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Quel sera le prochain profil de la croissance aux États-Unis ?

Tant que les excès de la nouvelle économie ne seront pas résorbés, la croissance ne repartira pas. De ce point de vue, la politique monétaire est impuissante

Les meilleurs experts y perdent leur latin. Reprise en V ou en W, ralentissement en U ou récession en L : les paris sont ouverts et le jury suspend son jugement. Mais l’incertitude va au-delà. Et si la politique monétaire avait perdu de son efficacité ? Et si Alan Greenspan avait perdu la main ? Pour ajouter à la complexité, les données paraissent moins fiables, les révisions périodiques ajoutent à la confusion. Or, dans un monde globalisé, la perception de l’activité américaine par le grand public a un impact direct sur les comportements, et donc sur l’activité en Europe.

Erreurs à répétition et fable new age

Pour bien comprendre ce qui se passe aux États-Unis, il faut rappeler quelques éléments. Depuis cinq ans, le consensus des économistes s’est régulièrement trompé sur les perspectives de croissance, l’écart par rapport au réalisé a été en moyenne de 50 %. Depuis dix ans, un débat intense partage les économistes sur l’explication des ressorts de la croissance américaine. D’un côté, les macro-économistes, qui voient dans le cycle de croissance US les effets combinés de la désinflation importée, de l’effort d’investissement et d’une politique monétaire permissive. De l’autre, les tenants du ” new age ” qui, sur la base d’indices ténus, ont bâti la fable de la croissance continue sans récession, ni chômage, ni inflation tirée par les NTIC. Depuis un demi-siècle enfin, dans le sillage de la théorie keynésienne, les experts s’interrogent sur les vertus du ” fine tuning ” et notamment sur le bon dosage dans l’usage des politiques monétaires et budgétaires.La crise actuelle, en invalidant certaines analyses ?” trop hâtives ?” permet de mieux comprendre ce qui est à l’?”uvre actuellement. La forte croissance des années 1990 a d’abord été le résultat de l’effort majeur de restructuration du système productif américain durant les années 1980. Elle a ensuite été entretenue par les efforts de modération fiscale du gouvernement américain et par les réformes réussies en matière de système de santé. Elle a enfin profité du fantastique effort de rattrapage de l’investissement dans les années 1990. À ces facteurs structurels de stimulation de l’activité sont venus s’ajouter des facteurs qui tiennent à la qualité de la gestion macro-économique : l’appréciation continue du dollar a été un facteur de désinflation importée, la politique monétaire permissive a contribué à effacer rapidement les effets des crises asiatiques, la maîtrise de l’inflation a facilité la modération salariale.

La conversion de Greenspan

À partir de 1998, l’emballement de la croissance est à l’origine des troubles actuels. Jusqu’alors, la Réserve fédérale américaine jouait sur les taux pour éviter les défaillances, soutenir l’activité ou éviter la surchauffe. Mais à compter de 1999, la Fed tarde à relever les taux alors que l’activité s’emballe. An fait, Alan Greenspan s’est converti à la religion de la ” nouvelle économie “. Il pense que le potentiel de croissance s’est accru et, dès lors, il ne traite pas les signes évidents de surchauffe. 1999 et 2000 voient l’investissement dans les NTIC s’envoler. D’immenses surcapacités de production et d’équipements vont alors apparaître dans la foulée du développement de la bulle financière. La crise actuelle est donc à la fois une crise de l’offre, dans la mesure où elle s’alimente des surinvestissements et des surstocks réalisés, et une crise de la politique monétaire, incapable d’enrayer le ralentissement économique tout en laissant l’inflation immobilière se développer.

L’avenir entre U et L

Que peut-on espérer dans un tel contexte ? D’ores et déjà les tenants de la courbe en V doivent reconnaître que leurs espoirs ne se sont pas concrétisés. La question est alors de savoir si nous sommes sur le point de remonter la courbe en U après 4 à 6 trimestres de ralentissement ou si le scénario japonais de la courbe en L pointe. Tant que les excès de la nouvelle économie n’auront pas été résorbés, il est illusoire de penser que la croissance repartira. De ce point de vue, la politique monétaire est impuissante. Faut-il pour autant craindre un scénario noir à la japonaise, où le dégonflement de la bulle spéculative allume la crise bancaire du fait de la montée des mauvais risques, ce qui conduit la Banque centrale à mener une politique du taux zéro et le gouvernement à essayer en vain d’alimenter l’investissement et la consommation par le déficit public ? Ce scénario me paraît improbable car, par le passé, les États-Unis et lEurope ont su mieux gérer leurs crises bancaires et que leurs systèmes institutionnels sont plus flexibles.Mon scénario est donc celui de la courbe U. Et le signal de la reprise sera donné par la fin de la purge dans le secteur des NTIC.
*directeur de recherches au CNRS, (chronique écrite avant les événements du 11 septembre)

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Élie Cohen*