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Navigateurs dans l’âme, surfeurs par passion

Internet a changé la vie en mer. Le courrier électronique permet d’apprivoiser la solitude des grandes traversées. Mais ce qui rive vraiment les marins à leurs ordinateurs, ce sont les sites météo qui, en temps réel, révèlent la force des vents.

Internet et la navigation, un duo qui commence au coup du canon. Celui qui donne le départ de toutes les courses en haute mer. Mais c’est dès la conception d’un voilier de compétition que le web obtient l’un des premiers rôles.Une fois la carène dessinée et moulée, il reste à installer l’essentiel, qui fait la différence en compétition : l’équipement, l’accastillage (drisses, écoutes, palans, gréements, etc.) et , surtout, l’emplacement des winchs, ces tourelles chromatiques à effet de cliquet qui démultiplient les forces des navigateurs, permettent de tendre la voile afin de serrer le vent au plus près et de tenir son cap.” Quand on est sur un nouveau projet, il est difficile d’être toujours sur le chantier. Internet, par le biais des webcams, est un outil indispensable pour suivre en temps réel la construction d’un bateau. Cela permet de réagir au coup par coup, même si vous êtes en train de vous épuiser de réunion en réunion pour convaincre les sponsors des chances de réussite et de notoriété de votre projet “, explique Catherine Chabaud, navigatrice qui, à 38 ans, affiche à son palmarès pas moins de deux Vendée Globe.Internet (comme l’informatique embarquée à bord, VHF, mini M, Standard C, etc.) commence donc à terre, bien avant d’être un outil indispensable en mer.Il est loin le temps ou Éric Tabarly refusait de communiquer sa position ?” au grand dam de ses proches ?” afin de créer la surprise et de préserver ses secrets de navigation. Aujourd’hui, les cartes marines ont jauni. Elles sont à bord au cas où l’informatique tomberait en panne, et surtout pour respecter les règlements de course.La traditionnelle ” table à carte ” a été remplacée par un poste de pilotage constitué de plusieurs écrans. Les données cartographiques et météorologiques étaient hier figées et datées, c’est-à-dire souvent périmées. L’horizon ressemblait à un miroir angoissant. Aujourd’hui, chaque navigateur peut s’adapter aux aléas des courants et des anticyclones comme aux caprices des vents chauds que sont les alizés.

Boîte à nuages

Du port de Lorient aux Sables-d’Olonne, en passant par les deux sanctuaires de la voile que sont La Rochelle et La Trinité-sur-Mer, les navigateurs sont devenus surfeurs. Tous admettent le caractère incontournable de leur ” boîte à nuage “, le cocktail de sites météo que chacun s’est composé à sa convenance. Michel Desjoyeaux, skipper du voilier PRB, reconnaît qu’il ” passe la moitié de son temps de navigation sur les écrans météo “.Exit le temps ou les marins réagissaient au moindre cumulus… Tous scrutent les sites internet qui fournissent des” fichiers grib “. On peut y visualiser les zones à atteindre en intégrant la prévision des champs de vents, leur direction, leur force.Les fichiers grib indiquent très exactement, pour une situation donnée, le cap à tenir pendant une heure et comment réagir aux aléas de la météo pour fixer un nouveau cap trois quarts d’heure plus tard. La navigation devient interactive quand hier, les navigateurs, sur leurs tables à cartes, se fixaient un cap pour 24 heures.Le navigateur ne se contente plus de tracer sa route à partir de données brutes : il intègre, grâce à un logiciel, ” les polaires ” de son bateau. C’est-à-dire les paramètres de résistance que celui-ci oppose aux éléments.Le but est d’optimiser les performances par ajustements successifs, et non de foncer dans le brouillard au milieu des icebergs comme ce fut malheureusement le cas dans la décennie 1970.

Assistance réparation

Il reste à savoir si ces outils sophistiqués n’empêchent pas les navigateurs de… naviguer ? Le risque est alors de négliger les man?”uvres sur le pont. De privilégier la route plutôt que la tactique. Mais à l’arrivée, c’est la route qui fait la différence. La tactique n’entre en compte qu’au finish, quand deux bateaux se battent bord à bord, à quelques milles de la ligne d’arrivée.Plus généralement, les navigateurs s’accordent pour estimer que l’informatique à bord permet de ” booster ” de 10 à 15 % les performances des Formule 1 de la mer. Dans le cas de courses avec assistance à terre, ce chiffre s’avère plus important. Car internet permet de réparer une avarie rapidement. Ainsi, lors de la construction du bateau, toutes les pièces stratégiques sont filmées et archivées.Si un élément vient à casser, le navigateur peut appeler son équipe à terre qui possède sur écran toutes les caractéristiques techniques du bateau. Il suffit alors d’afficher l’élément à réparer pour que les techniciens donnent des conseils de réparation. Le navigateur n’a plus qu’à s’exécuter…

En direct du bord

L’enjeu d’internet a été également compris par les sponsors, qui imposent des caméras à bord pour que les internautes suivent l’aventure des navigateurs en direct. Grâce aux satellites, les voiliers sont devenus de véritables studios de production. Internet fait désormais partie du business plan de tout skipper.Internet permet aussi de lutter contre la solitude. Le navigateur Philippe Monnet en est le contre-exemple. Il s’était contenté de s’abonner au système de téléphone Iridium, qui couvrait les zones les plus isolées du globe grâce à ses soixante satellites.La faillite retentissante de ce projet un peu fou a plongé le navigateur dans la solitude la plus totale entre le cap de Bonne-Espérance et l’océan Atlantique… Rien de tel avec les messageries électroniques. Catherine Chabaud s’en réjouit. ” Cela permet d’être tout autour de la planète sans être loin de ses proches. Même sous les quarantièmes rugissants. On peut ainsi goûter la réalité d’un songe sans couper toutes les amarres. Goûter aux joies de l’exil tout en préservant son royaume.

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Jean-Pierre Savalle