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Système Linux et composants serveurs, le couplé gagnant

Les entreprises n’hésitent plus à utiliser le logiciel libre. Pérennité des solutions, disponibilité du code source et entraide de la communauté Internet passent avant même la réduction des coûts.

Le logiciel libre, fourni gratuitement avec ses codes source, séduit de plus en plus les entreprises. Linux et ses composants réseaux raflent la mise mais, à de rares exceptions près, ne quittent pas les serveurs d’entreprise.
Les suites bureautiques sont jugées imparfaites et, surtout, n’offrent pas encore la sacro-sainte compatibilité avec Microsoft Office. Le logiciel en OpenSource n’atteint toujours pas le poste de l’utilisateur. Ainsi, à l’Observatoire européen de l’audiovisuel, Cyril Chaboisseau, responsable de l’informatique de cette entité constituée d’une dizaine de personnes, explique : ‘ Quand il a fallu remplacer un serveur Novell vieillissant, j’ai d’abord testé Linux sur un ancien 486 afin de me rassurer sur les capacités de ce système que je connaissais déjà. ‘ L’essai, concluant, a été transformé. A la clé, un serveur biprocesseur équipé de la distribution Debian.

Quand les serveurs Linux deviennent l’épine dorsale de l’entreprise

Aujourd’hui, à l’exception d’un serveur NT, quatre serveurs sous Debian Linux s’occupent de l’entreprise équipée d’une quinzaine de postes sous Windows. A l’image de Samba, pour le partage de fichiers et d’imprimantes ; de Squid comme serveur proxy ; de PostgreSQL, pour la base de données ; ou d’Apache, pour le Web, seuls les composants serveurs sont concernés.
La démarche est pratiquement la même pour Cyril Sabatier, qui occupe un poste similaire à celui de Cyril Chaboisseau, chez Bocquets Entreprises, une société de deux cents personnes, spécialisée dans le transport et la logistique. Le serveur Linux RedHat est devenu l’épine dorsale de toute la firme. Il gère le DNS (Domain name system), pour l’attribution des adresses IP ; s’occupe de la messagerie ; fait office de coupe-feu, de serveur FTP ; et gère l’Intranet maison, qui permet aux employés d’accéder à leurs dossiers à partir des différents sites de l’entreprise. ‘ Si la machine se bloque, toute l’informatique est paralysée, analyse Cyril Sabatier. Elle n’a été arrêtée qu’une seule fois, depuis décembre 1998, pour une mise à jour matérielle. ‘ C’est son fournisseur de SGBD, Pick System, qui a convaincu François Meillon, directeur informatique de Panol, de passer sous Linux : ‘ Nous avons remplacé un Unix propriétaire par un PC taïwanais, qui, équipé du SGBD D3, de Pick System, nous donne toute satisfaction. ‘
Linux a essaimé sur trois autres serveurs. Deux sont dédiés au partage de fichiers sous Samba ; le dernier abrite le proxy Squid.

Le logiciel libre est encore réservé aux ingénieurs

Aaron Mamou, directeur informatique de Complices, société spécialisée dans le textile et la confection, est lui aussi acquis à la cause du logiciel libre et de Linux, qui fonctionnent également chez ses utilisateurs. ‘ Nos douze stations de travail, qui pilotent le logiciel de conception assistée par ordinateur de la société, tournent sur des PC fonctionnant avec la distribution Linux de RedHat ‘, explique-t-il. Ce logiciel, stratégique pour l’entreprise, bénéficie d’une utilisation optimale des ressources de la machine, en particulier pour l’exploitation de la mémoire et les performances générales du système. Il a, en outre, été choisi pour sa très bonne intégration aux serveurs, qui tournent aussi sous Unix mais, cette fois, sous la version Solaris, de Sun Microsystems. Le service informatique apprécie de surcroît l’ouverture du système et le nombre de pilotes. ‘ Trouver une carte multivoie sous NT, ce n’est même pas la peine d’y compter ‘, confie Aaron Mamou. Le logiciel libre est également accueilli sur le serveur, puisque c’est Samba qui gère le partage des fichiers et des imprimantes pour les stations de travail. En implémentant le protocole SMB (Server message block), de Microsoft, il se substitue, de manière transparente, à des serveurs Windows NT.
Traitant des travaux scientifiques sous Unix depuis près de vingt ans, Alain Berguerand, directeur informatique à la direction de la recherche de la SNCF, utilise ‘ naturellement ‘ le logiciel libre. ‘ Nos ingénieurs, assure-t-il, emploient depuis longtemps les outils GNU (GNU is Not Unix) disponibles en sources. Lorsqu’ils font un nouveau développement, ils cherchent des outils disponibles librement, et ce sont souvent les meilleurs dans leur catégorie. ‘ Les serveurs, d’origine Alpha, Compaq, HP et Sun accueillent ainsi les classiques Apache, PostgreSQL, Samba et Squid. ‘ Lorsqu’il a fallu trouver un remplaçant aux terminaux X permettant d’accéder aux gros calculateurs, complète Alain Berguerand, Linux, avec son interface graphique qui utilise ce protocole, s’est évidemment imposé. ‘ La suite StarOffice, de Sun, fait une percée sur les postes de travail.

La réduction des coûts est souvent citée en dernier

De son côté, Bernard Lang, directeur de recherches à l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique) – qui emploie deux mille cent personnes -et secrétaire de l’Aful (Association française des utilisateurs de Linux et des logiciels libres) est intarissable sur le sujet des logiciels libres. En égratignant Microsoft, qui accapare toute la maintenance informatique pour les postes Windows, il n’a pas assez d’adjectifs pour vanter les mérites de Linux. Il faut dire que le centre de recherche est doté à plus de 50 % de machines Linux. Ce système d’exploitation équipe une grande partie des postes de travail des chercheurs, qui l’utilisent comme seul environnement de travail. Les documents sont le plus souvent réalisés en LaTex ou directement en HTML.
L’Inria contribue d’ailleurs copieusement à l’essor du logiciel libre, que ce soit avec Linux, les langages de programmation (CAML) ou les logiciels développés pour le W3C. A l’Inria, Pierre Weis, un collègue de Bernard Lang, travaille actuellement sur l’édition d’un CD-Rom, qui regroupera les pièces essentielles.
La stabilité de Linux est clairement mise en avant par les utilisateurs. Ainsi, Aaron Mamou affirme : ‘ On a très peu d’interventions. En fait, on n’en a pas du tout. Une fois Linux installé et configuré, on n’en entend plus parler. ‘ Même si le coût des licences n’est pas cité, pour lui, le gain est très net : ‘ On économise le poste d’un responsable micro, qui serait nécessaire si on était sous Windows. ‘ Avec sa solution, les mises à jour des logiciels, les correctifs obligatoires, la course aux patches et les problèmes d’incompatibilité lui sont désormais inconnus. Et d’ajouter : ‘ On peut homogénéiser le parc par la création d’un CD-Rom de référence qui contient les logiciels qui seront employés sur tous les postes. ‘
En épargnant le prix des licences (18 F ht le CD), Cyril Chaboisseau a pu avoir un serveur de haut de gamme que le budget alloué n’aurait jamais permis d’acquérir. Ce n’est pourtant pas le coût qu’il met en avant : ‘ Avec Linux, tout se résout naturellement au fil des mises à jour. S’il me manque une fonctionnalité, elle manquera à d’autres et sera, neuf fois sur dix, ajoutée à la prochaine version. ‘ L’accès au code source n’est pas sa priorité : ‘ N’étant pas développeur, je suis content que d’autres puissent se pencher sur la source pour l’améliorer. ‘
A l’inverse, Cyril Sabatier, grâce à sa formation universitaire en informatique, n’hésite pas à mettre les mains dans le cambouis, quand il le faut. ‘ Lorsqu’une caractéristique me gêne trop, et si elle est à ma portée, je change les sources pour les adapter à mes besoins. ‘ Là encore, il préfère mettre en avant la tranquillité de l’administrateur. Il consacre péniblement plus de deux heures par semaine à son système, toutes tâches confondues. Il note ironiquement que c’est tout de même plus de temps qu’avec NT puisque, ‘ pour NT, il suffit de le redémarrer de trois à cinq fois par semaine s’il s’est bloqué ‘. Liberté est le mot qui revient le plus souvent dans la bouche de Bernard Lang. Une liberté qui s’exprime aussi bien dans le choix du système et des outils, que dans le choix des environnements de travail. Néanmoins, il regrette que, trop souvent, ce soit la gratuité qui soit mise en avant. Lorsqu’il utilise un logiciel disponible en source, il a confiance : ‘ Je sais que les développeurs n’ont pas mis volontairement des portes dérobées. ‘ Le fait que les sources soient lues et relues par de nombreuses personnes le rassure car ‘ s’il y a une erreur, elle ne restera pas longtemps sans correction ‘. A l’inverse, le directeur de recherches de l’Inria déplore le manque de responsabilité des éditeurs commerciaux. Il lui est arrivé plusieurs fois de corriger une erreur réapparue dans les versions ultérieures. ‘ Avec le logiciel libre, affirme-t-il, si on règle un problème, on sait qu’il sera pris en compte par ses développeurs. ‘

Les constructeurs engagés dans le logiciel libre ne font pas l’unanimité

La disponibilité des sources est aussi mise en avant par Alain Berguerand : ‘ Si j’ai une difficulté, je pose ma question sur le Net. Dans les 48 heures, j’ai la solution sous la forme de patch, et je peux l’appliquer à l’ensemble de mes machines. Allez demander ça à un éditeur conventionnel… ‘ Son équipe n’a pas hésité à puiser elle-même dans la pile TCP pour certains développements. Aaron Mamou reste très méfiant vis-à-vis des constructeurs qui s’engagent dans le logiciel libre : ‘ Ce sont aussi de gros éditeurs de logiciels, à l’image d’IBM, qui a augmenté sa marge sur ce créneau. Comment parviennent-ils à gagner de l’argent ? Et qu’est-ce que cela cache ? ‘ S’il choisit le constructeur HP pour la fiabilité de ses micros, il s’occupe lui-même du logiciel. ‘ On dépouille la machine pour lui mettre notre propre version de Linux ‘, explique-t-il.
Même inquiétude chez Cyril Sabatier, qui se demande si la démarche est honnête. ‘ Les constructeurs vont-ils continuer à jouer le jeu jusqu’au bout, ou bien chercheront-ils à s’approprier, et à bon compte, le travail des autres ? ‘, interroge-t-il.
Autre vision chez Bernard Lang, qui, lui, adhère complètement. Il considère, en effet, que les constructeurs de matériel qui s’engagent sur le logiciel libre ont tout compris. Leur savoir-faire est dans les architectures matérielles et dans les services, pas dans les logiciels. Ils peuvent se concentrer sur leur métier et faire en sorte que leurs solutions soient adaptées aux besoins des clients. Pour sa part, Cyril Chaboisseau distingue deux types de constructeurs : ceux qui tentent de profiter de la vague Linux sans y aller franchement, qui ‘ gèrent péniblement une ou deux distributions avec des licences pas encore réellement ouvertes ‘, et les autres, qui, à l’image d’IBM, ont bien compris la philosophie et jouent franchement le jeu.

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Christian Jullien