Passer au contenu

Piratage : le ministère de la Culture prend ses distances avec le rapport Lescure

Le rapport Lescure propose que les amendes infligées aux pirates ne soient plus décidées par la justice, mais par le CSA. Le ministère est loin d’en être convaincu.

Ceux qui pensaient qu’Aurélie Filippetti avait tenu la main de Pierre Lescure lorsqu’il écrivait son rapport en seront pour leur frais. En effet, le ministère de la Culture est en train de prendre ses distances avec une des propositions du rapport.

Aurélie Filippetti est bien d’accord avec Pierre Lescure pour que l’envoi des courriers électroniques aux pirates soit confié, non plus à la Hadopi, mais au CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel). La ministre de la Culture est aussi d’accord avec lui pour revenir sur la coupure de l’accès Internet des pirates.

En revanche, une divergence apparaît sur celui qui infligera les amendes. Actuellement, c’est le juge pénal qui s’en charge. Mais Pierre Lescure a proposé de confier cette mission au CSA. Or, la rue de Valois n’est pas convaincue. « L’arbitrage n’est pas encore rendu définitivement, mais, à l’heure actuelle, le ministère envisage plutôt de laisser les amendes dans les mains de la justice, plutôt que de les confier au CSA. C’est pour cela que le CSA a pu déclarer fin mai qu’il ne voulait pas infliger les amendes », explique une source gouvernementale.

En pratique, la rue de Valois s’est aperçue que confier les amendes au CSA les faisait changer de nature, ce qui présente trois inconvénients.

Le nombre d’amendes

Actuellement, le nombre d’amendes infligées est infinitésimal. Entre mi-2011 et fin 2012, seules trois décisions judiciaires sont intervenues: un internaute a été condamné à une amende de 150 euros, un autre a été condamné mais dispensé de peine, et un troisième a été relaxé. Tandis que le dossier d’un quatrième internaute a été classé sans suite.

Ce faible nombre de décisions s’explique par les lenteurs de la justice, mais aussi par le très faible nombre de dossiers transmis au parquet par l’Hadopi : 14 en un an et demi.

Si l’amende est transférée au CSA, alors le nombre de sanctions pourra être plus élevé. En effet, la procédure sera allégée et évitera l’encombrement des tribunaux. Toutefois, Pierre Lescure assure que ce n’est pas l’objectif : cela « n’aurait ni pour objet, ni pour effet d’accroître le nombre de sanctions prononcées, qui resterait en tout état de cause limité », écrit-il.

Les droits de la défense

Si l’amende est transférée au CSA, la procédure sera plus souple et plus légère, ce qui présente des avantages et des inconvénients pour les droits de l’internaute.

Côté avantages : « cela éviterait le recours au tribunal de police, ainsi que la convocation préalable au commissariat, et l’inscription de la sanction au casier judiciaire », écrit Pierre Lescure.

Le problème est que la procédure devant le juge est aussi plus protectrice pour l’internaute, et donc politiquement plus défendable. C’est pour cela que c’est la piste préférée de la rue de Valois, confrontée à des députés qui veulent supprimer purement et simplement l’envoi d’emails aux pirates.

Pierre Lescure pense que cet obstacle peut être surmonté si l’amende infligée par le CSA est « encadrée par de fortes garanties des droits de la défense ». D’abord, elle « serait motivée et prononcée au terme d’une procédure contradictoire, permettant à l’abonné d’être entendu ». Ensuite, l’internaute pourra faire appel devant le tribunal administratif.

Le risque d’inconstitutionnalité

Last but not least, confier des sanctions à une autorité administrative, comme le CSA ou la Hadopi, pose des problèmes juridiques.

Le rapport Lescure estime – un peu vite – qu’il n’y a pas de problème. « Le Conseil constitutionnel a rappelé dans sa décision sur la loi Hadopi que le législateur peut confier aux autorités administratives un pouvoir de sanction, à condition de respecter le principe de la légalité des délits et des peines, ainsi que des droits de la défense », écrit-il.

En réalité, la décision du Conseil constitutionnel estime au contraire que confier des sanctions à une autorité administrative pose des problèmes.

D’abord, un problème de respect de la vie privée. La poursuite des pirates implique la collecte de données personnelles (l’adresse IP de l’internaute, et le nom des oeuvres qu’il a piratées) par des agents privés (les représentants des industries culturelles). Ces derniers transmettent ensuite cette adresse IP à la Hadopi, qui détermine alors l’identité de l’internaute. Pour le Conseil constitutionnel, une telle atteinte à la vie privée n’est acceptable que si la procédure aboutit devant un juge.

Ensuite, le Conseil constitutionnel avait aussi estimé que la présomption d’innocence n’était pas respectée par la loi Hadopi, qui jugeait un peu vite coupable l’internaute dont l’adresse IP était repérée sur les réseaux peer-to-peer. « Utiliser une sanction administrative pour le piratage est difficile, car ce type de sanction doit avoir un caractère automatique et se baser sur des faits objectifs, explique un expert. Tandis qu’une sanction par le juge permet de tenir compte des intentions de l’internaute. »

Interrogé, le ministère de la Culture nous a répondu: « La piste des amendes administratives, qui a a été invalidée par le Conseil constitutionnel lors de la loi Hadopi, doit encore être approfondie. Il ne s’agit que d’une piste, et non d’une solution clé en main. Après un temps d’expertise nécessaire, sera retenu le mécanisme juridique le plus approprié à la protection des droits des auteurs sur le plan des principes, et à celle des droits des citoyens sur le plan de la procédure ».

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Jamal Henni (BFM Business)