Passer au contenu

Steve Outing: “Les médias en ligne laissent plus de liberté aux rédacteurs”

Steve Outing est consultant, journaliste et chroniqueur sur le Web. Il dirige Panetary News, une société de conseil pour la presse américaine en ligne. Il explicite, pour Newbiz, sa vision de l’information en ligne.

> À propos de Steve Outing


Newbiz : Parlez-nous d’abord un peu de vous.
Steve Outing : J’ai pratiquement toujours travaillé comme journaliste, dans la presse classique jusqu’à la fin de 1993 puis sur Internet lorsque j’ai eu le sentiment que le support électronique et Internet étaient sur le point de transformer l’information.Je tiens depuis 1995 une chronique intitulée ” Stop the presses ! “[” Arrêtez les rotatives ! “, sous-entendu : il y a des nouvelles de dernière minute à imprimer, NDT] pour Editor & Publisher. J’y traite la rencontre du journalisme, de la presse et d’Internet. J’ai ainsi consacré de nombreuses chroniques à la façon dont les médias classiques, et surtout la presse, peuvent s’adapter à Internet et en tirer parti.J’ai également effectué plusieurs enquêtes sur des thèmes liés aux médias sur Internet, et mon livre Newspapers and New Media : The Digital Awakening of the Newspaper Industry a été publié en début d’année par GATF Press. J’effectue également de temps à autre une mission de conseil auprès des éditeurs et des entreprises de nouvelles technologies ayant un rapport avec le journalisme.Ces deux dernières années, j’ai élargi mon horizon pour aborder le thème plus général des contenus en ligne ?” l’actualité n’en constituant qu’une partie. Je dispose désormais d’une chronique consacrée à la publication en ligne ?” ePublishing ?” dans le magazine Writer’s Digest et j’écris assez régulièrement dans la rubrique Média du Guardian.Je suis cofondateur et DG de Content-Exchange.com, un site de ressources diverses qui publie une lettre d’information à l’intention des acteurs du contenu en ligne. La périodicité de cette lettre est hebdomadaire ?” elle a aujourd’hui 5100 abonnés ?” et nous publions également un journal de bord quotidien, Weblog. Le site propose une base de données d’auteurs de contenus consultée par les donneurs d’ordre et une zone de petites annonces essentiellement consacrée aux offres d’emplois dans le domaine du contenu en ligne.

> Le marché

Quel est l’ordre de grandeur du marché du contenu en ligne aux Etats-Unis ? Quelle proportion de rédacteurs américains décident de passer des publications papier aux publications en ligne ? À quel âge sautent-ils le pas et quelle expérience ont-ils ? Je ne saurais répondre précisément à ces questions. Il n’y a pas eu d’étude détaillée sur ce sujet. Mon site Content-Exchange.com est au service des rédacteurs en ligne et il héberge la principale liste de discussion qui leur est destinée. D’après mon expérience d’animateur de ce site et mes discussions avec ces rédacteurs, je sais qu’ils sont nombreux à être passés des médias classiques aux médias en ligne.Pour ma lettre d’information Content Spotlight, j’ai effectué une enquête en juillet dernier auprès de 267 rédacteurs en ligne. Les résultats de cette enquête nous donnent quelques indices sur le marché. Ainsi, une proportion assez élevée des rédacteurs sondés indiquent qu’ils sont mieux payés par leurs clients en ligne que par leurs clients papier. Une majorité se dégage néanmoins pour dire que la rémunération est à peu près identique dans les deux cas.L’échantillon était composé aux deux tiers de gens âgés de 26 à 44 ans et 75 % des sondés étaient des femmes. Mais cet échantillon ne peut être considéré comme représentatif, car ce sont uniquement des volontaires qui ont participé à l’enquête. On trouvera une présentation (en anglais) de cette enquête à l’adresse suivante : http://www.content-exchange.com/cx/html/newsletter/2-4/sur2-4.5.htm. Quant aux résultats complets (toujours en anglais), ils se trouvent à cette adresse : http://www.zoomerang.com/reports/public_report.zgi?ID=E3BBR60147X9

> Les sites

Existe-t-il une différence marquée entre les sites qui s’intéressent à la rédaction en ligne et ceux dont ce n’est pas le cas ? Il existe un certain nombre de règles de la rédaction en ligne qui font consensus : des paragraphes courts ; une formulation généralement économe ; le recours aux listes de points plutôt qu’aux paragraphes compacts ; l’appel à la couleur pour mettre en valeur des phrases clés, etc.Les sites qui ne se soucient pas de ces aspects de lisibilité spécifique en ligne passent de longs articles sans beaucoup de ruptures. Ils négligent de placer dans l’article des liens interactifs indiquant par exemple l’adresse de courrier électronique de l’auteur ou des forums de discussion consacrés au thème abordé dans l’article, etc.La profession dans son ensemble est-elle consciente de la différence entre ces deux types de sites ? Même si l’on restreint le champ de cette question aux acteurs ayant uniquement une présence en ligne, ils ne font pas tous un travail irréprochable en ce qui concerne les textes en ligne. Mais dans leur majorité, ils saisissent mieux cette problématique que les médias classiques qui se sont lancés dans l’édition en ligne. En fait, pour tous les acteurs, c’est le temps et l’expérience qui nous permettent de progresser dans la qualité globale des textes proposés sur le Web. Les règles du jeu ne sont pas encore toutes déterminées.

> Le travail lui-même

En quoi la rédaction en ligne diffère-t-elle de la rédaction pour d’autres supports (en termes d’objectif et de contenu, et également en ce qui concerne le statut, la rémunération, les droits et les risques pris par les rédacteurs) ? A bien des égards, elle s’apparente à l’écriture pour les médias classiques. Ce sont les mêmes règles grammaticales et de journalisme qui s’appliquent. Ce qui fait l’originalité du support en ligne, c’est une informalité certaine, qui donne plus de liberté aux rédacteurs et permet de traiter une palette de sujets plus large que sur papier. Sur ce support, on peut se permettre d’aborder des thèmes inhabituels, voire scabreux. Il accueille également des sujets très spécialisés qui ne trouveraient pas nécessairement de débouchés dans la presse classique.Une autre des différences marquantes, c’est que lorsqu’on écrit pour un public en ligne, on est souvent censé dialoguer avec ses lecteurs. Il est certain que les lecteurs ont plus facilement accès aux journalistes, par messagerie interposée, et que c’est une réalité qu’il faut gérer. Le rédacteur reçoit bien plus de courrier des lecteurs que dans les médias classiques. Il peut être tenu de participer à des forums de discussion ou à des discussions en temps réel sur le thème de son article. C’est à la fois négatif et positif : cela donne plus de travail au rédacteur, mais cela l’aide à mieux saisir les attentes de son lectorat. Régulièrement, vos lecteurs vous donneront des idées d’article ou vous apporteront des informations que vous ne possédiez pas. Ça, c’est super !Quelles ont été les principales erreurs des premiers sites (et rédacteurs) proposant du contenu en ligne ? De mettre trop l’accent sur le texte et sur lui seul. D’écrire comme si les lecteurs allaient assimiler ces textes avec autant de facilité que s’ils avaient été imprimés. De ne pas proposer de contenus comprenant des éléments d’interactivité.Quelles sont, d’après vous, les futures tendances du monde des médias électroniques ? Dans quelle mesure ces tendances influeront-elles sur le style de la rédaction en ligne ? C’est l’accès à haut débit à Internet qui contribuera le plus à faire évoluer les contenus en ligne. Pour l’instant, l’évolution vers le haut débit se fait un peu… au ralenti. Quand une part substantielle des internautes bénéficieront du haut débit, les contenus proposés par de nombreux sites privilégieront moins le texte qu’aujourd’hui. On assistera à un plus grand panachage des différents types de contenus.Ainsi, un article pourra se composer d’une introduction textuelle, puis de séquences audio d’interviews, d’une base de données interactive de complément, de séquences vidéo des principaux extraits des interviews, ou, pourquoi pas, de diaporamas présentant automatiquement toutes les photos d’un reportage plutôt que de laisser l’utilisateur les consulter une par une. Je pense que les créateurs de contenus se livreront à de nombreuses expériences, car nous ne savons pas encore précisément à quoi les contenus disponibles à haut débit ressembleront.Une autre évolution intéressante à surveiller ?” et là encore nous ne savons pas exactement en quoi elle consistera ?” est celle des contenus mobiles. Tout un ensemble de contenus vont être créés à l’intention des appareils mobiles à haut débit (téléphones UMTS, assistants numériques, etc.) Je subodore qu’une grande partie de ces contenus seront composés de séquences vidéo et d’animations, mais c’est simplement une hypothèse. Ce sera assez excitant de voir comment les choses évolueront.En ce moment même, les contenus en ligne donnent lieu à de nombreuses expérimentations. Mais il n’existe pas encore de modèle économique pour les contenus les plus décalés. Il reste que les créatifs réalisant des choses intéressantes sont nombreux sur le Net. Le problème, c’est d’arriver à ce que leur travail soit rentable.

> Les conseils et astuces

Pourriez-vous nous donner quelques tuyaux susceptibles d’aider les rédacteurs en ligne français à mieux rédiger pour ce support ? ? Allez RAPIDEMENT à l’essentiel. Vous ne disposez pas de beaucoup de temps pour capturer l’attention des lecteurs en ligne ; dites-leur donc vite ce qu’ils veulent savoir pour les inciter à continuer à vous lire (et à résister à la tentation de zapper).? Utilisez des titres et des intertitres parlants. Évitez les jeux de mots ou les titres à clés s’ils risquent d’être mal interprétés. Il est bon de placer des intertitres ou des citations en marge qui résument assez précisément l’article ou le paragraphe en une phrase à chaque fois. L’internaute peut ainsi juger rapidement de l’intérêt pour lui de votre article.? Evitez les paragraphes trop longs. Divisez-les en plusieurs paragraphes plus petits. Si un paragraphe comporte une énumération, développez-la sous forme de liste à puces. Cela facilitera la compréhension du contenu. Gardez à l’esprit qu’il est plus difficile de lire à l’écran et que toute initiative permettant de rendre le texte plus lisible est la bienvenue.? Sachez pour quel public vous écrivez. Bien des sites Web s’adressent à un lectorat très spécialisé ?” après tout, c’est une des principales qualités du Web ; sachez donc précisément de quel lectorat il s’agit et adaptez votre style à celui-ci. S’il s’agit d’un public de scientifiques, par exemple, vous pouvez vous permettre d’utiliser leur jargon.? Sachez que votre lectorat peut être international. Si c’est le cas, ayez cela présent à l’esprit lorsque vous écrivez. Ne citez pas simplement le nom d’une ville en considérant que tout le monde sait qu’elle se trouve en France. Montrez-vous explicite et précisez que cela se passe en France.? Si l’article est destiné à être présenté sur une seule page Web, veillez à ce qu’il ne soit pas trop long. Au besoin, divisez votre article en plusieurs parties.? Crawford Kilian, auteur de l’ouvrage Writing for the Web et chroniqueur dans Content Spotlight, ma lettre d’information hebdomadaire, recommande de relire votre premier jet en cherchant à supprimer le plus de mots possible sans trahir le propos. S’il est possible de dire en huit mots ce que vous aviez écrit en quatroze, dites-le en huit.? Sachez que les internautes peuvent très bien lire votre prose dans un autre ordre que celui que vous aviez prévu. Si vous écrivez un article en trois parties, certains lecteurs liront d’abord la deuxième partie, d’autres aborderont la série par le dernier article. Il est donc conseillé d’écrire et d’agencer vos articles de telle sorte que ceux qui les abordent dans le désordre puissent tout de même comprendre de quoi il s’agit. Pensez à la nature non linéaire du Web et écrivez en conséquence.? Supprimez les mots creux. Mon associée, Amy Gahran, est très attachée à ce point-ci. Les internautes sont en général bombardés d’informations et ils n’ont pas une tolérance élevée aux phrases creuses. Veillez à vous en tenir à l’important et à laisser tomber la langue de bois.Si vous recherchez des compléments d’informations sur l’écriture pour le Web et si vous lisez l’anglais, je vous suggère de consulter les archives de Content Spotlight. Amy Gahran, Crawford Kilian et moi-même avons écrit un nombre considérable d’articles sur le sujet. Partez de la liste des thèmes et des titres, vous tomberez sur bon nombre de conseils que je crois judicieux. L’adresse de ces archives : http://www.content-exchange.com/cx/html/newsletter/bysubject.htm

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Jean-François Paillard (interview), Lionel Lumbroso (traduction)