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Nous sommes tous des Bobos (mais ça ne fait pas mal)

“Bourgeoise” et “bohème” à la fois, la nouvelle élite de l’ère de l’information veut réussir sans se renier.

Vous prenez le mot conventionnel pour une insulte ? Vous utilisez un Palm Pilot (ou vous en aurez un à Noël) ? Vous considérez votre job comme un moyen de vous éclater autant qu’une source de revenus ? Vous préférez les fraises Tagada aux bonbons au miel des Vosges ? Ne cherchez plus : vous êtes un Bobo. La présence de vos empreintes digitales sur ce magazine vous aurait trahi de toute façon.Les Bobos sont la nouvelle élite de l’ère de l’information. La nouvelle classe dirigeante aux Etats-Unis et la puissance montante dans l’Hexagone. Le concept a été inventé par David Brooks, dans son best-seller Bobos in paradise. C’est la contraction de “bourgeois” et de “bohème”, le fruit d’une culture hybride qui réconcilie la réussite matérielle des bourgeois et l’univers intello, créatif et éthique des babas cool. Les Bobos sont les enfants de Laurent Fabius et de Joan Baez (même s’ils renient l’un et l’autre).Cette élite new-age a intégré la mentalité rebelle des années 60 et le désir de réussite des années 80. L’esprit des étudiants sages qui défilaient pour obtenir des moyens pour leur fac et celui de leurs aînés qui avaient cassé la leur à coups de pavés. Les deux courants ?” ceux qui manifestaient pour bosser plus, et ceux qui le faisaient pour bosser moins ?” paraissaient irréconciliables.Grâce aux nouvelles technologies de l’information, la productivité, l’autodiscipline et l’ambition vont de pair avec la créativité, l’expression de soi et le goût des expériences fortes. Le monde des affaires et celui des idées ont fusionné.Les Bobos redéfinissent leur époque. “Etre moderne, ce n’est plus être révolutionnaire ou transgressif”, analyse Gilles Lipovetsky, spécialiste de la mode et de l’individualisme. Pour ce sociologue, les grands systèmes idéologiques se sont épuisés, laissant un boulevard à la culture de l’argent. Un boulevard bordé par des principes d’éthique : la condamnation de la corruption et l’honnêteté. Désormais, il faut réussir sans tricher ni renier l’idéal d’égalité sociale.C’est pourquoi les Bobos aiment le luxe discret. Ils préfèrent Nautica à Lacoste, les mocassins Prada aux Weston, et les lunettes cerclées de fer à la Kafka aux Ray-Ban. Après le 4 x 4 qui n’a jamais dépassé la porte de Saint-Cloud, voici les chaussures de sport (New Balance) qui ne fouleront jamais le stade. Aux Etats-Unis, il existe même une chaîne de magasins qui incarne la nouvelle façon de consommer de ces néo-yuppies : Fresh Fields. Son créneau ? Les produits naturels et énergisants, les voyages intelligents ou l’ameublement authentique (exemple : des tables de paysan en bois massif hors de prix). L’idée la plus explosive de Woodstock, l’amour libre, a disparu. Mais il reste le pain gris truffé de petites graines et les jus qui laissent des dépôts au fond du verre.Toute la France ne baigne pas encore dans cette nouvelle culture. Mais ses représentants s’emparent peu à peu des clés du business. Des gens “économiquement de droite” qui votent écolo, ou des gens de gauche bardés de stock-options : start-uppers en baskets roses et chemise fluo, courtiers qui vivent dans des lofts d’artistes ou profs d’histoire de l’art qui jouent leurs économies en Bourse. Les hommes d’affaires se sont mués en “créateurs qui, accessoirement, font du business”. Et peut-être n’est-ce pas seulement un nouveau sociostyle.Car ce monde moins hiérarchique et plus créatif et où les salariés pensent “en artistes” et n’ont plus d’horaires (seulement des échéances) est plus rapide. Exit le patron-seigneur, place au “motivateur”, à l’inspirateur, au facilitateur. L’hédonisme de Woodstock est devenu un outil de management chez Yahoo! et dans les filiales de France Télécom.Vous n’êtes pas convaincu ? Regardez autour de vous : quand J6M ?” énarque, polytechnicien, homme de cabinet chez Balladur ?” se fait le chantre de la nouvelle économie décomplexée, pose en chaussettes et veut offrir des Palm Pilot à ses lieutenants pour qu’ils aient l’air moins frenchie lorsqu’ils rencontrent leurs homologues d’Universal, qui oserait prétendre que rien n’a changé au royaume-de-France.com ?

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Christine Kerdellant