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Microsoft France condamné pour contrefaçon

C’est l’histoire de l’arroseur arrosé. Microsoft, chantre des campagnes antipiratages, vient d’être condamné. Les plaignants ? Les auteurs du modeste mais génial logiciel d’animation 3D Character.

Tribunal de commerce de Nanterre, 27 septembre 2001. Microsoft France, à travers sa filiale défunte Softimage France, est condamné à 3 millions de francs de dommages et intérêts pour contrefaçon. Le coupable ? Softimage, la star de l’animation 3D, à qui l’on doit les effets spéciaux de Jurassic Park, Matrix, Titanic… Le complice ? Microsoft France qui, en 1997, a ” dissous par anticipation avec transmission universelle de son patrimoine “ sa filiale Softimage France alors même qu’elle était poursuivie depuis deux ans par les auteurs de Character pour contrefaçon, parasitisme, concurrence déloyale et illicite.En dissolvant sa filiale, l’éditeur gagne assez de temps pour revendre Softimage à Avid (160 millions de dollars) et éviter que cette affaire de piratage n’aggrave son cas dans le procès pour abus de position dominante engagé par l’Etat américain.Avec ce verdict, les auteurs de 3D Character, Raymond Perrin et Isabelle Cuadros, voient leur travail enfin reconnu, même si Microsoft a fait appel du jugement.

1987-1989, la genèse des destins

Raymond Perrin et Isabelle Cuadros, installés en région parisienne, produisent des images de synthèse 3D avec les outils logiciels qu’ils ont conçus. Ils fondent Syn’x Relief et donnent naissance au module d’animation 3D Character, dont les codes sources sont déposés à l’Inpi. Au Canada, Daniel Langlois fonde Softimage à la même époque et présente en 1988 son premier logiciel d’animation 3D, Creative Environment 1.0, voué à un rapide succès.

1990-1991, rencontre et découverte

Syn’x Relief présente Le Pantin, son premier film d’animation réalisé avec Character. Il remporte un franc succès : premier prix Eurographics à Montreux, premier prix au festival international du film à Genève, primé à Imagina, sélectionné au Siggraph…Le Pantin est présenté hors compétition au festival Images du futur, où Daniel Langlois le voit. A sa question : “Avec quels outils avez-vous réalisé ce film ?”, l’équipe de Syn’x Relief répond : “Le nôtre, Character.”Character comprend des fonctionnalités absentes de Creative Environment. Daniel Langlois propose immédiatement à Syn’x Relief un contrat qui permettra leur intégration dans son logiciel. D’autres candidats se déclarent ; parmi eux, les studios Walt Disney, Thomson Digital Image, Industrial Light and Magic.

1992, séduction et contrat

C’est avec Softimage que le courant passe le mieux. En 1992, Daniel Langlois signe un premier contrat pour ” mettre en ?”uvre l’intégration du logiciel Character dans la structure informatique de Softimage afin de permettre aux sociétés désignées une plus grande capacité commerciale, technique et artistique “. Désormais, Character est lié à Creative Environment ; il ne peut plus être commercialisé indépendamment.

1993, intégration et bonheur

Reste à intégrer les fonctionnalités de Character dans Creative Environment. “L’abandon de l’idée d’un module Character séparé” fait son chemin chez Softimage. La livraison du produit final est prévue pour mars 1993 et un avenant au contrat initial est signé. Syn’x Relief touchera 2 225 dollars par licence Character vendue dans Creative Environment jusqu’en 1994, où le contrat pourra être révisé. En novembre 1993, l’intégration n’est toujours pas terminée. Selon Softimage, les fonctions de Character seront la principale nouveauté de la version 2.65 de Creative Environment, dont la présentation mondiale est prévue à Imagina en février 1994. Chez Syn’x Relief, c’est l’euphorie.

1994, le piège se referme

Début février, à la veille du salon Imagina et un mois avant la date du renouvellement du contrat liant les deux parties, un retard supplémentaire est annoncé par Softimage : la version de Creative Environment intégrant les fonctionnalités de Character devrait être présentée en juin 1994 lors du salon américain NAB. Dans la foulée, un nouveau protocole d’accord est proposé à Syn’x Relief : cession de tous ses droits et royalties amputées de 55 %. Syn’x Relief refuse le protocole.Le 10 février 1994, Microsoft annonce le rachat de Softimage pour 130 millions de dollars. En mars, Microsoft-Softimage reconduit pour un an le contrat avec Syn’x Relief, une décision qui s’explique sans doute par le fait que les auteurs ont déposé un brevet franco-américain sur la fonctionnalité la plus évoluée de Character, Plan-Pivot, déjà intégrée dans la partie Actor de Creative Environment. Finalement, c’est en juillet que Character débutera sa carrière commerciale, sous la bannière Microsoft-Softimage, à l’occasion du Siggraph d’Orlando.

1995, la rupture

En mars 1995, le divorce entre Microsoft-Softimage et Syn’x Relief est consommé. Le contrat n’est pas renouvelé et Microsoft-Softimage certifie que “tout ou partie de Character” a été retiré de la nouvelle version de Softimage 3D. Dans les faits, seul Plan-Pivot, couvert par le brevet, l’a été. Huit autres fonctionnalités, présentes dans Character depuis 1990 et formant toute l’originalité du logiciel, sont toujours présentes dans Softimage 3D de Microsoft.

Six ans de procédure

Liée par une clause d’interdiction de commercialisation ou d’exploitation de son logiciel Character jusqu’en mars 1996, Syn’x Relief est dans l’incapacité de survivre. L’entreprise est mise en liquidation judiciaire en 1996. Entre-temps, les auteurs assistent impuissants à l’intégration de Character dans la version 3.0 de Creative Environment.Deux courriers exigeant le retrait des fonctionnalités de Character, adressés en juillet et septembre 1995 au siège de Softimage avec copie à Microsoft, restent sans effet. Le 6 novembre 1995, les auteurs font procéder à une saisie conservatoire pour contrefaçon au siège de Softimage France et engagent des poursuites. Une seconde saisie aura lieu sur le stand Microsoft-Softimage au salon Imagina en février 1996.Syn’x Relief liquidée, les auteurs de Character décident de faire valoir leurs droits en nom propre. Ils font appel à Jean-Pierre Chardenon, expert en informatique près la cour d’appel de Paris, pour expertiser le bien-fondé de leur demande. Microsoft-Softimage leur oppose Michel Lucas, professeur à l’Ecole centrale de Nantes. Une première audience a lieu le 27 septembre 1997.La cour, devant la complexité technique du procès, nomme un troisième expert, Yves Cailleau, expert auprès de la cour d’appel de Versailles. Pas moins de deux ans et demi lui seront nécessaires pour fournir ses conclusions. Le 8 juin 2001, les avocats plaident leurs dossiers, chacun s’appuyant sur les expertises menées depuis 1996. Le 27 septembre dernier, le verdict tombe : Microsoft France, par l’intermédiaire du fantôme de Softimage France, est condamné pour contrefaçon.

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Lionel Berthomier