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« Sur Internet, il manque des règles de conduite »

Dans son livre La Face cachée du Net, Xavier Malbreil explore les aspects peu reluisants ou simplement méconnus du Web.

Connaissez-vous vraiment le Net ? Critique d’art numérique et enseignant à l’université de Toulouse II-Le Mirail, Xavier Malbreil s’est plongé dans les méandres du réseau, là où le commun des internautes ne s’aventure pas forcément. Entre arnaques en ligne, fausses informations en tout genre, sites religieux, mondes virtuels, son livre La Face cachée du Net (1) fait un portrait d’un Internet parfois terrible, parfois pittoresque, parfois enthousiasmant, en tout cas loin de toute vision angélique.

01net. : Vous évoquez nombre de dérives d’Internet, mais aussi pas mal de phénomènes intrigants ou simplement amusants. Quel était votre but dans ce livre ?
Xavier Malbreil
 : Le point de départ, c’est un dossier sur l’imaginaire d’Internet que j’ai réalisé pour le magazine électronique du Centre international d’art contemporain de Montréal, où je suis critique de « Net Art ». J’ai eu envie de pousser plus loin cette réflexion. J’ai notamment été frappé par la différence qui existe entre les intentions qui présidaient aux débuts du Net et la réalité aujourd’hui.

C’est-à-dire ?
Les acteurs du Net d’aujourd’hui ont encore des visions utopistes. Ils voudraient que le réseau soit un espace de liberté totale, sans la moindre interdiction pour qui que ce soit. C’est une position qui me semble difficile à tenir.

Vous abordez en détail les escroqueries comme le phishing, le pharming, le scam 419 (dites « arnaques à la nigériane »), la circulation de fausses infos, mais vous ne dites quasiment rien de la pédophilie, par exemple. Pourquoi ?
Je n’ai effectivement pas parlé de la pédophilie sur Internet parce que c’est un sujet déjà bien traité un peu partout. Je n’ai pas eu envie d’en rajouter.

Certaines dérives vont cependant très loin puisque vous montrez que le scam 419 peut se terminer par des meurtres…
On regarde généralement ces arnaques avec le sourire. Je voulais traiter le sujet sous deux angles différents. D’abord montrer qu’il ne faut pas prendre ce phénomène à la rigolade. Et ensuite montrer que ce genre d’arnaque peut avoir un prolongement culturel et artistique, comme avec le groupe nigérian Osuofia, qui a réalisé une chanson et un vidéo-clip glorifiant l’escroc qui piège un Européen [I Go Chop your Dollar, NDLR], ou ces artistes qui ont organisé une exposition de créations (documentaires, installations vidéo) dénonçant le scam 419 au Barcelona Culture Studio.

Avez-vous été vous-même surpris par certains aspects du Net que vous décrivez ?
J’ai été frappé par l’utilisation faite d’Internet par la religion, dans le cadre d’une véritable guerre des religions, même. C’est une dimension que j’ignorais. Il y a de belles initiatives, comme le logiciel BibleOnline, qui permet de consulter la Bible, l’Ancien et le Nouveau Testament, avec des instruments performants [quatre traductions différentes, outils de comparaison des versions, recherche de mot-clé, de concordance de mots… NDLR]. Et, en même temps, sur des sites très sérieux, consacrés au débat d’idées, des intervenants se laissent aller à l’invective. Ou encore, vous avez la fausse prophétie de Jean de Jérusalem, une imposture qui circule sur Internet.

Et qu’est-ce qui vous a le plus choqué ?
Les sites d’horreurs, les décapitations, les otages enterrés vivants. J’étais ébahi, surtout en lisant ensuite des commentaires goguenards des webmasters.

Depuis sa création, Internet a-t-il évolué en mal ?
Je me suis mis à Internet à la fin des années 1990. Il s’agissait encore essentiellement de sites expérimentaux, de sites scientifiques ou littéraires. Aujourd’hui, l’architecture est la même, la fonction est la même : échanger et partager avec une grande liberté. Mais l’usage s’est très largement répandu, ce ne sont plus uniquement des chercheurs et des scientifiques qui se servent d’Internet. Ce qui manque, ce sont des règles de conduite et l’esprit de la démocratie, c’est-à-dire la liberté mais aussi celle de ne pas être ciblé par diverses attaques, par du spam, par des moteurs de recherche, par des publicitaires. En même temps, le Net est un média viral très difficile à aborder d’un point de vue législatif.

(1) Xavier Malbreil, La Face cachée du Net, Omniscience, 2008, 352 pages.

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Propos recueillis par Arnaud Devillard