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Washington soigne sa migraine

Hier moteur de la croissance locale, les jeunes pousses du net sont désormais le principal talon d’Achille d’une région qui s’en sort mieux que le reste du pays, grâce à la présence du gouvernement fédéral.

Burck Smith n’a pas la nostalgie du ” brat pack “?” littéralement la ” bande de sales gosses “. “J’ai toujours détesté ce nom“, explique le cofondateur du site Smarthinking. Ce groupe de jeunes patrons de dot-com de la région de Washington avait pourtant fière allure. Les plus âgés avaient tout juste la trentaine, le plus jeune à peine 22 ans. Le ” brat pack ” ne doutait de rien, surtout pas de son avenir et de lafortune promise à chacun de ses membres. Il faut du culot pour aller chercher son nom à Hollywood, l’emprunter à la bande de jeunes acteurs rebelles, tels Rob Lowe, Emilio Estevez ou Demi Moore, qui savait si bien faire parler d’elle au milieu des années 1980.

La survie des “brat pack”

À 31 ans, Burck Smith est aujourd’hui l’un des rares rescapés d’un groupe en pleine déliquescence. Sa société, qui propose aux écoliers américains des cours de soutien en ligne sept jours sur sept et vingt- quatre heures sur vingt-quatre, continue à perdre de l’argent. Mais elle est toujours en vie. Et les jeunes patrons des premiers jours, Burck et son associé Chris Gergen, sont toujours aux commandes. C’est plus que ne peuvent en dire bien des membres du ” pack “. À Newsletter.com ou à Retail Metro, on a mis la clé sous la porte. Chez Cyveillance, les deux fondateurs, Brandy et Jason Thomas, détiennent toujours 10 % du capital, mais n’exercent plus aucune responsabilité. Ils ne siègent même plus au conseil d’administration. Autour de la capitale fédérale des États-Unis, comme dans le reste de l’Amérique, l’effondrement de la nouvelle économie produit des effets spectaculaires.Et l’impact de la déconfiture des start-up n’est rien comparé aux milliers de licenciements provoqués par les déboires de groupes comme Teligent ?” cet opérateur de télécommunications vient de se placer sous la protection de la loi américaine sur les faillites ?” ou Microstrategy, un fabricant de logiciels qui vient d’annoncer le renvoi d’un tiers de ses 1 800 employés. Fin mars 2001, le Washington Post avait déjà recensé la suppression de 6 000 emplois en l’espace de six mois dans la haute technologie régionale, sur un effectif total d’environ 550 000 personnes.En un an, relevait également le quotidien dans son édition du 30 avril, plus de trente entreprises cotées en Bourse ont fait faillite, ont été reprises, ou ont été tout simplement éjectées de la cote par les autorités du Nasdaq. Quant au capital-risque, “ les montants investis ont diminué de 45 à 50 % depuis l’année dernière “, annonce Greg Shuk, qui dirige à Reston, en Virginie, le bureau régional de Rea Leaf, un capital-risqueur de la Silicon Valley. “Et le plus souvent, nous faisions peu de nouveaux investissements, pour nous concentrer sur les sociétés de notre portefeuille existant et les aider à traverser cette passe difficile.“Le choc est rude. Car l’économie de la ville de Washington ?” dont les frontières coïncident avec le district de Columbia ?” celle des ” banlieues ” environnantes ou des États voisins de Virginie, du Maryland, et dans une moindre mesure du Delaware, a été profondément transformée en l’espace de quelques années par l’explosion de l’industrie et des services liés aux nouvelles technologies. De capitale dortoir peuplée de fonctionnaires, de politiciens et d’avocats, la région de Washington est devenue l’un des pôles technologiques les plus dynamiques des États-Unis, autobaptisé ” Techtopia “. Les 9 800 entreprises régionales du secteur des technologies de l’information emploient, aujourd’hui, un effectif supérieur de 60 % à celui du gouvernement fédéral. Le nombre de ses salariés a augmenté de près de 70 % en trois ans, essentiellement sous l’influence de deux géants, America Online et Uunet, aujourd’hui intégrée au groupe World Com. “Il ne faut pas oublier non plus qu’internet a ses racines au Pentagone. C’est une technologie qui est née dans cette région“, souligne Christine Chmura, présidente de Chmura Economics.”Mais voilà que l’exploit de ces dernières années apparaît comme une source de vulnérabilité. Effectivement, il a certes fallu six mois pour que l’effondrement du Nasdaq fasse sentir ses effets, explique Greg Shuk. À partir de l’automne dernier, les choses ont commencé à se gâter.

Le “Dulles Corridor”

L’épicentre de ce tremblement de terre, c’est le ” Dulles Corridor “, l’enfilade d’entrepôts et d’immeubles de bureaux qui bordent l’autoroute menant à l’aéroport international de Dulles, au nord de la Virginie. “C’est simple“, résume Steven Snider, un avocat d’affaires de Washington dont le cabinet, Hale & Dorr, est l’un des parrains d’une étude récente sur le rôle de la high-tech dans l’économie régionale : “Dans le “corridor”, 700 000 mètres carrés de nouveaux bureaux ont été absorbés en 2000. Et au cours des trois premiers mois de 2001, 400 000 mètres carrés sont revenus sur le marché.“Agent immobilier depuis 27 ans, Bill Hunt est aux premières loges du marasme, qu’il observe depuis une petite maison blanche plantée au bord de la route 28, où son agence, Dulles Commercial Real Estate, a installé ses bureaux. De l’autre côté de la route se trouve un entrepôt de 10 000 mètres carrés bâti à la hâte. Vide. Le propriétaire, une filiale de UBS Paine Webber, en veulent 20 dollars (23,6 euros) du mètre carré par an. “Cela vaut probablement la moitié “, tranche Bill, dont l’un des clients pourrait être intéressé par le quart de la surface. “Au début, ils ne voulaient pas me parler, j’étais trop petit pour eux. Depuis quelque temps, ils ont retrouvé mon numéro de téléphone“, dit-il en souriant. Paradoxalement, il n’est pas mécontent de voir s’achever l’euphorie, de ne plus être enseveli par les appels de clients prêts à acheter n’importe quoi à n’importe quel prix, à condition de pouvoir emménager tout de suite.” Les loyers ont baissé de 10 à 15 % au cours des six derniers mois, estime Bill Hunt. On retrouve une situation plus normale“.Panos Anastassiadis incarne l’un des autres visages de ce retour à la normalité. La cinquantaine, 25 ans de carrière dans l’informatique derrière lui, il est PDG de Cyveillance depuis un mois. C’est lui que les actionnaires sont allés chercher après avoir gentiment poussé dehors le jeune fondateur Brandy Thomas. Car le concept est prometteur : le logiciel de Cyveillance, qui traque sur internet l’utilisation illégale des marques, a permis de décrocher une cinquantaine de clients comme Merrill Lynch, Dow Jones, De Beers ou le Washington Post. “ Il ne manquait qu’un véritable patron à la tête de l’opération. Le cas n’est pas rare“, souligne Paul Dinte, président de Dinte Resources, un cabinet de recrutement de McLean, en Virginie, spécialisé dans la high-tech. “ Pour prétendre être un bon PDG, il faut avoir au moins 20 ans d’expérience derrière soi “, dit-il. Un profil peu courant, et qui est aujourd’hui très recherché. À peine arrivé aux affaires, Panos Anastassiadis a convoqué le conseil d’administration. “J’ai dit à la moitié des administrateurs que je voulais qu’ils partent, mais qu’ils nous donnent un peu d’argent avant, explique-t-il. Quand on licencie des employés, il faut également se séparer des managers. ” Puis il a fait parler l’expérience, concentré les équipes, resserré le marketing. Le nom du logiciel de Cyveillance, Netsapien, est passé aux oubliettes. “ On a besoin d’une marque, pas de deux“, dit-il.Des crises comme celle que traverse la high-tech américaine, “ j’en ai vu une douzaine dans ma carrière“, dit Panos Anastassiadis. Il assure que Cyveillance sera bénéficiaire “au tout début de l’année prochaine“. “Quant à l’économie de la région de Washington dans son ensemble, elle est loin d’être traumatisée , assure Stephen Fuller, professeur à l’université George Mason. La croissance sera probablement de l’ordre de 3,5 % pour cette année, assure-t-il. Et, 97 000 nouveaux emplois seront créés cette année.” Le taux de chômage restera inférieur à 3 %, bien au-dessous de la moyenne nationale.

Salvatrices dépenses

D’où vient cette capacité de résistance ? D’un gouvernement fédéral un peu trop vite oublié. Certes, l’emploi y a sensiblement diminué. Mais les quelque 74 milliards de dollars que dépense chaque année le gouvernement dans la région représentent à eux seuls 35 % du ” produit régional brut “, selon les calculs de Stephen Fuller. La high-tech n’est qu’un lointain deuxième, avec environ 40 milliards de chiffre d’affaires par an, dont près de 15 milliards proviennent des commandes de l’État. La déréglementation des télécoms prônée par l’administration Bush ou le projet de bouclier nucléaire sont autant de mannes potentielles pour les entreprises de la région.Dans ses modestes bureaux de Pennsylvania Avenue, à quelques encablures de la Maison Blanche, Burck Smith ne rêve pas tant aux milliards du gouvernement (même si la plupart des ses clients potentiels sont des écoles publiques) que du jour où Smarthinking.com sera définitivement tirée d’affaire. “Je ne crois pas que le pire soit déjà derrière nous. Il viendra quand ces milliers de gens licenciés auront épuisé leurs ressources.” Cela n’empêchera pas la vingtaine de collaborateurs de cette jeune pousse de continuer à travailler d’arrache-pied. Car “dans douze à dix-huit mois, assure sans relâche leur jeune patron, nous serons profitables“.
L’économie américaine poursuit sa glissade









































































 Comparaison sur un an de la croissance économique américaine 
     mai-00     mai-01 
         
 Rythme de croissance du PIB     5,3%     2,7% 
         
 Gains de productivité     3,8%     2,8% 
         
 Taux de chômage     3,9%     5,0% 
         
 Licenciements dans les dot-com     –     +60% (*) 
 
(*) Cette progression, afférente aux cinq premiers mois de l’exercice 2001, est à comparer à la totalité de l’année précédente.
La dégradation des données fondamentales de l’économie américaine se confirme pour l’année 2001.

Sources : estimations croisées du Census Bureau, du cabinet Challenger, Gray & Christmas et du Nouvel Hebdo.

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Thomas Maurice, envoyé spécial à San Francisco