un professionnel de l’image dont l’immense talent est à l’égal de sa générosité.

L’odeur est pestilentielle. Dans un vacarme incessant, des camions et des bulldozers déversent ou charrient inlassablement des montagnes de détritus. Sous un ciel poisseux, et noyées au milieu d’un océan d’immondices, de frêles silhouettes s’affairent, courbées vers le sol. ‘ Ma première vision de la décharge de Phnom Penh fut celle d’enfants escaladant de gigantesques monticules d’ordures ‘, se souvient Jean-Luc, qui poursuit non sans émotion : ‘ J’ai commencé à les photographier au téléobjectif, mais ils se détachaient à peine de la fumée épaisse qui s’élevait des déchets incandescents. Pour me rapprocher, j’ai entrepris de traverser une sorte de terrain vague. J’avais à peine parcouru une quinzaine de mètres que la terre, qui m’avait semblé ferme, s’est dérobée sous mes pieds. Et me voilà en train de m’enfoncer lentement, mais inexorablement, au sein d’un cloaque immonde. Mon premier geste a été de lancer au plus loin mes deux boîtiers numériques, tandis qu’à distance le chauffeur du tuk tuk (taxi cambodgien) qui m’avait conduit sur les lieux hurlait pour obtenir de l’aide. Mais personne n’arrivait… Et pas un arbre aux alentours pour m’accrocher. Alors que la croûte de détritus m’arrivait à hauteur d’épaules et commençait à se refermer, un gamin est accouru et m’a lancé un morceau de tissu auquel j’ai pu m’accrocher. Et c’est aidé par d’autres petits chiffonniers, qu’il a réussi à m’extirper de là. Quelques instants plus tard, cet accident, qui avait failli me coûter bêtement la vie, devenait une franche partie de rigolade, car j’étais puant et noir de la tête au pied. Accourus de partout en riant pour me voir, les enfants m’ont conduit vers une fontaine de fortune. La fange me tenait tellement au corps que, pour leur plus grande joie, j’ai fini sous l’eau en caleçon, cerné par des dizaines de dents blanches illuminant des visages aussi crasseux qu’attendrissant. Ce fut ma première rencontre avec les petits chiffonniers de Phnom Penh. ‘ Plus tard, Jean-Luc apprendra que, tout particulièrement la nuit, nombre d’enfants trouvaient la mort de cette façon atroce. Et pour cause, creusées par les eaux de pluie, puis recouvertes de poussière, de sacs plastique et de détritus qui leur confèrent un aspect fiable, ces sortes de fondrières atteignent aisément les six mètres de profondeur.

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Dominique Jacques