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Télécom Paris défend le peer-to-peer

L’école d’ingénieurs critique l’idée d’une taxation de l’upload pour dédommager les ayants droit lésés par le partage de fichiers. Mais elle ne propose pas d’autre modèle.

Le peer-to-peer n’en finit pas d’alimenter le débat. En marge des menaces des
maisons de disques, de leurs démêlés avec les fournisseurs d’accès à Internet ou des lois en cours d’adoption, les écoles d’ingénieurs ont aussi un avis.En réponse au
rapport du Cerna (un laboratoire de l’école des Mines de Paris), proposant de faire payer à l’internaute le trafic remontant (l’upload) dans le but de limiter la
mise à disposition de fichiers protégés, un groupe de chercheurs de l’Ecole nationale supérieure de télécommunications de Paris (ENST) et du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) vient de rendre une sorte de contre-rapport, contestant
les objectifs et l’argumentaire du précédent document. Pour les auteurs, la piste explorée par le Cerna est tout simplement dangereuse pour Internet.‘ L’idée du Cerna, résume Michel Gensollen, membre du département économie, gestion, sciences sociales et humaines de Télécom Paris, c’est de dire qu’il faut faire quelque chose parce que les
réseaux
peer-to-peer nuisent à la vente des supports physiques.
Déjà, ça, c’est discutable, mais même si c’était vrai, ce ne serait pas une raison pour taxer
l’
upload. Car cette solution serait révélatrice d’une crispation sur les anciens modèles économiques et, au fond, d’un refus du progrès technique apporté par le numérique, dont la copie, l’échange, la
personnalisation, le ‘ bricolage ‘ des contenus font justement l’intérêt.

Une solution nuisible à tout le monde

Pour les chercheurs de l’ENST et du Cnam, la taxation de l’upload nuira finalement à tout le monde ou presque. Aux éditeurs, parce qu’elle ‘ diminuera la demande de fichiers musicaux et
réduira donc la rentabilité d’éventuelles plate-formes payantes, même fournissant des fichiers non-protégés
‘. Aux FAI, parce qu’elle implique ‘ l’obligation de vérifier le caractère plus ou moins
licites des trafics (les trafics illicites étant fortement taxés, les trafics licites l’étant peu ou pas du tout) ‘
. Aux pouvoirs publics, parce que cette proposition est en contradiction avec leurs efforts pour promouvoir
Internet et parce qu’elle ‘ ne cache pas qu’elle est faite contre les consommateurs, sans aucun souci de leur bien-être, sans aucune référence à leurs aspirations ‘.Sans compter que toute une série d’applications seraient menacées : jeux en réseau, télé-enseignement, travail à domicile, travaux d’impression de photos numériques, transmission de fichiers personnels… C’est finalement Internet
lui-même qui se retrouverait handicapé.Dernier argument : seuls les internautes français seraient concernés par cette mesure. Impossible en effet d’aller taxer, chez lui, un internaute américain. Donc, plus aucun artiste français ne serait proposé dans les réseaux
peer-to-peer.

Le haut-débit accusé à tort

Les fondements économiques de l’étude du Cerna seraient également sujets à caution. Le parallèle entre développement du haut-débit et crise du marché du disque ne serait qu’une corrélation, la ‘ relation
causale ‘
n’ayant jamais été prouvée. ‘ Le marché du disque n’a pas subi récemment de crise majeure, affirme même le document de l’ENST. La réduction des ventes en volume
[dans le monde, NDLR] est significative, mais régulière et limitée : elle est de l’ordre de 10 % par an sur la période 1999-2002. ‘ La fin du remplacement des vinyles par les CD sur les étagères
des consommateurs serait une explication. En tout cas, l’échange de fichiers n’aurait qu’une part réduite dans la chute des ventes.Mais, note Michel Gensollen, il est une donnée qui n’est jamais prise en compte par les chercheurs des Mines de Paris : ‘ Aux Etats-Unis, toutes les études citent qu’il y a un surplus de consommation avec
le
peer-to-peer ‘. A l’industrie de trouver comment en tirer parti. Alors que l’artiste lui-même ne serait pas aussi pénalisé qu’on le dit : ‘ Le théorème généralement invoqué
est qu’il faut payer la création
, explique Michel Gensollen. Mais ce que reçoit l’auteur, c’est très peu de chose sur l’ensemble de la filière. C’est la filière qui coûte cher et la promotion. ‘Il reste que l’ENST et le Cnam se gardent bien de lancer quelques pistes pour de nouveaux modèles économiques. Ils se contentent de rappeler que ‘ la distribution physique, obsolète, va être remplacée par la
distribution en ligne de fichiers ‘
ou que ‘ la distribution de fichiers numériques modifiera les rapports entre les éditeurs et les auteurs. ‘ Mais cela devrait suffire à agacer
un peu plus lindustrie du disque.

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Arnaud Devillard