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Philippe Tassin : ” Les situations difficiles imposent un diagnostic immédiat “

Appelé par de grandes entreprises pour remettre sur pied des directions informatiques en débâcle ou des grands projets dans le chaos, Philippe Tassin est DSI intérimaire depuis 1997.

Ingénieur civil des Mines depuis 1967, Philippe Tassin n’a, depuis, jamais fait défaut à la profession informatique. D’abord consultant et ingénieur technico-commercial, il évolue, dès 1975, vers des postes à responsabilité pour devenir, en 1983, DSI chez Air Inter. Il assume ensuite la même fonction chez Thomson Grand Public, puis pendant dix ans chez Michelin, où il se trouve confronté à un contexte très difficile. Il y reste jusqu’en 1997, année au cours de laquelle il décide de se spécialiser dans la reprise des directions informatiques en difficulté.Vous êtes ce que l’on pourrait appeler un DSI intérimaire pour grands comptes. En quoi se distingue votre travail ?J’arrive dans une situation que les directions ne savent plus maîtriser. J’ai repris des grands projets de 400 000 jours/homme qui donnaient de la gîte ou des directions informatiques d’un millier de personnes en situation catastrophique. Je travaille seul pour des missions de douze à dix-huit mois. Cela suppose d’évaluer la situation, de remettre les choses en marche, puis d’aider au recrutement du futur DSI. Mon rôle consiste à aider la société à se réorienter très rapidement. Mais, après mon départ, la tâche est loin d’être terminée.Comment vous êtes-vous dirigé dans cette voie ?Je suis dans la profession depuis 1967. Contrairement à beaucoup, j’y suis resté. La mode, à l’époque, était d’exercer dans l’informatique pendant trois à cinq ans, puis, surtout, de faire autre chose après. J’ai été directeur de l’informatique de la direction industrielle de Renault. Et, de 1983 à 1985, directeur de l’informatique et des télécommunications d’Air Inter. Avant de devenir, ensuite, DSI de Thomson Grand Public. Enfin, pendant dix ans, j’ai occupé cette même fonction au niveau mondial chez Michelin. J’ai également, en parallèle, été administrateur du Cigref. Pour tout dire, je savais qu’un jour je finirais consultant. Ce qui me terrifiait, c’était que tous les collègues qui s’y étaient essayés avaient échoué. Pendant dix ans, je me suis donc constitué un carnet d’adresses. Je me suis fait connaître sur le marché, et j’ai cherché à rester compétent techniquement. Je me suis positionné sur le créneau très étroit des grandes directions informatiques en difficulté parce que j’avais préparé le terrain de telle sorte que l’on sache que j’étais capable de reprendre ces situations-là.Quelles sont les principales expériences que vous avez menées après avoir quitté la tête de la direction informatique de Michelin ?En 1997, j’ai rejoint une caisse de retraite en tant que directeur de projet de Sema. J’y suis resté environ huit mois dans un contexte difficile. Puis j’ai travaillé en assistance à la maîtrise d’ouvrage auprès de la direction d’EDF-GDF Services pour un projet de refonte des systèmes d’information de la clientèle [le projet Optimia, avant qu’il ne soit confié à IBM ?” NDLR]. Ensuite, et un peu parallèlement, j’ai repris la direction informatique d’une grande société du tertiaire. C’était une direction d’à peu près une centaine de personnes dans une situation apocalyptique. Elles avaient renvoyé leur directeur informatique, qui avait laissé des systèmes opérationnels qui ne marchaient pas. C’était l’horreur. J’ai remis sur pied la direction informatique et participé à l’embauche du directeur actuel. J’ai enchaîné chez Matra-Marconi Space. J’y suis resté environ quinze mois pour fusionner les services informatiques anglais et français. Je suis ensuite entré chez AXA Royale Belge. Là, on m’a d’abord demandé d’assurer le passage à l’an 2000, qui était problématique, puis de créer la direction informatique de ce nouvel ensemble ?” soit un peu plus de neuf cents personnes entre Anvers et Bruxelles. Je suis aujourd’hui chez France Télécom. J’y travaille depuis un an à la mise en place d’une DSI pour la branche entreprise.En arrivant dans une entreprise, quelles sont les premières mesures que vous prenez ?Je démarre sans aucune idée préconçue, car toutes les situations sont différentes. Il faut cependant être à chaque fois capable d’évaluer très vite la situation. Sans diagnostic immédiat, vous ne pouvez pas exercer ce métier. Ce ne sont pas des yeux qu’il faut avoir, mais des rayons X ! Le premier mois, j’interroge le maximum de monde, soit les cinquante personnes les plus élevées dans la hiérarchie, y compris chez les utilisateurs ?” chez Matra-Marconi Space, Manpower ou AXA, la réorganisation s’est faite dans les premières semaines après mon arrivée. En six semaines, l’organigramme est monté, et la séparation des personnes qui ne sont manifestement plus à leur place accomplie. En revanche, celles qui ont un potentiel gardent l’occasion de faire leurs preuves pendant les trois premiers mois. Mais le principal critère est d’aller vite. Si vous restez six mois à faire un audit, tout le monde aura commencé à construire son fortin et à ajuster les lignes de tir.A quels principaux types de pression êtes-vous généralement confronté ?Par exemple, vouloir réduire la taille d’un comité directeur de vingt-cinq personnes où tout le monde veut continuer d’assister risque d’être mal perçu : personne n’a envie de changer de mode de fonctionnement ni de prendre des décisions un peu dures. Et cela souvent pour des raisons purement politiques. Ainsi les jeux de pouvoir se développent-ils. Il m’est arrivé de proposer des mesures radicales provoquant une véritable levée de boucliers. Mais j’ai l’avantage d’être extérieur à l’entreprise. Je ne suis pas tenu par des habitudes ni par un réseau de relations. J’arrive sans influence ni copinage. Et je sais que je suis de passage. De plus, je suis immédiatement opérationnel. Malgré les tensions, je reconnais qu’on me laisse généralement accomplir mon travail, sachant que je ne suis là que pour une durée limitée.Et du côté des syndicats ?De manière très surprenante, les changements que je propose sont souvent très bien acceptés par les syndicats et par les comités d’entreprise. C’est, en effet, un passage obligé lorsqu’on est chargé d’une réorganisation. Les travaux réalisés avec eux se sont bien déroulés ?” en particulier chez Matra et chez AXA. Chez l’assureur, quand je leur ai expliqué ce qu’on allait entreprendre et que je leur ai donné les grandes orientations, ils m’ont même applaudi !Comment se compose le panel des personnes que vous interrogez ?De la direction, bien sûr, mais également des grands patrons des utilisateurs. Il s’agit de comprendre comment l’informatique est perçue et quels sont les besoins exprimés, et aussi de savoir s’il existe un plan directeur… L’informatique n’est pas seule en compte. Elle ne fonctionne que si elle s’insère dans un environnement qui travaille avec elle. J’ai très souvent remarqué que les entreprises entrent dans des zones de turbulences quand l’informatique se retrouve très isolée, voire considérée comme le mouton noir.Dans ces conditions, comment réagissez-vous ?J’accorde la plus grande confiance aux personnes. C’est un risque à prendre pour avoir une équipe. Je l’ai souvent constaté : dans les équipes considérées comme nulles parce que tous leurs projets échouent, il se trouve des personnes remarquables mises sous le boisseau. Ce sont elles que je mets en place. Mais, lorsque dans une entreprise, le projet informatique “normal” est celui qui ne marche pas, il est bien difficile de sortir de cette culture de l’échec. Il faut alors persuader les salariés ?” et c’est très long ?”qu’un projet normal est un projet réussi.Vous arrive-t-il de jouer un rôle pédagogique, notamment pour la gestion de projets ?Oui, bien sûr. Je mets en place des structures de gouvernance, avec un vrai directeur pilote, qui définit la stratégie, un directeur de projet et des chefs de projets utilisateurs. Dans ces équipes, les utilisateurs sont impliqués jusqu’au cou. Je propose aussi des outils de suivi de projets, indispensables pour bien les gérer. Reste la question du budget. Il faut compter une année pour en établir un qui soit propre. Même dans les plus grandes sociétés, il n’existe parfois pas de budget. Ou alors, il est impossible à consolider.Quand considérez-vous que votre est mission terminée?Lorsque mon successeur est en place pour assurer la relève.Comment percevez-vous la profession de directeur informatique ?Elle est très traumatisée. Un tiers des directeurs informatiques se renouvellent chaque année. Et, sur ce tiers, plus de la moitié se sont fait renvoyer. Je n’ai jamais vu traiter un directeur industriel de cette manière… Il est à la mode, dans les directions générales, de mettre le directeur informatique à la porte et d’en prendre un autre. Il devient très difficile d’exercer cette profession. Cela commence à se savoir. Et, le sachant, beaucoup ne veulent plus devenir DSI.

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Philippe Billard et Andrée Muller