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Qui se cache derrière Linux ?

Linux, qui a la vocation de se substituer à Windows, n’est pas un gratuiciel ordinaire. sa programmation est sponsorisée par les plus grandes marques informatiques. Et même par les services secrets.

Devinette : qui a les reins assez solides pour écrire et proposer gratuitement Linux, un logiciel si complexe qu’il peut remplacer Windows ou Mac OS X ? Voilà quinze ans que les utilisateurs de PC peuvent télécharger ce système sans rien payer en échange, c’est-à-dire sans même subventionner son développement. Pourtant, le chantier est énorme. Windows, par exemple, n’est pas seulement une interface graphique, c’est aussi plus de 6 Go de fonctions multimédias et de pilotes pour lancer des jeux ou des applications, se rendre sur Internet et faire tourner à l’identique des PC de conception différente. Microsoft et Apple financent la mise au point de leurs systèmes respectifs, ne serait-ce qu’avec l’argent récupéré sur les copies qu’ils vendent avec des ordinateurs. Linux, en revanche, n’appartient même pas à un éditeur. Tout au plus est-il distribué sous des appellations sorties de nulle part, comme Fedora, OpenSuse, Mandriva ou, dernièrement encore, Ubuntu. On ne peut même pas dire que la richesse fonctionnelle a été sacrifiée : Linux est aussi graphique que Windows XP ou Mac OS X, mieux immunisé contre les virus, et sous certains aspects plus complet puisqu’il intègre une suite bureautique, alors que cette option est payante chez Microsoft.

Le libre partage du savoir

Magique ? Oui et non. Les initiés aiment faire savoir que Linux est élaboré par des nuées d’informaticiens œuvrant bénévolement pour le libre partage du savoir. Dans les faits, des petits génies répartis un peu partout autour de la planète se rendent sur des forums dédiés pour améliorer à leur sauce le code interne du système, avec l’espoir que cela rendra Linux meilleur, ou pour montrer à leurs pairs comment programmer telle routine 3D ou corriger telle fonction vidéo. C’est le principe de l’open source, un modèle de développement que Linux partage avec le navigateur Firefox. Ici, les lignes de programmation qui ont servi à concevoir un logiciel sont fournies sur simple demande et sont librement modifiables par quiconque s’en sent capable. Travailler pour la gloire uniquement, le tableau est idyllique. Mais le conte de fées s’arrête là. Lorsqu’on consulte la liste des programmeurs derrière Linux, en fait de bénévoles, la plupart d’entre eux sont salariés chez des fabricants ou des éditeurs informatiques, y compris chez les plus grands.Intel, HP et IBM qui, ensemble, gagnent quatre fois plus d’argent que Microsoft, sont de ceux qui payent des développeurs pour programmer Linux. De même, derrière Fedora, OpenSuse et Ubuntu, se cachent de vraies sociétés dont on calcule les revenus en centaines de millions de dollars. Respectivement, Red Hat, qui possède une soixantaine de bureaux dans le monde, Novell, qui fut le géant du réseau local au début des années 90 et Canonical, fondé par le cosmonaute milliardaire Mark Shuttleworth. Renverser la domination de Windows sur le PC les intéresse. Mais ce n’est pas leur priorité. On le sait peu, mais Linux est le moteur qui fait tourner près de la moitié des sites Internet dans le monde, les deux tiers des sites Web les plus visités et 100 % des ordinateurs qui répondent aux requêtes des internautes chez Google. C’est aussi le système dominant dans les supercalculateurs, les modules réseau ? comme les box ADSL et les disques durs multimédias ? ou encore les GPS et les lecteurs mobiles. Globalement, l’ouverture de Linux à tous les fabricants l’a propulsé en dix ans au statut de standard industriel.

Des enjeux économiques

Pour les uns, il s’agit d’investir dans le développement de ce système afin que leurs matériels soient mieux pris en charge. Pour les autres, Red Hat, par exemple, c’est l’opportunité de commercialiser du service après-vente autour de Linux. Car si le système est gratuit, son contrat de maintenance est en revanche hors de prix : comptez 1 300 euros HT, par processeur et par an pour avoir l’autorisation d’appeler la hotline en 24/7. Pas question de faire payer un tel tarif à un utilisateur grand public. Mais si ce dernier adopte gratuitement Linux sur son PC, les entreprises franchiront le pas et achèteront de la maintenance. En France, Peugeot et la Gendarmerie nationale sont précurseurs ; ils sont déjà en train de remplacer Windows par Linux sur un total de 100 000 postes. L’enjeu de Linux sur PC est donc bien économique. Mais pas seulement : la NSA, les grandes oreilles des services de renseignement américains, voit dans Linux l’opportunité de faire du PC l’arme absolue du contre-espionnage ; un code SELinux que l’agence met au point protégerait de manière définitive les entreprises et les particuliers du piratage. Si certains redoutent qu’il s’agisse en fait d’un cheval de Troie procurant à la NSA un accès à toutes les données privées, d’autres, plus pragmatiques, avancent l’intérêt économique pour le gouvernement américain d’assurer seul la protection de tous les ordinateurs du monde.

Des dictateurs bienveillants

Qui commande ? Aucune des grandes entreprises ou institutions citées jusqu’ici ! Le développement de Linux se répartit en groupes de travail, spécialisés dans un domaine. Chaque groupe comprend à sa tête un “ dictateur bienveillant ” ? c’est l’appellation consacrée ?, qui décide seul des améliorations à conserver.Mais les décisions sont prises uniquement selon des critères de faisabilité technique. Il s’agit généralement de l’auteur des premières lignes de programmation. Le Finlandais Linus Torvalds, dont le salaire est payé par un consortium des principaux fabricants d’ordinateurs, supervise ainsi la partie centrale de Linux, le “ noyau ” ; c’est elle qui conditionne les performances du système. Autre exemple, le Mexicain Miguel de Icaza, salarié par Novell, préside le destin de Gnome, l’environnement graphique, et de Mono, une future extension qui permettra à Linux de faire fonctionner les logiciels de Windows. Au sein de Linux, certains projets se font concurrence. Mais cela ne pose pas de problème, tous sont mis au pot commun jusqu’à ce que le désintérêt du public ou l’absence d’assistance technique condamne la carrière de l’un ou de l’autre.

Linux a aussi ses gendarmes

La liste des acteurs de Linux serait incomplète sans le charismatique Richard Stallman, lequel personnifie les logiciels open source (libres) au point de multiplier les artifices clinquants du gourou sectaire, auréole en plastique, vaste barbe hirsute, toge, sandales et allocutions évangéliques. Dans les années 70, ce génie des mathématiques incarna la culture “ hacker ” dans les universités et inventa la décennie suivante toutes les pièces essentielles de Linux, à l’exception du noyau. Depuis le début des années 90, c’est lui qui fait respecter la loi pour Linux, ou du moins l’interdiction pour quiconque d’écrire un logiciel non open source en puisant dans les bonnes idées des autres. Pour ce faire, il a inventé un contrat d’utilisation spécial, une “ licence libre ” ou GPL (General Public License), qui légifère sur tous les logiciels susceptibles d’être intégrés à Linux. L’autorité de la GPL est officiellement reconnue par les tribunaux américains et, par extension, est défendable dans les autres pays. La GPL a ses troupes, dont les associations FSF à l’international et l’April en France, lesquelles exercent une certaine forme de lobbying pour l’open source auprès des industriels et des gouvernements.

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Yann Serra