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Une loi technologiquement incorrecte

A quoi bon légiférer contre le piratage alors qu’il sera très facile de contourner la loi ?

Le 30 mars, les débats et votes autour du projet de loi Création et Internet ont repris à l’Assemblée nationale. Un petit rappel rapide : il s’agit du projet de loi qui institue l’Hadopi, la haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet.Plus trivialement, c’est surtout la loi qui met en œuvre le principe de la riposte graduée : les ayants droit constateront les téléchargements de copies pirates d’œuvres de leurs catalogues sur les réseaux peer to peer (BitTorrent, eMule, etc.) et noteront les adresses IP des contrevenants. L’Hadopi, de façon automatisée, ira alors relever auprès des FAI les identités réelles des pirates supposés. S’ensuivra l’envoi de deux courriers électroniques et d’une lettre recommandée avant une suspension de la connexion à Internet du contrevenant, pour une durée pouvant aller jusqu’à un an. Une sanction administrative, sans passage par une juridiction quelconque, pour laquelle les voies de recours ne courront qu’une fois la sanction appliquée.

Quid de la faisabilité ?

Les bancs des parlementaires n’accueillaient, lors des débats les plus importants des 30 et 31 mars, qu’une vingtaine de députés. Sans coup férir, la ministre de la Culture, Christine Albanel, et le rapporteur de la loi, Franck Riester, ont fait adopter tous les articles et leurs amendements, sans pour autant répondre aux questions sur la faisabilité technique de la loi. Tout bonnement parce que la plupart des questions légitimes ne pouvaient trouver réponse.Sont oubliés tous les échanges de fichiers sortant du cadre d’Internet. On pense aux échanges de CD et de DVD gravés, mais surtout de disques durs et de clés USB. On peut anticiper une recrudescence de l’échange de la main à la main, autour de la machine à café ou dans les cours de récréation. Le paradoxe antiproductif de la loi serait qu’au lieu de pousser les “ pirates ” à ne télécharger qu’un titre à la demande, ils s’échangeraient désormais plus couramment des bibliothèques entières de contenus pirates d’un seul coup : les pirates n’iront pas chercher sélectivement un titre dans une clé de 16 Go prêtée par un ami, mais copieront le tout en bloc.Les échanges sur Internet eux-mêmes ne sont, dans le cadre de la loi, compris que comme ceux qui s’effectuent sur les réseaux peer to peer. Les premiers courriers envoyés par l’Hadopi créeront un recul visible des échanges sur ces réseaux, mais en relançant les autres moyens “ classiques ” : sur le Web, trouver un fichier MP3 hébergé au grand jour est un jeu d’enfants. Le piratage ne rime d’ailleurs souvent plus avec “ téléchargement ”, mais avec “ streaming ”. Et que dire des forums où s’échangent des liens pointant vers des fichiers archivés, hébergés sur des serveurs étrangers tels RapidShare ou Megaupload ? Les “ newsgroups ”, des forums mondiaux, sont aussi des lieux d’échanges anonymes toujours actifs.

Surveillance généralisée

Les solutions alternatives sont donc légion. Pour les contrer, puisque le but de la loi Création et Internet est de lutter contre le piratage, il n’est d’autre solution que de mettre en place une surveillance généralisée d’Internet. Le législateur l’a d’ailleurs prévue et l’amendement 50 voté par les députés donne pour mission à l’Hadopi d’évaluer les expérimentations de reconnaissance et de filtrage de contenus ! Bref, pour sauver les revenus de l’industrie culturelle, c’est la voie ouverte aux écoutes sur Internet !Le législateur oublie également que les mises à jour logicielles ou le passage d’un logiciel à un autre ne demandent que peu d’efforts aux internautes. Les éditeurs proposeront rapidement de passer à la version “ anonymisée ” ou “ cryptée ” de leurs logiciels : avec Tor, ou en utilisant les réseaux anonymisés Freenet, par exemple, il est impossible de savoir ce qu’un internaute fait. La seule solution consistera alors pour le législateur à interdire l’utilisation des logiciels destinés à garantir l’anonymat à leurs utilisateurs…La loi est enfin totalement candide quant à la fiabilité des solutions de détection des adresses IP et leur recoupement avec une identité réelle. Il est extrêmement simple, aujourd’hui, de pirater une box en Wi-Fi et cela ne risque pas de changer : la technologie Wep de sécurisation de la connexion est intrinsèquement inefficace. Pourtant, pour qui veut, par exemple, jouer en Wi-Fi avec sa console DS, c’est la seule solution disponible. L’Hadopi sera une usine à fabriquer des sanctions injustement attribuées, puisqu’elle ne s’attache qu’à l’identité du titulaire de l’abonnement.Que l’on se rassure donc : la liste des imperfections de la loi ainsi que de ses carences technologiques s’allonge au fur et à mesure des débats parlementaires. A peine votée, elle sera déjà aussi obsolète et inappropriée que la loi Dadvsi en son temps. Et, espérons-le, comme elle, inapplicable

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Stéphane Viossat