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Trop vite grandies, les jeunes pousses ont désormais besoin de tuteurs

Pour les agences Web, tout est allé très vite. En quelques mois, leur chiffre d’affaires et leur effectif ont connu une croissance extraordinaire. Aujourd’hui, le temps est venu pour elles de souffler et de se renforcer.

Après un développement des plus rapides, les jeunes pousses éprouvent le besoin de disposer de tuteurs. C’est-à-dire de structures solides, encadrées par des managers expérimentés.
Quand votre croissance est de 100 % par an, vous vous occupez de vos clients, pas de vous. Beaucoup de sociétés ont fait l’impasse sur la mise en place de l’organisation indispensable à leur pérennité”, constate Reza Ghaem-Maghami, directeur général de Framfab France. Ce processus qui consiste à harmoniser l’organisation de l’entreprise avec sa taille et à recruter dans ce but des cadres d’expérience est appelé ” seniorisation “.Celle-ci couvre un aspect structurel au niveau des ressources humaines ou de la direction administrative et financière, par exemple. Et un aspect opérationnel au niveau des responsables expérimentés, qui viennent épauler les équipes de production.

Les prestataires Web se dotent de structures de type PME

Le renforcement des structures de gestion avec la mise en place de processus systématiques est devenu un impératif pour des entreprises qui ne peuvent plus uniquement baser leur développement sur des appels successifs à des financements extérieurs (voir l’article Conjoncture). Vincent Graumer, responsable du recrutement chez Orange Art, souligne d’ailleurs le rôle que tiennent les investisseurs dans cette évolution : “Il y avait déjà une prise de conscience interne. Mais ce sont eux qui nous poussent de plus en plus dans ce sens.”Au risque de perdre une part de l’esprit d’entreprise qui avait stimulé leur développement, les prestataires du Web sont donc contraints de se doter de structures de PME. Un contrôle de gestion d’autant plus rigoureux que les temps sont durs limitera ainsi les horaires fantaisistes ou les débordements de projets mal définis. Les personnes recrutées à ces postes structurels viennent le plus souvent de l’ancienne économie. Elles seront chargées ?” à la déception de certains ?” d’en importer la rigueur et le professionnalisme.Concernant les postes d’encadrement opérationnel, le besoin en managers chevronnés est particulièrement aiguisé par l’évolution récente des projets Internet. Plus lourds, plus complexes, ils demandent des responsables capables de les appréhender dans leur globalité, de faire preuve de meilleures capacités d’organisation, de plus de force de proposition et de conviction face au client. Plus nombreux, ils exigent une répartition plus fine des ressources, et donc des arbitrages plus délicats.Enfin, les clients sont désormais souvent plus compétents et plus exigeants. Par conséquent, les chefs de projet ou les responsables de clientèle qui se présentent à eux doivent être d’autant plus aptes à manier la diplomatie et la fermeté. Vertus qui ne s’acquièrent qu’avec l’expérience. Pour les chefs et directeurs de projet rodés par des années d’informatique traditionnelle dans les sociétés de services informatiques, de tels besoins représentent une véritable opportunité.

Un expérience métier de plus en plus nécéssaire

C’est ainsi que, après onze ans passés dans une société de services informatiques, Anne Chanal a été recrutée par Fluxus afin d’encadrer des chefs de projet pour l’activité d’hébergement. “Ils ont entre dix et quinze comptes à leur charge et sont soumis à une très forte pression face à des clients qui se professionnalisent. L’un de mes rôles est de leur apprendre à accepter les récriminations”, explique-t-elle.Pour ces postes d’encadrement qui demandent d’autant plus d’habileté que les profils sont souvent plus variés et les personnalités plus fortes que dans les sociétés de services, la connaissance des technologies Internet n’est pas forcément indispensable. “Je suis arrivée en disant que je n’y connaissais rien”, se souvient Anne Chanal.Cependant, souligne John Garner, consultant senior de la société MarchFirst, “le risque, lorsqu’on ne maîtrise pas la technique, est de passer à côté de certains aspects”. Et les candidats possédant une double expérience de management et d’Internet sont moins rares qu’on ne le pense. “On trouve dans les entreprises de nombreux responsables informatiques qui ont déjà dû mener des projets liés à Internet”, note Michel Poulalion, directeur du recrutement de MarchFirst.Les responsables informatiques issus de la banque ou de grands groupes industriels sont particulièrement courtisés, car ils ont en outre l’avantage de posséder une expérience métier de plus en plus nécessaire au fur et à mesure que les projets Internet touchent le c?”ur de l’activité de l’entreprise. Pourtant, si les besoins et les ressources pour les satisfaire existent, le recrutement de ces profils expérimentés devient délicat.Du fait d’une conjoncture plus morose et du retour de flamme médiatique, on est loin de l’euphorie d’il y a quelques mois, où de nombreux cadres étaient prêts à tenter l’aventure de l’Internet.

“Depuis quelques semaines, on constate une baisse dans la quantité et la qualité des curriculum vitæ”, constate Michel Poulalion. En fait, les candidats se montrent désormais plus prudents. L’excitation, l’ambiance, ne suffisent plus. Ils attendent des garanties avant de s’engager. Solidité de l’entreprise, possibilités d’évolution, rémunération…” Il faut être plus convaincant, présenter des arguments valables, des faits tangibles “, souligne Roselyne Loeb, directrice des ressources humaines à l’agence PixelPark. Ce que confirme le directeur général de la société Framfab France, Reza Ghaem-Maghami : ” Les candidats exigent plus d’information et de transparence. “

Cercle vertueux pour les uns, vicieux poue les autres

La santé de l’entreprise, ses références, ses prospects, ses projets de développement, en particulier au niveau international, ses efforts en matière de formation, sont autant d’informations sur lesquels les candidats ne se contenteront pas de réponses évasives. Le rapport de force a évolué, et pour convaincre un candidat de haut niveau, il faut apporter le même soin et le même professionnalisme que face à un investisseur, par exemple.” Quand j’ai rencontré MarchFirst, c’était la seule société à avoir lu en détail mon curriculum vitæ, à avoir visité les liens de mes réalisations antérieures “, se souvient le consultant senior John Garner. Le recrutement lui-même compte au nombre des processus à rationaliser dans l’entreprise.Même si certains d’entre eux pratiquent une dangereuse surenchère salariale, les prestataires du Web misent surtout sur la cooptation afin de trouver, d’attirer et de convaincre ces profils expérimentés. Une solution qui pour être efficace, n’est pas sans comporter des risques. Les liens effectifs entre les personnes recrutées facilitent la création d’un ” clan des chefs “, par opposition à la masse existante des salariés. Ce qui peut constituer un obstacle supplémentaire à la bonne intégration des nouveaux chefs dans la société. (voir l’article Management ).A la cooptation, canal de recrutement privilégié pour ces cadres expérimentés, s’ajoutent les candidatures spontanées et le recours aux sites Web dédiés à l’emploi et parfois, pour certains profils très particuliers, à des chasseurs de têtes.
La nécessité absolue de ces recrutements dans une période délicate et la circonspection des candidats créent les conditions d’un cercle vertueux pour les uns, vicieux pour les autres. Les plus solides auront le plus de chances d’attirer les meilleurs. Ce qui renforcera encore leur position.Mieux gérées, plus professionnelles, les agences Web qui parviendront à s’armer des meilleurs éléments auront les meilleures chances de survie sur un marché qui devrait profondément se structurer dans les mois à venir.

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Jean-Baptiste Dupin