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Passé recomposé

L’Archéopôle d’Aquitaine, un centre de recherche, met à disposition des archéologues une plate-forme numérique unique en France, Archéovision. Découverte.

Il sourit, semble-t-il avec bienveillance. Gardien des lieux, le sphinx de Delphes accueille les visiteurs de l’Archéopôle d’Aquitaine, caché au fond du campus universitaire bordelais de Pessac. L’imposante statue de marbre symbolise ce qui se trame dans cet établissement de recherche en archéologie. Réplique d’une œuvre datée de 580 avant notre ère, elle a été sculptée, à vingt-sept siècles d’écart, par un robot, à partir d’un modèle numérique. Ici, on tente de percer les secrets des sociétés anciennes. Surtout, on y façonne les outils modernes de l’archéologie.L’informatique y tient une place majeure : trois des onze membres de l’équipe d’Archéovision, la plate-forme numérique 3D de l’Archéopôle, sont des développeurs. La chaîne numérique commence dès les fouilles. Un relevé laser ou des photos des lieux suffisent pour recréer un modèle fidèle sur ordinateur. L’archéologue prend les mesures qui l’intéressent, sans multiplier les allers-retours dans des pays à l’accès parfois limité. Idem pour les objets dont les formes alambiquées compliquent les mesures directes. Dans un deuxième temps, le modèle numérique sert de point de départ à la restitution virtuelle de morceaux manquants. L’exercice s’appuie sur un travail préalable de recherche d’iconographies et de textes. Avec ses logiciels de modélisation 3D, l’équipe transcrit les hypothèses des chercheurs, les confronte à la réalité, les valide ou non.L’une de ses réalisations les plus connues est la restitution du Circus Maximus de Rome. Lors des séances de travail dans l’Odéon, un amphi équipé d’un projecteur vidéo en relief, il est apparu qu’une mosaïque représentant le cirque ne collait pas avec le modèle numérique : elle suggérait l’existence d’un niveau supplémentaire de gradins. “ Plutôt que de penser que les Romains s’étaient trompés, on s’est dit que c’était nous ”, explique Robert Vergnieux, responsable de la plate-forme 3D.Véritable outil de travail, la modélisation numérique évolue en même temps que les connaissances. “ C’est pourquoi les images que nous diffusons portent un macaron précisant leur année de création ”, souligne l’égyptologue.La représentation numérique en 3D offre aussi un accès simple à des données pointues. Elle permet de réunir des archéologues et des spécialistes d’autres disciplines. Ainsi, lorsqu’il s’est agi de reconstituer le mécanisme romain de remontée de l’eau dont un fragment avait été découvert au fond d’un puits, à Barzan (Charente-Maritime), un ébéniste et un ingénieur hydraulique ont participé aux discussions. Même si “ nos images ne sont pas faites pour être belles, mais pour être scientifiquement correctes ”, insiste M. Vergnieux, elles sont aussi un magnifique support de valorisation et de promotion des travaux. La restitution d’un atelier de montage de l’usine Renault de Boulogne-Billancourt a pu s’enrichir de personnages, cet ajout étant financé par l’entreprise qui souhaitait utiliser les images pour sa communication.

Vers le calcul en temps réel

Prochaine étape, le calcul en temps réel des simulations numériques, grâce à des supercalculateurs. Le Mésocentre de calcul intensif aquitain compte ainsi 3328 cœurs de calculs. “ Les fantasmes les plus fous des archéologues seront bientôt satisfaits ”, prédit avec gourmandise M. Vergnieux. Imaginez, un archéologue n’aurait qu’à photographier sous plusieurs angles sa découverte avec son smartphone, pour recevoir, en retour, une reconstruction en 3D. Le passé en direct, ou presque.

Deux méthodes de création

Il existe deux techniques pour créer un modèle numérique et fidèle des objets ou des sites archéologiques : le relevé laser et la photogrammétrie. Avec le premier, un laser balaie consciencieusement les surfaces. Les signaux lumineux réfléchis permettent de localiser précisément les points d’impact. La seconde nécessite un appareil photo numérique de qualité (l’équipe Archéovision utilise un Nikon D700), avec lequel on prend une multitude de photos, sous différents angles. Ensuite, un logiciel assemble de manière automatique les clichés et construit alors un nuage de points qui dessine les contours de ce que le temps a épargné. Cette étape peut prendre d’une semaine à six mois selon l’ampleur des projets. La photogrammétrie s’applique mal aux objets de couleur uniforme. Plus long à réaliser, le relevé laser permet d’obtenir plus de détails.

Villa à restaurer

Grâce à la photogrammétrie, voici la maison romaine dite des fresques, située à Tipasa (Algérie). Elle se compose de 22 pièces sur une surface de 1 000 m2. Près de 1 100 photos ont servi à construire son double numérique. Il sert de base à la modélisation 3D, en cours, de la villa, laquelle s’appuie en parallèle sur la lecture des textes historiques en latin.

Aux premières loges

La restitution numérique du Circus Maximus de Rome est l’un des travaux les plus connus de l’équipe. Cette vue est celle dont jouissait l’empereur, assis dans sa loge. Laquelle ne se trouvait pas au milieu d’une des tribunes latérales, comme on pourrait le supposer, mais dans un coin. Plus exactement, à la sortie de l’un des virages. Là où les accidents de chars étaient les plus fréquents, là où le spectacle était assuré. La modélisation 3D ouvre de nouveaux champs de recherche : étude de l’acoustique des lieux, simulation de l’ensoleillement, du remplissage et de l’évacuation des quelque 95 000 spectateurs.

Enigme égyptienne

Dans un temple à l’est de Karnak (Egypte) furent découverts les vestiges de statues représentant Akhénaton, roi de l’Ancienne Egypte, chacune au pied de ce qui semblait être la base d’un pilier. Les égyptologues pensent alors qu’une série de colosses se tenaient le long d’une galerie de colonnes. La modélisation numérique montre que c’est impossible, en raison de la présence de deux colonnes dans un angle. Les scientifiques formulent une seconde hypothèse : les “ piliers ” seraient les piédestaux des statues. Lesquelles se tiendraient alors devant un mur aveugle. Virtuellement, cela fonctionne. La consultation des relevés archéologiques confirme l’hypothèse.

Cinéma en relief

Véritable outil de travail, l’Odéon est équipé de quatre vidéoprojecteurs et d’un écran de 8,5 mètres de longueur sur 3 mètres de largeur, avec une résolution de 2496 points par 1050. Un PC relié au réseau de l’institut permet de lancer les restitutions virtuelles, et même de les visionner en relief grâce à des lunettes spéciales. Le système est différent de celui qui équipe les cinémas. Projetées en même temps, les images des deux yeux contiennent des couleurs de longueurs d’ondes distinctes. Le bleu, le vert, le rouge des images de l’œil gauche ne sont pas exactement les mêmes que ceux des images de l’œil droit. Les verres des lunettes filtrent les longueurs d’ondes afin de restituer à chaque œil les couleurs, et donc les images, qu’il doit percevoir. Avec un avantage par rapport à la 3D par polarisation de la lumière des cinémas : l’écran n’a pas besoin d’être métallique, un mur peint en blanc suffit. Les lunettes, elles, sont plus chères.

Archéologie industrielle

Les travaux de l’Archéovision s’étendent de la Préhistoire à l’ère industrielle. En l’occurrence, le laboratoire a planché sur l’apparition de l’automatisme sur les chaînes de montage, dans les années 20. A partir de photos, de notes de service et de schémas, l’atelier C5 de l’usine Renault de Boulogne-Billancourt a été reconstitué en images de synthèse. On visualise ainsi les opérations effectuées sur les dix postes de la chaîne de montage des châssis, avec un niveau de précision élevé : pupitres, pièces, boulons nécessaires y figurent. Le projet se limitait à l’origine à la modélisation des opérations. Intéressé par le résultat obtenu, Renault a financé l’ajout de personnages virtuels afin d’utiliser les images pour sa communication. Ce qui a permis de remarquer que, sur les clichés d’époque, les poses des ouvriers, certes photogéniques, ne correspondent pas à la réalité des gestes.

Beau comme l’antique

Le sphinx de Delphes est en réalité une sphinge. L’œuvre, haute de 4,5 mètres, est connue sous le nom de Sphinx des Naxiens, les habitants de l’île de Naxos l’ayant offerte au temple de Delphes, vers 580 avant notre ère. En 2005, à partir du modèle numérique acquis par relevé laser, un robot en a sculpté une copie dans un morceau de marbre de Carrare, visible à l’Archéovision d’Aquitaine. “ C’était une expérimentation, nous n’avons pas vocation à réaliser des copies ”, précise l’archéologue. Quant au chapiteau, il a été sculpté artisanalement.

Conservatoire virtuel

De tous ces travaux sur ordinateur émerge un nouveau patrimoine, numérique cette fois, qu’il est impératif de conserver au même titre que l’original. C’est la fonction de l’Archeogrid : la base de données archéologique, accessible par Internet, stocke et met à disposition les modèles numériques patiemment construits. Les serveurs sont hébergés à Villeurbanne, au centre de calcul de l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules, dans lequel aboutissent les calculs de rendu des images de synthèse ou de superposition des clichés photogrammétriques.

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Olivier Lapirot