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Télécommunications, l’été meurtrier

La faillite de WorldCom a retenti comme un coup de tonnerre, mais, au-delà des déboires des opérateurs américains, la situation reste contrastée.

Après Enron… WorldCom ! Au-delà des difficultés de la plupart des grands opérateurs mondiaux, les pratiques frauduleuses apparues lors de la faillite de WorldCom ne sont pas faites pour redorer le blason du secteur.Aux dernières nouvelles, les malversations comptables ayant provoqué la plus importante banqueroute de l’histoire américaine et la chute du cinquième opérateur mondial (et deuxième opérateur longue distance aux États-Unis) se monteraient à 7,1 milliards de dollars. Une situation qui fait frémir et dont le point commun avec Enron est que ces deux entreprises avaient prospéré grâce à la politique américaine de dérégulation des monopoles historiques (l’énergie, dans le cas d’Enron ; les télécommunications, dans celui de WorldCom).

L’arrestation de cinq dirigeants d’Adelphia

Loin d’être isolées, ces deux affaires emblématiques feraient presque passer au second plan la faillite d’Adelphia, le cinquième câblo-opérateur américain. Avec l’arrestation, fin juillet, de cinq de ses dirigeants, l’affaire Adelphia révèle des dessous particulièrement malhonnêtes : outre d’avoir dissimulé plus de 2 milliards de dollars de dettes et d’avoir falsifié le nombre d’abonnés, il est également reproché aux dirigeants d’Adelphia d’avoir abondamment utilisé la trésorerie de la société pour des dépenses personnelles.Un contexte dans lequel AOL Time Warner, suspecté de manipulations comptables dans ses relations commerciales avec WorldCom et Qwest, est également sur la sellette. Autant d’éléments, donc, qui, dans la foulée de l’explosion de la bulle Internet, résument bien le climat qui règne dans les télécoms américaines. La Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme de la Bourse américaine, a du pain sur la planche !En Europe, on n’en est pas là, même si le poids de la dette pèse sur de nombreux opérateurs historiques (France Télécom, Deutsche Telekom, et KPN). A contrario, et presque paradoxalement, les télécoms demeurent l’une des principales valeurs sûres de Vivendi Universal, dont la filiale Cegetel – moins de 1 milliard d’euros de dettes – est l’objet de nombreuses convoitises.

” Si on passe l’été, on passera l’hiver “

Alors que, au printemps dernier, Cegetel s’inquiétait publiquement du risque pour “les utilisateurs de devenir les otages de la dette de France Télécom”, la situation est aujourd’hui inversée, puisque le sort de Cegetel sera intimement lié à la capacité de sa maison mère à se désendetter rapidement (sous la pression de BT, un autre actionnaire de Cegetel, Vivendi Universal a dû rembourser cet été quelque 920 millions d’euros de prêts que lui avait consentis sa filiale). Or, Vivendi Universal a un acheteur tout trouvé pour Cegetel, le britannique Vodafone, qui ferait volontiers main basse sur SFR (filiale de Cegetel, dont Vodafone détient déjà 20 %).Bien que Cegetel ne soit, officiellement, toujours pas à vendre, la tension est encore montée d’un cran au cours de ces dernières semaines. “Si on passe l’été, on passera l’hiver”, dit-on dans l’entourage de Philippe Germond, le président de Cegetel… Bien qu’il soit devenu une très belle affaire grâce au cash-flow généré par SFR (747 millions d’euros de résultat net en 2001), faut-il pour autant laisser le numéro deux français du téléphone passer sous pavillon britannique ? Au-delà du “sauvetage” de Vivendi Universal, c’est aussi l’un des enjeux – et non des moindres – des mois qui viennent.Autre acteur sous le feu des projecteurs : le câblo-opérateur néerlandais UPC (filiale du groupe Liberty Media de John Malone) qui pourrait se mettre en faillite incessamment. Avec une dette de près de 10 milliards d’euros, l’aventure d’UPC en Europe (4,4 milliards d’euros de pertes en 2001 pour un chiffre d’affaires correspondant de 1,38 milliard d’euros), même avec un résultat d’exploitation en nette amélioration, risque de tourner court.

Tele 2 perd son mentor

Changement de registre, mais lourdes incertitudes également autour de Tele 2, avec la disparition, fin août, de son fondateur Jan Stenbeck. Spécialiste du low cost (bas prix) dans le téléphone, Tele 2 (3,2 milliards d’euros de chiffres d’affaires en 2001 avec 15 millions d’abonnés) avait réussi, grâce à son marketing agressif et à la simplicité de ses offres, à imposer rapidement son modèle en Europe. De l’avis de nombreux observateurs, l’absence de Jan Stenbeck, qui présidait personnellement les différentes sociétés de son groupe, aura un impact non négligeable sur l’avenir de Tele 2.

Atypiques mais très profitables

Parmi les opérateurs qui font rarement parler d’eux, citons le cas éloquent de Swisscom, dont le directeur général, Jens Alder, vient de sortir du bois en déclarant : “Si des opérateurs historiques voulaient se séparer de certains pans de leur activité, à leur place, je préférerais les céder à un autre opérateur et non pas à une banque ou à un fonds d’investissement.” Et Swisscom de préciser qu’il pourrait mobiliser entre 3,4 et 6,8 milliards d’euros pour procéder à des acquisitions. Il est vrai qu’avec un taux de profit (résultat net/chiffre d’affaires) de 35 % en 2001, Swisscom affiche, par les temps qui courent, un ratio spectaculaire pour un opérateur. Même si son marché domestique demeure assez bien verrouillé, sa performance s’explique aussi par sa prudence en matière d’investissements à l’étranger. Autre opérateur atypique dont le marché domestique est solidement verrouillé : le mexicain Telmex, dont le résultat d’exploitation a représenté 54 % du chiffre d’affaires en 2001 ! De quoi faire pâlir d’envie les investisseurs, sachant que la dette ou le laminage des marges n’est pas une fatalité. Mais, ce qui ressort plus fondamentalement, c’est aussi la stratégie moutonnière de la plupart des ténors du secteur, avec leur boulimie d’acquisitions et leur internationalisation à marche forcée. Commentaire de Carlos Slim, patron de Grupo Carso et principal actionnaire de Telmex : “Je ne crois pas que les entreprises de télécommunications doivent être globales. On n’est pas Coca-Cola.”
1 Une analyse diamétralement opposée à celle d’Orange ou de T-Mobil, pour ne prendre que ces deux exemples. Ironie de l’histoire, France Télécom, qui détenait 7 % de Telmex, a finalement revendu cette participation afin de… financer le rachat d’Orange.1. Cité par Le Nouvel Observateur du 1er août 2002.

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Henri Bessières