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Thibaud Simphal (Uber France): «En nous attaquant, on vise l’économie du partage»

À la veille du référé qui doit avoir lieu à Paris, le directeur général d’Uber France nous a donné son point de vue sur la situation explosive avec les chauffeurs de taxi.

Dure semaine pour Uber. Entre une agression d’une de ses clientes à Lille, les propos déplacés d’un de ses dirigeants aux États-Unis, des révélations sur les données privées, le groupe californien subit de vives attaques.

La série va se poursuivre dès demain. Uber affronte Transdev et plusieurs syndicats de taxis en justice lors d’un référé à Paris. L’objet du litige porte sur Uber Pop, le service de covoiturage. Pour le soutenir, le groupe vient même de lancer une pétition auprès de ses utilisateurs.

Avant cette audience, Thibaud Simphal, directeur général Uber France, nous a reçu pour évoquer un dossier plus qu’épineux.

Quel est le problème de fond entre vous et les taxis. C’est UberPop, le service de covoiturage, ou l’existence même d’Uber ?

Thibaud Simphal – Sur le fond, je pense que c’est l’existence d’Uber et son développement qui pose problème. D’autant que depuis notre arrivée, de nombreuses sociétés de VTC sont apparues pour proposer un modèle similaire. Il faut regarder cela sans oublier que depuis quasiment 1947, le secteur du taxi n’a pas connu de réelle innovation, et c’est la première fois qu’ils sont confrontés à la concurrence. C’est ça qui dérange.

Pour être clair, ni les chauffeurs de taxi, ni les sociétés de taxis ne sont nos adversaires. À New York, à Chicago, à Londres ou dans d’autres grandes villes du monde, il y a énormément de taxis qui travaillent désormais pour Uber.

Notre seule préoccupation, c’est la technologie appliquée à la mobilité.

D’ailleurs, vous êtes une entreprise technologique, pas une société de taxi.

Thibaud Simphal – Effectivement. D’ailleurs, notre mission est d’appliquer la technologie à une problématique, celle de transporter des personnes. Nous pensons qu’il y a de très fortes opportunités dans le monde entier, qu’il s’agisse des pays développés ou émergents. Ces technologies apportent des solutions aux personnes qui veulent être transportées, mais aussi des opportunités économiques aux chauffeurs. C’est notre seule préoccupation.

Peut-être, mais vos réponses aux taxis sont parfois agressives.

Thibaud Simphal – Il ne s’agit pas d’attaques, mais d’innovations. Il faut faire la part des choses. Nous ne voulons pas tuer un secteur. Nous amenons de la valeur ajoutée avec des technologies qui ne sont pas destinées à éliminer des concurrents, mais à faire grossir le gâteau de la mobilité partagée. Parce que finalement, les taxis, les VTC et UberPop sont sur la même problématique qui est de créer un écosystème de transports partagé avec des moyens existants.

Cela permet à une personne d’utiliser son véhicule personnel pour compléter ses revenus en travaillant quelques heures par semaine ou par mois.

Ça permet de créer des options de transports à bas coût qui n’existaient pas et sans investissement, puisque la personne dispose déjà d’un véhicule privé qui ne coute rien à l’État, contrairement à une ligne de chemin de fer.

La tension porte tout de même sur votre offre de covoiturage UberPop.

Thibaud Simphal – La tension est aussi sur tous les VTC. Les taxis font tout leur possible pour freiner leur développement. Cette tension porte en fait sur les offres alternatives de transport. Je le répète, c’est un secteur qui n’a pas connu de concurrence pendant des décennies. Même le Conseil de la concurrence l’a écrit dans un rapport de 2013. Ce rapport rappelle que l’organisation du marché du transport léger de personnes en France est totalement insatisfaisante. L’offre est insuffisante, les prix sont trop élevés et il n’y a pas assez de flexibilité. Bref, le consommateur ou la création d’emploi n’y gagnent rien. N’oublions pas non plus les recettes fiscales !

Justement, combien pensez-vous avoir créé d’emplois en France ?

Thibaud Simphal – Les VTC sont aujourd’hui entre 7000 et 8000 à Paris où nous sommes leaders. Ce n’est qu’un début, car d’ici fin 2016, il y a un potentiel pour créer 80 000 emplois de chauffeurs indépendants. Quant on compare, Paris a 8000 VTC et 17 000 taxis, tandis qu’à Londres il y a 20 000 taxis et 80 000 VTC et à New York, il y a 20 000 taxis et 160 000 VTC.

On dit souvent que ce marché ne dispose pas assez de demande, c’est faux. Regardons le numerus clausus des taxis alors qu’il y a une explosion des besoins de mobilité qui va de pair avec l’explosion de la taille de ville. Depuis 60 ans, le nombre de taxis parisiens a augmenté de 1000 alors que la population parisienne a doublé.

Et sur le grand Paris, les VTC apportent une offre qui n’existait pas. 15% de trajets démarrent ou finissent à plus d’un kilomètre d’une station de métro.

Je reviens sur UberPop. Comment expliquez-vous les attaques contre ce service ?

Thibaud Simphal – La première raison est une résistance générale à l’innovation. Quand vous avez été habitué à penser d’une certaine manière pendant des années et qu’il n’existait en gros que trois solutions pour se déplacer, les transports en commun, les taxis ou la voiture personnelle, il est difficile de changer de vision.

C’est d’autant plus difficile que les chauffeurs de taxi paient cher la licence qui leur permet de travailler.

Thibaud Simphal – À l’origine cette plaque n’existe pas. C’est un permis de stationnement qui permet d’attendre sa clientèle dans la rue. L’idée de plaque ou de licence est une invention populaire qui s’est propagée sans que l’État n’intervienne. L’effet pervers arrive quand la demande est supérieure à l’offre: les prix des plaques qui sont vendues entre chauffeurs explosent. C’est devenu un fond de retraite, mais ça n’a jamais été un fond de commerce. C’est ni plus ni moins que la matérialisation de la maraude.

Est-ce que l’inquiétude ne vient pas aussi du fait qu’Uber est une société californienne comme Google, Amazon, Facebook ou Apple ?

Thibaud Simphal – Le fait est qu’on s’attaque plus à nous qu’aux autres. Sur le covoiturage, Blablacar fait une concurrence directe à la SNCF. Même les VTC français ou européens ne sont pas attaqués. C’est un fait. Il est plus facile d’attaquer le leader américain, mais on ne peut réduire le problème à cela. D’ailleurs, je ne pense pas que ce soit de l’antiaméricanisme. La direction d’Uber France est française, comme les chauffeurs. Par contre, nos chauffeurs sont plus visibles, car ils sont concentrés, ça peut expliquer les tensions.

Mais quand on regarde le succès que nous avons rencontré aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, on voit que l’avancée est inéluctable.

Concernant les données, êtes-vous prêt à embrasser l’Open Data pour aller encore plus loin dans l’innovation ?

Thibaud Simphal – On essaye, mais les taxis ne veulent pas. Sur ce sujet, nous avons rencontré la mairie de Paris et le gouvernement. Nous avons proposé de leur donner des données anonymisées. On peut donner toutes les données qu’ils veulent pour qu’ils aient une vision de nos flux en fonction des heures et des lieux. Ça sert notre cause et celle des citoyens.

Une audience en référé se tiendra demain. Quels arguments donnerez-vous pour défendre votre cas ?

Thibaud Simphal – Il faut distinguer les arguments de procédure et les arguments juridiques. Dans les deux cas, ils sont très forts et nous les défendrons avec vigueur. Sur le plan juridique, l’un des plus importants est que la loi sur laquelle repose les arguments de Transdev a été faite en urgence à la suite de manifestations de taxis. On a été vaguement et très rapidement consulté.

Pour son rapport, Thomas Thévenoud n’a pas non plus consulté les associations de consommateurs pour écrire cette loi passée en plein été au Sénat. À ce moment, les sénateurs étaient en période d’élection et ils ont adopté ce texte un peu trop rapidement. Elle a ensuite été ratifiée, le tout en moins de trois mois. Mais ce n’est pas tout. Des articles ont été introduits à la dernière minute sans qu’on nous consulte. C’est le cas du retour au garage entre deux courses pour les VTC, qui tue leur rentabilité. Pour moi, cette loi vise directement l’économie du partage.

L’ironie de l’histoire est qu’avant l’adoption de cette loi, la RATP nous a contactés pour que nous l’aidions à résoudre le problème des travaux sur leurs lignes, en proposant de solutions alternatives de transports sur les stations fermées.

Ce qui est dommage dans tout cela est qu’après le rapport Attali, une loi sur les VTC a été adoptée. À l’époque, c’était courageux. Par contre, ces attaques et la loi Thévenoud sont une régression.

Et si, malgré vos arguements, la justice décide tout de même d’interdire UberPop, comment réagirez-vous ?

Thibaud Simphal – Le juge est libre de ses décisions et nous les respecterons. Mais nous exercerons toutes les voies de recours disponibles, qu’elles soient françaises ou européennes. Nous sommes dans un état de droit et nous avons confiance dans la justice.

Transdev demande surtout au juge de reconnaître l’urgence du dossier en affirmant qu’UberPop les empêche de se développer. Mais Transdev a beaucoup d’autres concurrents VTC qui sont eux aussi en plein essor. Demander l’interdiction de notre service est une aberration économique.

 

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Propos recueillis par Pascal Samama