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Olivier Bomsel (Ecole des mines de Paris) : ‘ Il faut faire payer certains usages d’Internet ‘

Economiste et chercheur, Olivier Bomsel n’hésite pas à formuler, à l’adresse des pouvoirs publics, des propositions iconoclastes. A moins qu’elles soient de bon sens…

Coauteur d’un rapport sur les ‘ Enjeux économiques de la distribution des contenus ‘, Olivier Bomsel dirige depuis 1998, conjointement avec Gilles Le Blanc, les recherches sur l’économie
numérique entreprises dans le cadre du Cerna, un laboratoire de l’Ecole des mines de Paris. Ses principaux axes de réflexion, qui ont pour vocation de déboucher sur des préconisations concrètes, tournent tous autour de l’économie des réseaux, des
contenus et de la numérisation des entreprises. En plein débat sur les enjeux d’Internet, le pavé dans la mare qu’il lance, aujourd’hui, tombe à pic. Son appel à une contribution équitable de chacune des parties prenantes à l’édification du réseau a
un mérite inestimable : la netteté.01 Informatique : Vous soutenez que le paysage actuel d’internet, dans lequel la gratuité absolue et la liberté des comportements semblent dominer, constitue un état de fait dangereux du point de vue
économique. Pourquoi ?
Olivier Bomsel : L’industrie du contenu et l’industrie du réseau se sont développées très vite, et pour ainsi dire conjointement. Nous nous apercevons maintenant que cette adoption très rapide de la numérisation
dans les contenus et les échanges aboutissait à des conflits, notamment au niveau de la gestion des droits et de la propriété intellectuelle. C’est le cas, par exemple, de l’industrie du disque. Il est donc urgent de réguler les choses.Les fournisseurs de contenus n’exagèrent-ils pas un peu ? Après tout, s’ils sont lésés par le piratage en ligne, ils peuvent se rattraper sur le volume des échanges…Absolument pas. Il n’y a ni création de valeur, ni de valorisation des produits lorsque l’on détruit le ‘ consentement à payer ‘. Et, dans ce domaine, il faut bien distinguer ce qui se passe en Europe de ce
qui se passe aux Etats-Unis. De l’autre côté de l’Atlantique, le problème est très différent : la gestion des droits du cinéma est le fait de cinq grandes majors. Quant à celle des droits sur la musique, elle est concentrée dans les mains de
trois grandes sociétés. Là-bas, tous les contenus passent par le câble. Ils sont parfaitement contrôlés par des acteurs suffisamment puissants pour imposer ce qu’ils veulent aux fournisseurs d’accès.La situation est-elle différente dans l’Hexagone ?Le paysage est morcelé, et les fournisseurs ainsi que les pouvoirs publics poussent les gens à s’équiper massivement, à un coût toujours plus bas. En faisant croire ou en laissant croire que tout est gratuit, à la libre disposition
de tout le monde, et que tout s’échange gratuitement. Ce n’est pas sain, mais ça marche : regardez le lobbying extraordinairement efficace qu’il y a eu lors du débat à l’Assemblée sur le projet de loi sur la confiance dans l’économie
numérique.Mais votre idée de tarification se heurte à la réalité : personne n’envisage sérieusement d’expliquer aux gens qu’ils vont devoir payer pour aller sur certaines zones de l’Internet.C’est bien là tout le problème. Tout le monde est en train de s’habituer à cette situation, qui consiste à subventionner le consommateur d’une manière artificielle, pour qu’il n’ait rien à payer. Et, à l’arrivée, ce contournement
risque de pénaliser tout le monde, les fournisseurs d’accès à internet aussi bien que les consommateurs.Les adolescents ne paieront jamais pour surfer et échanger des fichiers !Pas de problème : ce sont leurs parents qui paieront. Comme ils paient pour l’usage du téléphone mobile par leurs enfants, notamment sous la forme des SMS, ils paieront pour certains usages d’Internet. Et ce mouvement sera
bénéfique, en ce qu’il donnera une fonction sociale au Web.Pourquoi n’y a-t-il pas plus de réflexion économique et sociale autour de ces sujets ?Concernant les économistes, c’est compréhensible. Ils sont habitués à raisonner globalement. Il y a, autour des questions liées à l’informatique et à Internet, un degré de technicité dans lequel ils ne sont pas prêts à entrer. Mais
nous, nous sommes des chercheurs ; nous regardons comment les mécanismes fonctionnent et faisons des propositions concrètes. Le plus loin que nous puissions aller, c’est d’envisager un business model.

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Pierre-Antoine Merlin