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Quand le contenant l’emporte sur le contenu

Jusqu’à présent, dans notre monde, le contenu l’emportait généralement en valeur sur le contenant. Dans l’économie de l’Internet, c’est le contraire, du moins pour le moment.

Prenez une bonne bouteille : le vin qu’elle contient coûte davantage que le flacon qui le renferme, et l’on imagine plus volontiers le propriétaire d’un grand crû rachetant un fabricant de bouteilles que l’inverse. Dans la joaillerie, même chose : l’écrin a beau être superbe, il ne vaut certainement pas la pierre qu’il abrite. Bref, jusqu’à présent, dans notre monde, le contenu l’emportait généralement en valeur sur le contenant.Dans l’économie de l’Internet, c’est le contraire, du moins pour le moment : le contenant l’emporte sur le contenu. C’est AOL, le fournisseur de tuyaux (le contenant), qui a racheté Time Warner, l’éditeur de programmes (le contenu). C’est Vivendi, groupe essentiellement télécoms, qui fait l’acquisition de Seagram, fournisseur de contenus (musique, cinéma, parc d’attractions). Dans ce nouvel univers, les valeurs sont inversées. Les investisseurs préfèrent les infrastructures à la création. À moins qu’il ne faille interpréter ce phénomène autrement, et considérer que la construction de l’Internet est une création elle-même. Création plus technique qu’artistique, certes, mais création tout de même.Il y a en effet loin de l’Internet d’hier, conçu pour la messagerie et le transfert de fichiers, à celui d’aujourd’hui, qui ambitionne de devenir le réseau universel. On peut y trouver des informations sur tout, y écouter de la musique, et même suivre des programmes vidéo, y compris des chaînes de télé. Bien sûr, la qualité et la fiabilité ne sont pas encore au rendez-vous. On sera probablement étonné dans vingt ou trente ans de la qualité balbutiante des vidéos que véhicule aujourd’hui le Net, comme on sourit aujourd’hui de la qualité des premiers films du début du siècle. Il n’empêche, le mouvement est lancé et on ne l’arrêtera plus.Alors, lorsque la technique sera banalisée, peut-être seffacera-t-elle devant la création. Et, à ce moment-là, les créateurs de programmes rachèteront peut-être les fournisseurs de tuyaux.

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Jean-Pierre Soulès