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Pourquoi on ne reviendra pas en arrière

Les allergiques à l’e-culture pourront toujours relire La Disparition de Perec : la voyelle ” e ” n’y est pas utilisée en 300 pages…

Les start-up meurent (pas seulement les pipeau.com) parce que leurs parrains ont fermé les robinets aussi bêtement et brutalement qu’ils les avaient ouverts. Seule consolation, si les dotcom sont le symbole et le c?”ur de l’économie internet, ce ne sont pas elles qui la font tourner. Selon une étude de l’université du Texas publiée en janvier, les jeunes sociétés ne représentent là-bas que 10 % de l’activité du secteur.Ultime paradoxe de la nouvelle économie, c’est dans l’ancienne qu’elle est en train de s’imposer. Les grands patrons technophobes, sommés il y a un an par leurs conseils d’administration de transformer leurs boîtes de construction ou de parfums en championnes de l’e-commerce, peuvent bien faire leur baroud d’honneur sur l’air de “Vous voyez bien que j’avais raison“, rien ne sera jamais plus comme avant.L’accès de tout individu à la météo en temps réel où à la Bourse en ligne fait désormais partie des droits de l’Homme ! Même ceux pour qui le web n’est pas une révolution, mais un outil communicant de plus, reconnaissent qu’on ne reviendra plus en arrière.Les adresses e-mail ne disparaîtront pas des cartes de visite. L’e-mail, c’est la “killer app“, l’application irrésistible d’internet.Souvenez-vous du jour où Outlook est tombé en panne dans votre service (ou quand le virus I love You a frappé) : c’était la panique.Les étudiants qui préparent leurs exposés sur le Net ne retourneront plus dans les bibliothèques. Cette odeur âcre de vieux livres et d’encre séchée deviendra, pour les trentenaires, une madeleine de Proust…On ne recompliquera pas ce qui a été simplifié.Lorsqu’on a utilisé, une fois, un compte bancaire en ligne ou commandé un billet d’avion sur le Net, se présenter à un guichet relève du masochisme. Le mobile n’existe que depuis cinq ans, et on a déjà oublié les queues devant les cabines téléphoniques : celles des guichets SNCF s’effaceront aussi de nos mémoires.Les courtiers ne seront plus surpayés. Personne ne ferme son compte en ligne, même s’il est en sommeil depuis le krach. Comment imaginer que ceux qui ne payent plus de commissions à leur broker accepteront demain de remettre la main au portefeuille ?Les fondus du Net n’achèteront plus sans comparer. Ceux qui ont appris la vie en cliquant ne choisissent jamais une paire de Nike ou un baladeur MP3 sans consulter Kelkoo ou BravoNestor… Aux États-Unis, les ados sont le cauchemar des vendeurs !Les adeptes des e-courses n’accepteront plus de perdre leur samedi après-midi. Quand on a commandé une fois ses quarante yaourts, douze Contrex et quinze boîtes de Pal sur le Net, l’idée d’entrer dans un hypermarché un jour d’affluence donne la nausée.Les sites de recrutement ne passeront pas de mode. Contrairement aux trottinettes, aux scoubidous, et aux loteries on line, les services pour lesquels le Net a permis de gagner en qualité et en rapidité (des enchères entre particuliers aux annonces de recrutement en ligne) sont là pour rester.Les premiers “clicks” sont devenus “mortars“, tous les “mortars” deviendront “clicks“. Les agences de voyages virtuelles et les courtiers en ligne ?” les deux secteurs les plus “avancés” sur le Net ?” ouvrent des boutiques en dur pour inspirer confiance, tandis que les groupes 100 % physiques créent leurs sites. Tout le monde sera bientôt click et mortar à la fois. L’utilisation du Net ne cessera pas de progresser… jusqu’au jour où on n’en parlera plus, parce qu’il sera aussi transparent que l’électricité.Certaines évolutions sont sûrement moins définitives. Par exemple, les salariés de Thomson Multimedia qui ont tombé la cravate le vendredi seront-ils tentés de l’exhumer ? C’est à peu près la seule interrogation qui demeure. Car, pour le reste, l’ancienne économie, définie comme l’économie sans l’internet, ne renaîtra pas de ses cendres.Les e-allergiques n’auront d’autre choix que de s’adapter ou de sortir du jeu. Quitte à se replonger, le soir, dans À la recherche du temps perdu de Proust. Ou, mieux encore, dans La Disparition de Georges Perec ?” ce monument de 300 pages où la lettre ” e ” nest pas utilisée une seule fois.

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Christine Kerdellant