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Pour la Cour de cassation, le mensonge même avéré est publiable sur le web

Dans un arrêt, la Cour de Cassation rappelle que des propos mensongers ne constituent pas obligatoirement un abus de la liberté d’expression et casse un jugement interdisant de les reproduire en ligne.

L’histoire remonte à l’an 2000, date à laquelle l’association ASPEG qui gère le musée Pegasus Bridge consacré au Débarquement attaque le Comité du Débarquement pour usurpation de son patrimoine, sa collection et ses murs. Elle lui reproche d’avoir fait main basse sur son travail de mémoire et de l’exploiter. Les plaintes des deux parties se multiplient pour divers motifs.

En novembre 2011 une plainte pour diffamation est déposée par le Comité du Débarquement contre l’ASPEG pour avoir fait figurer sur son site internet des propos litigieux estimés « mensongers ». La plainte demande le retrait des propos. Après deux ans de procédure, c’est à la Cour de Cassation de se prononcer après qu’en appel l’ASPEG ait été condamnée au motif que ces « propos litigieux (…) ont causé un préjudice » au Comité.

Dans cette banale histoire de propriété de biens et documents issus de la guerre et de leur exploitation, la Cour de Cassation rend pourtant un arrêt intéressant et susceptible de faire jurisprudence en matière de propos litigieux sur Internet.

La liberté d’expression vaut aussi pour le mensonge

Mettant en avant la Convention européenne des droits de l’homme dans son article 10 sur la liberté d’expression, la Cour rejette toute idée de préjudice né de ces propos et rappelle que « la liberté d’expression est un droit dont l’exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi, et que les propos reproduits, fussent-ils mensongers, n’entrent dans aucun de ces cas ».

Il est donc estimé que la cour d’appel avait violé la Convention européenne des droits de l’homme en interdisant de reproduire sur un site internet des propos « fussent-ils mensongers » s’ils ne constituent pas un abus de la liberté d’expression aux yeux de la loi. Les cas d’abus prévus visent en effet des notions plus fondamentales que sont entres autres la démocratie et la sécurité nationale, la justice ou la diffamation d’autrui.

Cet arrêt s’inscrit dans la logique de précédentes décisions. Dès 1999 la Cour européenne indiquait déjà « la liberté d’expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique ».

A l’heure où des parlementaires semblent vouloir s’emparer d’un « problème » de  liberté d’expression sur Internet, Cour de cassation et Cour européenne des droits de l’homme rappellent à bon escient qu’elles veillent déjà au respect de ce fondement de la démocratie, de ses limites et y compris sur internet.

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Sylvain Lefèvre