Passer au contenu

Portrait du père de Rayman : Michel Ancel, de la vie !

Figure de proue du jeu vidéo français, l’attachant papa de Rayman et des Lapins crétins avait disparu de la circulation en 2006, après avoir été fait chevalier des Arts et des Lettres. Il fait son grand retour cet automne avec Rayman Origins et n’a rien perdu ni de son humilité ni de sa vision.

Il faut le voir pour le croire : le papa du plus célèbre blondinet du jeu vidéo a désormais les tempes qui grisonnent. Un faux air de Franck Dubosc, mais avec son naturel à lui, une voix chaleureuse et enthousiaste, un regard perpétuellement émerveillé et une simplicité déconcertante. Oui, Michel Ancel est « gêné » quand, en référence au père de Mario, l’on appelle « le Miyamoto français ». « Il a toujours été un de mes modèles, confie-t-il, parce que dans le jeu vidéo, quand j’ai commencé, il n’y avait pas encore d’école de game design, pas de métier bien déterminé, alors il fallait bien prendre modèle sur certains. Miyamoto, c’est le sommet. » Et pourtant, lui aussi est un sommet.

Electron libre

L’humilité, la sincérité, la spontanéité, Michel Ancel en a toujours fait ses spécialités. Comme lorsqu’en 2008, au détour d’une interview croisée avec Enki Bilal et le dessinateur des Final Fantasy, Yoshitaka Amano, il révèle lui-même le projet Beyond Good & Evil 2, arlésienne des années 2000 dont Ubisoft avait toujours voulu cacher l’existence. Le natif de Monaco est un électron libre, et depuis longtemps.

Embauché à 19 ans seulement par le célèbre éditeur français, il annonce sa démission à peine un an plus tard, en 1992, lorsque la société décide de regrouper tous ses locaux à Montreuil, près de Paris, alors que ses attaches sont à Montpellier. Gérard Guillemot, qui l’a vu débuter à ses 16 ans, ne veut toutefois pas le laisser partir : il lui propose de réfléchir à un jeu et de le mener à bien dans la ville de son cœur, avec les ressources de l’entreprise. Michel Ancel se retrouve à 20 ans tout juste à la tête de son premier projet collectif et d’une équipe dont l’effectif va grimper en quatre ans jusqu’à une centaine de personnes : Rayman est lancé. Avec quelques graphistes, animateurs et musiciens, il en achève la direction artistique loin de Paris, dans… une grange, dans l’arrière-pays héraultais.

Chevalier des Bwaaaarts et des Lettres

Anticonformiste, amoureux de la nature, perfectionniste, Michel Ancel est tout cela à la fois. « Il a un besoin vital de côtoyer la nature, et en particulier la mer, pour se révéler et s’épanouir », explique ainsi sa sœur, Sophie Markus, dans la biographie de Michel Ancel parue l’année dernière aux éditions Pix’n Love. C’est donc à Montpellier qu’il bâtit l’un des studios les plus réputés du monde. Sa première production, Rayman, est le premier million seller de la PlayStation et propulse Ubisoft dans la cour des grands. En 2003, le jeu d’aventure fantastique Beyond Good & Evil (BGE), malgré des ventes décevantes, lui vaut la reconnaissance mondiale des joueurs et une prestigieuse réputation de faiseur d’histoires.

Dans la foulée, Peter Jackson lui confie le soin d’adapter King Kong en jeu vidéo. Vient ensuite la consécration officielle, la médaille de chevalier des Arts et des Lettres, remise le 13 mars 2006 par le ministre de la culture d’alors, Renaud Donnedieu de Vabres. Et avant de disparaître de la circulation, il donne naissance à la plus redoutable créature de jeu viédo de ces cinq dernières années : le Lapin crétin.

Cinq années de mystère

Et puis plus rien. De la frustration de ne pas avoir mené un projet à bien pendant près de cinq ans, Michel Acel ne dira pas grand-chose. Tout juste, que, « c’est sûr, on a toujours envie de sortir les jeux ». Mais que s’est-il donc passé pour qu’il s’éclipse si longtemps ? « J’étais occupé par mon cheval, par mon armure, par mon château, ça prend du temps, tout ça ! » nous répond-il du tac au tac dans un grand sourire hilare et communicatif. L’attaché de presse éclate de rire. « Non, non, je n’ai pas eu de château, ni d’armure, ni de cheval, en fait, je suis intervenu sur les Lapins [crétins], en reprenant un projet de Rayman 4 3D. Ensuite, je suis passé à BGE 2, et plus récemment à Rayman. » Ou comment résumer cinq années de mystère en deux phrases elliptiques.

Car sa disparition des catalogues de jeux, malgré plusieurs apparitions médiatiques, a longtemps laissé planer le doute chez ses fans, parfois même chez les journalistes, voire chez ses collègues : a-t-il encore la confiance d’Ubisoft ? Et s’il faisait une dépression ? « Tu sais, ça ne m’étonne pas, il a toujours été très désorganisé », entend-on dans la maison Ubi. Un collègue le décrira même comme « bohème », « pouponné » par la société ; et de rappeler ses premiers pas un peu baroques, ses heures à travailler sur le premier Rayman chez sa sœur, dans la cuisine, loin du cliché du studio de jeux vidéo lisse et (plus ou moins) organisé. En vérité, Michel Ancel travaillait. A sa manière, à son rythme, et surtout avec ses exigences, en petit comité.

Rayman Origins n’est pas né d’une volonté romantique de revenir aux sources, mais d’expérimentations sur un outil de développement procédural, dont Michel Ancel veut d’ailleurs ouvrir le code pour qu’il soit accessible à tous. « C’était dans la continuité de ce que nous faisions sur Beyond Good & Evil 2, un moteur conçu seon l’idée de générer du décor, explique-t-il. Tout est parti de cet outil, qu’on a appelé UbiArt framework. On s’est dit : “Pour démontrer que cet outil fonctionne, on va en faire un jeu.” » Et quel résultat ! Rayman Origins s’annonce comme l’un des tout meilleurs dans son registre depuis l’excellent New Super Mario Bros Wii, en 2009. A cela, rien de très étonnant : Michel Ancel a toujours associé son nom à des projets à la fois simples, pleins de merveilleux et d’une grande qualité.

Pourtant, le papa de Rayman n’est pas, contrairement au créateur de Mario, un directeur éditorial obsédé par le gameplay, devenu manager omnipotent et lointain superviseur d’une centaine de projets. D’une part Michel Ancel ne travaille que sur un projet à la fois. D’autre part il aborde le jeu vidéo comme un art complet, avec son interactivité, bien sûr, mais aussi sa puissance narrative, primordiale à ses yeux. Ses jeux fétiches ? Another World, Zelda III, Mystical Ninja

Beyond Good & Evil, grand succès critique.

« Selon moi, Miyamoto se concentre énormément sur le gameplay, sur ses franchises, précise le concepteur. J’ai une démarche différente, j’aime beaucoup travailler avec les outils aussi. J’aime beaucoup l’idée d’introduire de l’artistique dans les jeux, avec la narration, les graphismes, la musique, et de faire la meilleure synergie possible avec le gameplay. Nous avons deux approches différentes, des parcours différents. »

C’est pourquoi Michel Ancel s’investit dans tous les aspects de la création. « Michel est multifonction, témoigne Julien Chevallier, game designer sur Rayman Origins. Il met la main à la pâte pour chaque partie du jeu. » Au risque, bien sûr, de vexer ceux avec qui il travaille. « Il sait ce qu’il veut, il peut être difficile et n’hésitera pas à te faire recommencer quelque chose s’il a une idée en tête, poursuit-il. Mais il a une vision, c’est important. »

Au cœur sont l’humain et la nature

Sa sœur le décrit ainsi volontiers comme quelqu’un de « très observateur, fasciné par la nature des choses ». Ses jeux parlent de rapports humains, de dépaysement, de rapport à la nature. Ils sont également simples d’accès et rythmés, comme des dessins animés menés à train d’enfer.

A l’heure où Shigeru Miyamoto a depuis longtemps renoncé à son tablier de directeur créatif pur et dur, pour assumer un rôle plus générique de directeur éditorial, Michel Ancel est finalement l’un des derniers grands magiciens du jeu vidéo en activité. Rayman Origins n’est certainement pas son dernier jeu. Qui sait, un jour parlera-t-on, peut-être, de Shigeru Miyamoto comme du « Michel Ancel japonais ».

Michel Ancel s’est prêté au jeu de l’interview vidéo express pour faire le tour de Rayman Origins en quatre questions.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


J.-M. Aubry, D. Namias et J.-D. Duarte