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Mythes et réalités de la nouvelle économie

En France, la critique vient souvent avant l’analyse : la nouvelle économie n’échappe pas à la règle. Elle se voit accablée de tous les maux avant même qu’elle n’ait produit ses premiers effets réels dans l’Hexagone.

On prédit l’éclatement de la bulle financière engendrée par la surcote des valeurs high-tech. On se moque de ces financiers à qui l’on fait croire au jackpot en les entortillant avec du jargon Internet. On vilipende ces ” entreprenautes ” opportunistes qui créent des start-up de niche à tour de bras par l’unique appât du gain, etc. Bref, la nouvelle économie serait morte avant d’être née !

Il est peut-être temps de remettre les choses à leur place : non, la nouvelle économie ne peut se résumer à un seul échauffement boursier ; oui, il y aura forcément des morts dans l’aventure. Faisons d’abord un sort à la confusion entre ” Net-économie ” (qui s’écrit de plus en plus en un seul mot : netéconomie) et la nouvelle économie. La première est une mauvaise traduction de ” Web business “, c’est-à-dire tout le business et toutes les activités que l’on peut générer avec Internet quand on crée un site. La deuxième est beaucoup plus générale. Elle va beaucoup plus loin qu’une simple crise d’épilepsie financière ou technologique. La nouvelle économie n’est pas une mode : c’est un vrai changement dans les comportements des entreprises et des consommateurs, et cette mutation produira des effets durables sur la société et sur les échanges mondiaux.

Un bouleversement radical des habitudes de travail

Pour l’entreprise, la nouvelle économie, c’est tout simplement la possibilité de travailler plus vite et moins cher, et de toucher plus de clients de manière ciblée. A une condition : qu’elle soit capable de réformer de fond en comble ses habitudes de travail. Les traditions cartésiennes, hiérarchiques des entreprises françaises vont être mises à mal. C’est le souffle jacobin qui doit resurgir ! L’archétype du patron de droit divin, seul maître à bord, qui reste une coutume bien de chez nous, doit être rangé au musée Grévin du management. Place aux idées nouvelles, ouvertes, à la concertation, aux équipes de projets, à la communication interne et externe permanente et transparente, aux business plans souples et révisables. Mais, surtout, place aux partenariats techniques organisés en étoile, aux réseaux de spécialistes dans les services à haute valeur ajoutée. C’est une nouvelle organisation plus efficace qui se dessine, pour un objectif classique : gagner la compétition. Mais c’est quand même une sacrée révolution des mentalités ! Quand on comprend l’intérêt des entreprises à participer à ce changement, l’essor prévisible du commerce électronique interentreprises, du business to business, s’explique alors très facilement.Pour supporter cet élan moteur et en être les rouages, nombre de projets se créent sur des niches de produits ou de services high-tech. Et ?” tendance récente ?” ils trouvent facilement à se financer. Or, c’est là qu’intervient un autre élément de l’analyse : toutes les activités de la nouvelle économie, sans exception, s’appuient sur une valeur technologique forte, symbolisée par le savoir-faire autour d’Internet. Qui dit nouvelle économie, dit système d’information sophistiqué à base de logiciels et de matériels lourds. Plus c’est simple devant l’écran, plus c’est compliqué derrière. L’arbre du front office ne doit pas cacher la forêt du back office. Or, l’accès à la maîtrise des technologies de l’information n’a pas fondamentalement changé en France : il reste limité à des spécialistes qui ont fait des études ad hoc et qui transmettent peu et mal leur savoir-faire.

De nouvelles compétences pour lentreprise…

Voilà pourquoi il y aura des morts : dans la noria de ces acteurs vite auréolés de l’étiquette ” nouvelle économie “, qu’ils soient bailleurs de fonds ou entrepreneurs, s’il se trouve quelques génies, il y a aussi des incompétents notoires ou des caractères sûrement astucieux et rapides, mais qui ne connaissent pas grand-chose à l’informatique. Ces gens-là s’imaginent qu’il est aussi facile d’acquérir un savoir-faire technologique que d’acheter une baguette. Attention aux déconvenues ! On ne bâtit pas une offre high-tech sur du vent. Il faut aussi quelques millions de lignes de code informatique. Les besoins existent. On peut même envisager d’en créer (a-t-on vraiment ” besoin ” d’acheter un livre sur Amazon. com ?). Mais ils ne seront durablement satisfaits que par une chaîne logistique sans faille. Ne survivront que les projets forts, bien maîtrisés par des équipes d’expérience et bâtis sur un système d’information irréprochable. Le marché fera son tri, comme il l’a toujours fait dans son histoire ?” en référence, par exemple, au boom des sociétés de chemin de fer en Grande-Bretagne dans les années 1850, qui se retrouvèrent une petite vingtaine après avoir été plus de mille.

… et de nouveaux comportements pour le consommateur

Du côté des consommateurs, le raisonnement est le même. L’usage d’Internet, de ses produits et de ses services ne peut évidemment que se répandre. Le seul obstacle reste le coût du ticket d’entrée que constituent l’équipement actuel (PC, logiciels, modem, connexion) et sa difficulté d’apprentissage. Mais ce paquetage et son usage peuvent se simplifier (téléphone mobile, télévision, etc. ). Donc, tout ce qui peut s’acheter et qui n’est pas porteur d’un lien affectif fort s’achètera sur Internet : des actions en Bourse, des billets de spectacle ou de train, des biens d’équipement ou d’alimentation, etc. Tout ce qui peut faciliter la vie du consommateur, lui éviter des déplacements sans grand intérêt s’achètera sur le Net. Mais cela s’arrêtera là ! Le pouvoir d’achat des foyers ne va pas changer, ni ses habitudes fondamentales de consommation par un coup de baguette magique de la fée Internet. On ne va pas soudainement acheter deux fois plus parce que c’est plus facile et plus rapide de le faire par le Net. Voilà pourquoi la plupart des analystes connaissent déjà la courbe du développement du commerce électronique de détail ?” le business to consumer. Et pourquoi on sait qu’elle atteindra son niveau maximal dans quelques années ?” autour de 20 % du marché global de la consommation.

Du côté des consommateurs toujours, pour qu’ils profitent du boom, il faut, comme dans les entreprises, un minimum d’apprentissage technique. Dans ce domaine, les Français ne sont pas des surdoués, et ils ne sont pas particulièrement aidés. On n’apprend toujours pas systématiquement l’informatique à l’école (pas même la frappe au clavier !). La plupart des profs du secondaire n’y connaissent rien ou n’ont pas les moyens d’en développer l’enseignement. Le Français ” moyen ” est un utilisateur informatique moyennement motivé. Il met plus de temps que ses collègues anglo-saxons, germaniques ou nordiques à intégrer l’usage des nouvelles technologies. Mais, en général, avec force réticences et grognements et beaucoup de débrouille personnelle ?” et tant qu’il s’agit d’usages et d’objets lui apportant une utilité ou un plaisir supplémentaires ?”, il parvient à rattraper son retard, comme l’ont montré les courbes d’achat sur dix ans des magnétoscopes ou, sur deux ans, des mobiles. Quel sera l’impact réel de tous ces changements sur la société.Le débat est déjà lancé. On imagine, d’un côté, des formes conviviales de communautés et de créations, et, de l’autre, des scénarios catastrophes de libertés trop permissives. Ici, on vante la communication planétaire immédiate ; là, on insiste sur le ” fossé numérique ” et l’écart Nord-Sud. A droite, la vision magique d’un monde numérique libéral ; à gauche, la crainte tenace d’une dictature digitale de Big Brother. Bref, c’est aux sociologues et aux politiques de parler. Mais, pitié, qu’ils s’y mettent eux aussi un peu, à Internet, avant de se lancer dans de grands discours !

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Luc Fayard, directeur de la rédaction de