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Rompre la dépendance aux opérateurs télécoms

Trop étroitement lié aux politiques d’investissement des “telcos”, Alcatel plonge avec eux dans la récession. Aujourd’hui, l’équipementier cherche à développer sa présence dans le secteur entreprises, moins cyclique. La reconversion a démarré.

Fin 1994, quelques mois avant l’arrivée de Serge Tchuruk, 45 % des revenus d’Alcatel Alsthom provenaient des télécommunications stricto sensu. Des revenus menacés ?” déjà ! ?” par la baisse des investissements consentis par les opérateurs publics et par une chute des prix. En termes de produits, la commutation publique régnait encore à la manière d’une star chez Alcatel. Elle constituait même, selon certains, la vache à lait du groupe dans les équipements télécoms. “Mais à côté de ces positions en commutation, que de lacunes, explique un spécialiste. Dans les infrastructures mobiles, l’optique, la transmission.” Tout n’était pas nul, évidemment. “Au contraire, assure Laurent Balcon. Il y avait dans le portefeuille d’Alcatel Alsthom quelques superbes pépites, comme les activités de transmission de Rockwell (États-Unis) ou celles de Fiat/Telettra (Italie). Les premiers développements dans le câble sous-marin remontent également à l’ère Suard.” Encore fallait-il les exploiter. Ce que Serge Tchuruk allait s’attacher à faire.

Un mirage collectif

A l’époque, cependant, le successeur de Pierre Suard s’était donné pour priorité absolue de redresser Alcatel Alsthom. Au c?”ur de son action, le renforcement des fonctions centrales de gestion et de contrôle, ainsi qu’un copieux programme de cessions ?” il y en a eu pour quelque 10 milliards de francs. Pas question pour autant de démanteler le groupe. Les télécoms, les câbles, l’énergie et le transport resteraient au sein d’Alcatel. Mais les analystes financiers et les investisseurs réclamaient alors une simplification du groupe, au moment même où les instituts de prospective sortaient des prévisions de plus en plus mirifiques sur l’avenir du marché des télécoms.La conviction de Serge Tchuruk ne s’est forgée qu’à la fin de l’année 1997. Les télécoms deviendraient donc la préoccupation (quasi) exclusive de son groupe. Dans le rapport annuel 1998, il se justifie, écrivant que “malgré la baisse rapide des prix, la croissance de ce marché dans les années à venir, qui s’explique à la fois par la libéralisation des échanges et par l’explosion d’internet, est estimée à plus de 10 % par an en valeur et bien plus en volume.” L’eldorado.Pourtant, la direction d’Alcatel ne se conforme pas servilement aux désirs des marchés financiers : elle maintient contre vents et marées un profil de généraliste des télécoms. “Ce qui nous permet de lisser assez correctement les soubresauts du secteur”, estime Serge Tchuruk.Les esprits chagrins regretteront cependant que le management d’Alcatel n’ait pas affiché la même prudence dans le choix de ses cibles de marché : l’an passé, le groupe a réaffirmé sa volonté de se concentrer surtout sur le marché des opérateurs télécoms… Alors que, étranglés par des dettes monumentales, les ” telcos ” ont été obligés de brider considérablement leurs investissements, et que pas mal de nouveaux opérateurs, sur lesquels Alcatel avait beaucoup misé, ont été contraints de se déclarer en faillite (Global Crossing, par exemple).

L’alternative entreprise

Le groupe français n’a pourtant pas totalement renoncé au marché de l’entreprise, qui a l’énorme avantage d’être moins saisonnier et moins cyclique que celui des opérateurs. Revers de la médaille, il exige une présence commerciale plus vaste : il y a infiniment plus d’entreprises que d’opérateurs télécoms… Actuellement, Alcatel recense plus de 400 000 entreprises clientes. Mais cette activité reste néanmoins secondaire : la division e-business a réalisé un chiffre d’affaires de 3,5 milliards d’euros en 2001, soit 14 % des revenus totaux du groupe. “L’entreprise se trouve désormais au c?”ur de nos préoccupations, affirme Olivier Houssin, président des activités e-business d’Alcatel. Nous avons énormément travaillé le sujet au cours des trois dernières années. C’était un véritable labourage effectué sur un mode ” profil bas “. Il fallait acquérir les technologies et les marchés. 2002 est l’aboutissement de ces efforts. Même si la distribution d’équipements aux entreprises par les opérateurs ne représente encore que 25 % des ventes de notre division e-business.”Une présence modeste, certes, mais qui autorise Serge Tchuruk à affirmer que “nous ne sommes jamais sortis du marché de l’entreprise.” En février 2002, au Forum entreprise de Paris, le PDG d’Alcatel avait même affirmé que son groupe voulait être “l’alternative à Cisco. Et aujourd’hui, nous avons les moyens de nos ambitions.” Les moyens ? Ils renvoient tout d’abord dans une gamme de produits jugés très performants, en particulier un système de communication d’entreprise, intégré pour la voix, les données et internet, baptisé Omni PCX Office. Il s’agit d’un serveur mettant la téléphonie sous IP (Internet Protocol) à la portée des PME. En 1999, Alcatel était surtout un vendeur de PABX (central téléphonique) sur le marché européen de l’entreprise et apparaissait comme un revendeur de Cisco pour le transfert de données…

Les clés de la distribution

Et puis, au-delà des produits, Alcatel a entièrement modifié son mode de distribution, délaissant la vente directe au profit d’une distribution par l’intermédiaire d’un réseau de 1 500 partenaires dans le monde. Parmi ceux-ci, les opérateurs, tels France Télécom, Deutsche Telekom, KPN, Verizon, Telefonica, etc. sont évidemment appelés à jouer un rôle clé. “L’hébergement de nos solutions technologiques chez les opérateurs est appelé à se développer, estime Olivier Houssin, même si je ne suis pas de ceux qui considèrent que tous les services seront hébergés par les opérateurs. C’est inévitable : pour déployer et gérer nos systèmes, il faut disposer de gros services informatiques, que les PME n’ont pas les moyens d’acquérir. Pour les opérateurs, la question se posera de la façon suivante : comment passer d’un modèle de vente de trafic et de bande passante à un modèle reposant sur la vente de services e-business.”En attendant, la cession des filiales de distribution (6 500 emplois) à Platinum Equity a été annoncée en janvier 2002. L’accord doit clairement permettre à Alcatel de se focaliser sur le développement et le marketing de solutions voix et données de prochaine génération.

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Michel Gassée