Passer au contenu

Nicole Turbé-Suetens, Présidente de l’Association Française du télétravail : ” Le Medef ignore le télétravail et les syndicats traînent les pieds “

Pour sa neuvième édition, du 25 au 27 septembre, Ework, rencontre annuelle des experts du travail à distance en Europe, s’installe en France… où cette pratique peine à percer.

Qu’attendez-vous de Ework ?C’est la première fois que la France accueille la manifestation, et nous espérons qu’elle donnera un coup de projecteur sur le télétravail, méconnu dans notre pays. Le fait qu’elle soit organisée par l’AFTT [Association française du télétravail, ndlr], et dans les locaux du ministère de l’Économie, devrait rendre ce mode d’organisation du travail plus crédible : les Français ont toujours besoin d’une bénédiction de l’État ! Par ailleurs, cette manifestation ne se veut pas conceptuelle, mais truffée d’exemples concrets piochés chez les bons élèves européens et transposables en France.Qui sont ces bons élèves ?Essentiellement les pays du Nord, en tête desquels le Danemark. Ce pays a proposé des mesures incitatives au télétravail : accord-cadre avec les partenaires sociaux, déductions fiscales pour les entreprises qui équipent leurs salariés d’un ordinateur à domicile(*), assorties d’une obligation pour ces derniers de passer le “permis de conduire européen en informatique”, etc. Résultat : au Danemark, le nombre de télétravailleurs a doublé en quatre ans.Pourquoi la France est-elle si réticente à l’égard du télétravail ?Il manque des offres de connexion à l’internet rapide attrayantes pour les entreprises comme pour les particuliers. Plus profondément, la France n’a jamais brillé par sa capacité d’innovation en matière d’organisation du travail. Elle fonctionne sur un modèle très hiérarchique, et le management se croit investi d’un devoir de contrôle présentiel sur ses troupes.Les entreprises ont-elles vraiment à gagner à développer le télétravail ?Absolument. Plusieurs études montrent que la productivité d’un télétravailleur est en moyenne de 15 à 30 % supérieure à celle d’un salarié “classique”. De plus, en France, dès 2003, les sociétés cotées devront faire état de leur politique sociale et environnementale dans leur rapport d’activité. Or, le télétravail participe au développement durable et à la responsabilité sociale de l’entreprise.Les “bénéfices” que vous évoquez ne sont-ils pas imputables au seul travail permanent à domicile, lequel semble en perte de vitesse au profit de nouvelles formes de télétravail ?Chaque type de télétravail a ses avantages et ses inconvénients. Le télétravail permanent à domicile est effectivement peu développé aujourd’hui, et nous ne le préconisons pas car il isole le salarié de l’environnement professionnel. Le télétravail alterné, trois jours chez soi, deux au bureau par exemple, est préférable, à condition d’être formalisé. Trop d’entreprises “improvisent” le télétravail, conservant par exemple un bureau permanent pour les télétravailleurs en alternance, alors que des bureaux de passage seraient suffisants et moins coûteux. Quant au nomadisme, qui consiste à équiper d’outils informatiques portables les salariés, la forme de télétravail la plus populaire auprès des entreprises, ses bénéfices pour le salarié sont plus nuancés : certains nomades se mettent à travailler partout et tout le temps…Comment les syndicats et les organisations patronales considèrent-ils le télétravail ?Sur ce sujet, ils font cause commune ! Le Medef [Mouvement des entreprises de France] s’en désintéresse complètement. Quant aux syndicats, ils ne sont jamais moteurs dans sa mise en place et traînent les pieds. Ils s’inquiètent de voir les statuts ébranlés par son introduction, tout en réfléchissant à des compensations financières pour les télétravailleurs, dont le surcroît de productivité est prouvé. Il faut toute la détermination d’un DRH, sa capacité à se faire entendre, pour qu’enfin on réfléchisse au télétravail dans l’entreprise. Autant dire que ça n’arrive pas souvent…(*) La France a copié cette mesure, mais sans permettre au salarié d’utiliser son ordinateur à des fins professionnelles, et sans obligation de formation.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Sophie Janvier-Godat