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Pas de remise en cause par les tribunaux des ” liens profonds “

En condamnant Keljob, les juges ont reconnu la primauté du contenu sur le trafic. Mais se sont bien gardés de dénoncer le principe d’hyperlien. Analyse.

Les déboires des modèles publicitaires sur internet risquent-ils d’affecter les moteurs de recherche ? Voilà la vraie question que suscite le cas d’école Keljob, un mois après le revers juridique essuyé par le site de recherche d’offres d’emplois face à Cadremploi. Dès son lancement en mai 2000, Keljob s’est imposé sur le marché de l’e-recrutement comme “fournisseur de trafic ciblé” pour les jobboards. Une sorte de “moteur publicitaire” à l’époque où la course à l’audience et la guerre des prix étaient la règle du secteur. Et où les moteurs de recherche ne pâtissaient d’aucune limite légale. Ainsi en avait jugé en tout cas, le 22 août 2000, le tribunal d’arrondissement de Rotterdam dans l’affaire Kranten.com : il avait considéré qu’il appartenait à l’éditeur, s’il ne voulait pas être référencé, de protéger son contenu . “Les hyperliens avaient trouvé leur justification dans les revenus publicitaires générés par le moteur de recherche pour le site indexé”, commente Thibault Verbiest, du cabinet parisien Ulys. Mais les temps ont changé, semble-t-il.En septembre dernier, Keljob a été condamné par le tribunal de grande instance de Paris à verser 150 000 euros de dommages et intérêts au site de recrutement Cadremploi. L’éditeur d’offres d’emplois accusait en particulier Keljob de référencer sans autorisation sa base d’annonces classées, en se livrant à une “exploitation industrielle des liens profonds “. Cadremploi a plaidé la valeur éditoriale de son site, en s’appuyant sur la loi du 1er juillet 1998 qui assure en France une protection des bases de données. Elle défend une conception utilitariste des droits d’auteur, fondée sur l’investissement dans l’architecture technique et le marketing. Les avocats de Cadremploi ont estimé la base de données à plus de 8 millions d’euros. Une valeur qui intègre les investissements humains consentis pour sélectionner et vérifier les offres mises en ligne. Face à ces arguments, la justification publicitaire de Keljob n’a pas convaincu les juges.

Un assainissement du secteur

Les réactions n’ont pas tardé. Pour Emailjob, les implications du jugement ne font aucun doute : “C’est le signe d’un assainissement du secteur de l’e-recrutement, qui reconnaît toute la valeur d’une offre d’emploi, fruit d’un investissement en force commerciale et en marketing”, commente Hervé Drieu, directeur des marchés. Chez Jobpilot, référencé par Keljob, on se veut plus prudent : “Si les rendements publicitaires apportés par Keljob aux sites d’emploi diminuent, le moteur de recherche est condamné à devenir un jobboard comme les autres, avec une marque et une base d’offres en propre.” Mais pour Thibault Verbiest, ce revirement de jurisprudence annonce “une évolution du web vers des modèles payants”, où le facteur publicitaire cède le pas au facteur éditorial.Reste que le tribunal de grande instance de Paris a pris soin de mettre hors de cause le principe des liens profonds, se prononçant sur le cas spécifique de sites spécialisés, où le moteur de recherche finit par concurrencer l’éditeur. En dautres termes, le pointage automatique utilisé par les moteurs de recherche tels Yahoo ou Lycos reste légitime. Les condamner reviendrait à tarir 30 à 40 % du trafic du web.

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Sébastien Fumaroli