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Pourquoi jouer la carte de l’intérim

Le marché du travail temporaire est en pleine mutation. Les sociétés d’intérim se démènent pour attirer les cadres informaticiens. Entre régie et cabinet de recrutement, elles ont du mal à se forger une image d’informatique haut de gamme.

Pousser la porte d’une société d’intérim ? Si ce réflexe est évident pour un technicien, il ne l’est toujours pas pour un ingénieur. Pourtant, aspirées par la pénurie d’informaticiens et la fièvre de l’Internet, les sociétés d’intérim cherchent à se donner une image d’entreprise de haute technologie. Mais elles ont du mal à trouver une identité dans ce domaine. Du coup, leur vieille rivalité avec les SSII resurgit : ces dernières sont à la fois des concurrentes vis-à-vis de l’utilisateur final, mais aussi des clientes lorsqu’elles font elles-mêmes appel à l’intérim.

Manpower: 8000 missions high-tech en 1999

Le déficit d’informaticiens atteindra 33 % dans trois ans en Europe, selon IDC : cette pénurie structurelle d’informaticiens aggrave la concurrence entre les sociétés de services informatiques et celles d’intérim. La conséquence ? “Devant la difficulté d’embaucher, toutes les SSII ont recours à l’intérim, souligne Cathy Cappilati, manager des divisions informatiques et tertiaires pour Randstat à Lyon et à Toulouse. Et, quelquefois, l’utilisateur final se retrouve avec un intérimaire, alors qu’il s’est adressé à une société de services.” Dès lors, le raisonnement est simple : pourquoi ne pas proposer directement à l’utilisateur les compétences informatiques dont il a besoin ? C’est la suite logique d’un processus de développement qui associe l’informatique de proximité ?” Randstat avait mis en place la première division informatique et tertiaire en juin 1997 à Lyon ?” avec la couverture la plus large possible des métiers : “Malgré les difficultés que nous avons à recruter, le marché est porteur, et il est tiré vers le haut. Car, tout simplement, les métiers sont plus complexes. Aujourd’hui, on ne nous demande pas un ouvrier pour travailler à la chaîne, mais plutôt un automaticien ; pas un dessinateur, mais une personne avec des compétences en CAO.”

De l’utilisateur confirmé à l’informaticien, le pas est en effet très vite franchi. Ainsi, avec la mise en place en janvier 2000 d’un secteur high-tech en Ile-de-France, Manpower se positionne ouvertement sur le terrain des SSII : “Nous sommes capables de négocier une formation pour un candidat ou de déployer une organisation logistique pour répondre parfaitement à une mission”, affirme Antonio Cericola, directeur de ce service. La société a confié 8 000 missions high-tech en 1999 ! Son argument ? “Avec nous, les entreprises ont une information claire du coût du salarié. Et comme nous sommes 30 % moins chers qu’une SSII, celles qui ont une bonne lisibilité du marché s’adressent de plus en plus à nous. Mais la mutation est lente, et les freins sont plutôt culturels.”

Une nouvelle forme de régie, plus réactive

Mieux. Chez Adecco, le souci d’attirer le chaland s’est traduit par la création d’un service à base de bornes interactives. “Nous avons placé ces bornes dans des lieux très fréquentés, comme les galeries marchandes, afin que les candidats consultent nos offres et y répondent le plus rapidement possible. Job’shop est ainsi le premier système de recrutement interactif en temps réel”, explique Olivier Couderc, responsable du développement des agences informatiques et bureaux d’études. Vitesse et réactivité font en effet partie intégrante de sa stratégie : “La législation est claire, le travail temporaire est viable dans deux conditions seulement : le surcroît d’activité ou le remplacement.” Tout s’enchaîne. Plutôt que de se positionner sur les besoins classiquement couverts par les SSII, il est préférable de s’orienter vers une nouvelle forme de régie, plus réactive. Enfin, conséquence directe de ce besoin toujours plus fort de réactivité, l’arme fatale ?” dernière venue dans cette guerre entre SSII et sociétés d’intérim ?” est, bien sûr, Internet. Elle est utilisée par Help Emploi à Grenoble, comme par la plupart de ses concurrents, pour trouver la perle rare : “Nous avons drainé dix mille CV en 1999 sur un seul site, qui a fait l’objet de cent cinquante mille connexions en France et à l’étranger”, constate son directeur, Gérard Martinet et de préciser, “Chez nous, 70 % de la demande émanent des SSII.”

La traduction ? Si tous les moyens sont bons pour recruter, l’emploi temporaire n’en est qu’un supplémentaire. Et, du coup, la société d’intérim se transforme aussi en cabinet de recrutement.

Un moyen de recrutement à faible coût

C’est évidemment sur cet effet tremplin que jouent les sociétés d’intérim pour trouver leurs intérimaires. Leur slogan ? “Travaillez pour nous, et vous trouverez l’employeur qui colle à vos désirs.” L’idée est simple, au lieu de développer son propre réseau, l’informaticien a tout intérêt à utiliser celui des sociétés d’emploi temporaire. “On nous utilise pour rebondir, pour changer de région et de travail. Parfois aussi, certains indépendants en profitent pour obtenir de nouveaux marchés”, explique Géraldine Mocellin, responsable de GS Technologie. Devant la situation de carence actuelle d’informaticiens, près de 80 % des placements en SSII sont, à ses yeux, des préembauches. Et ce serait une véritable aubaine pour ses clients. “Face à un cabinet de recrutement, le gain pour l’entreprise est estimé à 20 %. Tout en sachant qu’une mission de trois mois est reconnue par la loi comme une période “, remarque Cathy Cappilati.
Dès lors, tout s’enchaîne, l’image de l’intérimaire bouche-trou est désuète. Il est devenu un véritable collaborateur. Du coup, le travail temporaire revu et corrigé par la pénurie redouble d’intérêt. En position de force, le candidat peut choisir ses missions et négocier son salaire, bénéficier de formations et de missions valorisantes, et tester l’entreprise avant de s’engager dans un CDI. Il bénéficie toujours d’une prime d’indemnité de fin de mission, réévaluant son salaire de 10 %. De son côté, la société utilisatrice ?” SSII ou non ?” peut non seulement répondre à des besoins ponctuels, mais elle aussi utiliser l’intérim pour sélectionner ses candidats lors de plans d’embauche.

“Nous avons une très forte culture intérimaire, et nous savons très bien intégrer les nouveaux candidats, confirme Jean-François Le Hémon, directeur des ressources humaines de la Messagerie de presse à Lyon. Depuis le 1er juillet 1999, j’ai recruté soixante-dix personnes. Et, la plupart du temps, je suis passé par Randstad, avec qui j’ai de très bons résultats.”

Un déficit d’image à combler

Alors, l’intérim, un bienfait pour tous ? Pas si simple. Jean-François Le Hémon reconnaît en effet établir un distinguo : “Nous recourons aux sociétés d’emploi temporaire essentiellement pour les informaticiens bac +2 et les BTS, dont nous sommes très friands pour la micro-informatique. Pour les ingénieurs, que nous sollicitons pour notre AS/400, nous préférons nous adresser à des SSII.”

La réserve est la même chez Eric Fradet, responsable EDI à Cegedim. Il ne s’adresse pas, lui non plus, à des sociétés d’emploi temporaire pour trouver des ingénieurs informaticiens : “Le niveau de recrutement en intérim est trop bas, comparé à nos besoins.”



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Rosalie Hurtado