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Michael Stora, psychologue clinicien

‘ Les amateurs de jeux violents ne deviendront pas pour autant des psychopathes ‘

Bonjour à toutes et à tous, nous recevons aujourd’hui Michael Stora, psychologue clinicien. Michael Stora : Bonsoir à tous.Bekko :
Pourquoi est-il nécessaire à l’homme de jouer ? Frigo : Hormis l’amélioration de certains réflexes moteurs, qu’apportent les jeux vidéo d’un point de vue social et intellectuel ?


Pour moi, la capacité à jouer est essentielle, car elle permet de pouvoir avoir des espaces de récréation dans le sens de re-création. Je me dis souvent que ce qui m’inquiète, ce sont les personnes qui ne savent pas
‘ jouer ‘ (pas seulement au jeu vidéo). Concernant la question de Frigo : Patricia Greenfield de l’UCLA a montré que les jeux vidéo développent trois compétences cognitives : l’intelligence déductive, la
spatialisation en 3D et la capacité à réaliser plusieurs tâches en même temps. D’un point de vue social, on remarque déjà que dans les cours de récréation, le sujet qui revient le plus souvent est le jeu vidéo. Dans les MMORPG, on commence à étudier
la sociabilité et même à imaginer des transferts de compétence sociale du virtuel au réel.Patrick 1er : Bonjour. En quoi les jeux vidéo peuvent avoir des effets dangereux sur la vie des ados ? Carl : Les abus de jeux vidéo ont-ils un impact important sur la santé ? Si oui, quelles en sont les
causes ?



Première question : pour le moment, j’observe plutôt des avantages pour la grande majorité des ados. A cette époque difficile de l’adolescence, le jeu vidéo permet par l’incarnation de l’avatar d’affronter des images de soi parfois
défaillantes. Deuxièmement : à un âge où, d’un point de vue psychique comme physique, beaucoup de choses nous échappent, le geste interactif permet d’avoir une maîtrise, une emprise. Deuxième question : c’est la question de la dangerosité
qui semble-t-il est abordée. Mon travail de clinicien me fait remarquer que le jeu est avant tout un révélateur de pathologies préexistantes :
‘ Non, Sega n’est pas plus fort que toi ! ‘
🙂heyox : Bonsoir Michael, je suis développeur de jeux (on fait des jeux pour enfants). Dois-je me reconvertir de peur de rendre les bambins accros ? 🙂


Je me rends compte que, dans le milieu du game design, un bon jeu est un jeu ‘ addictif ‘, comme un bon roman rend accro. Rassurez-vous, le jeu vidéo, même s’il y a une certaine violence graphique, ne fera
pas de cet enfant un futur psychopathe. Par contre, je me permets de trouver la plupart des jeux dits ‘ ludoéducatifs ‘ plutôt abêtissants, car ils fonctionnent selon la pédagogie classique, à savoir bonne ou mauvaise réponse.heyox : Pensez-vous que les MMO RPG sont plus dangereux que d’autres types de jeux vidéo pour l’accoutumance ? Vilnius : Y a-t-il des jeux qui provoquent plus particulièrement cette addiction ?


Les deux questions se rejoignent. 100 % des ‘ no life ‘ jouent au MMORPG et plus précisément à World of Warcraft (WoW). Je développe : tous les jeunes ne vont pas forcément être
accros, mais il est très difficile de ne jouer que 2 heures par jour à WoW, par exemple. C’est un jeu chronophage : 95 heures pour monter d’un niveau zéro à un niveau 70 sans forcément avoir de compétence de
gamer ; présence obligatoire 3 nuits par semaine, de 9 heures à minuit, quand on appartient à une guilde d’élite. Ce type de jeu génère donc en effet des processus ‘ addictogènes ‘, tout en remarquant
que les ‘ no life ‘ que je reçois ont trouvé dans ce monde un ‘ Prozac interactif ‘ !Babouchka : Et dans l’autre sens, de quelle façon le jeu vidéo peut-il permettre de soigner certaines pathologies ? Quelles pathologies ? Et pourquoi utiliser le jeu vidéo ? Mister-Irchad : Que soigne-t-on par
le jeu vidéo ?



Depuis six ans, je soigne des enfants et des pré-ados souffrant de troubles du comportement violents et d’échec scolaire grave. Le jeu vidéo leur permet d’avoir un cadre contenant qui est celui des règles aussi bien du
gameplay que des limites propres au jeu et cela va les aider à affronter certaines représentations que d’habitude ils répriment.neolinux : Pourquoi ne pas commencer par mettre un contrôle parental et une limitation de connexion par jour pour les jeux on line ? Necrops : Que pensez-vous des outils de gestion du temps de jeu inclus dans la XBox 360
ou dans World of Warcraft ?



Le contrôle parental, dans l’idéal, doit avant tout être humain. Le contrôle parental comme outil technique doit être un allié et non un outil de surveillance et de soumission. Le problème, avec WoW par exemple, est
que le contrôle parental ne se met que lors de l’installation du jeu. J’observe que la plupart des parents, refusant de s’intéresser à ces jeux, ne sont pas présents lors de l’installation, et c’est ensuite trop tard. J’ai fait partie de la
commission du Forum des droits sur l’Internet en tant qu’expert. Le FDI propose qu’il y ait une ‘ fatigabilité ‘ de l’avatar au bout de 3 à 4 heures de jeu. C’est resté lettre morte. On comprend bien pourquoi…


Je me rends compte avec le temps que le plaisir proposé par les MMO est très différent de celui des jeux vidéo classiques. Selon moi, on ne retrouve pas la ‘ virtuosité ‘ qu’exige la plupart du temps les jeux vidéo classiques. Le plaisir
se situe surtout dans la co-présence, la sociabilité, les ‘ instances ‘… En fin de compte, ce jeu exige avant tout d’être présent car lorsqu’on éteint le PC, le monde continue sans nous.Eric Laffond : Fréquence ou quantité… que faut-il prendre en compte lorsque l’on joue aux jeux vidéo ?


Désolé. Je ne comprends pas la question.patou : Peut-on devenir fou devant un jeu vidéo ? Pourquoi la plupart des fabricants de jeux mettent plus en avant (sur les boîtes de jeux) les risques physiques que les risques psychologiques encourus par le joueur ?
Liiiiii : Peut-on se fier aux indications d’âge sur les boîtes de jeux ?



Deux réponses. Pour la première question : le jeu vidéo peut en effet être un déclencheur d’une décompensation psychiatrique mais non pas la cause. D’ailleurs, comme pour l’épilepsie, il arrive étonnamment que des contextes de jeu
vidéo très précis viennent révéler des zones ‘ refoulées ‘ et qui vont provoquer, sans compréhension de la part du joueur, des états d’angoisse massifs. On retrouve d’ailleurs ce même travail de transformation psychique
pour le cinéma, voire la lecture de romans.


Pour la deuxième question : je fais partie de la commission PEGI et je pense que l’influence puritaine anglo-saxonne se ressent fortement. Comme exemple récent, Pegi a donné à Kirikou le classement
‘ 7+ ‘, tout simplement parce qu’on y voyait une femme africaine aux seins nus. Je trouve cela étonnant et il s’agirait de repenser le classement Pegi. J’y travaille :-). Il y a comme un paradoxe où la violence graphique n’est pas
sanctionnée, alors que dès que l’on trouve des scènes à connotation sexuelle, d’emblée le jeu est ‘ +18 ‘. GTA San Andreas est un bon exemple car s’il a été +18, c’est tout simplement que le héros pouvait avoir une relation sexuelle
avec une prostituée.Eric Laffond : De la fréquence de jeu ou du nombre d’heure passées devant le jeu, que faut-il prendre en compte pour définir quelqu’un comme accro ? Serge : Moi, j’aurais voulu savoir ce qu’on pouvait faire face à
un ado qui a une complète addiction aux jeux vidéo ? Comment peut-on l’en détacher ?



Première question : Pour moi, la fréquence de jeu et le nombre d’heures sont similaires… mais il est encore dur de déterminer un nombre d’heures précis pour établir un diagnostic de ‘ cyberdépendance ‘. On constate
celle-ci lorsqu’il y a une rupture des liens sociaux : absence du repas familial, rupture du lien avec les amis, avec sa petite amie, et rupture scolaire voire professionnelle.


Deuxième question : comme je le disais précédemment, le jeu vidéo va avoir une fonction d’antidépresseur. De plus, il est évident que c’est un nouvel enjeu d’autorité. La solution première étant de négocier avec son ado un temps de jeu
déterminé. Si cela ne marche pas, il ne faut pas avoir peur de couper la ligne et ainsi d’affronter sa colère. La dernière solution étant de l’envoyer voir un psy. Il est préférable que ce psy connaisse bien la culture du jeu vidéo car cela permet
une bonne alliance thérapeutique.


Au mois de janvier, je vais ouvrir le premier lieu de soin en France spécialisé dans la ‘ cyberdépendance ‘. Je vais proposer en plus de la psychothérapie classique des solutions de soins adaptées à ce type de population,
comme un atelier de création de jeu vidéo et des séances de laser flash (similaire au paint ball où l’on tire avec des pistolets laser).errrosboy : La Corée du Sud a été le premier pays à ouvrir une clinique pour soigner des jeunes ‘ intoxiqués ‘ aux jeux vidéo. Si vous les connaissez, vous inspirez-vous de leurs méthodes
thérapeutiques ?



La dernière solution (le laser flash) s’inspire de techniques thérapeutiques proposées par un psychiatre chinois, colonel dans l’armée, qui propose aux cyberdépendants des entraînements paramilitaires. Je ne veux pas aller jusqu’à cette
extrémité, le but étant : premièrement, de les confronter à leurs cinq sens où le corps entier est sollicité, deuxièmement, de les aider à retrouver le plaisir de jouer car dans l’addiction, on est plus dans l’enjeu que dans le plaisir,
et, enfin, troisièmement, de les aider à travailler pourquoi pas le plaisir de perdre et donc d’accepter quelque chose de leur impuissance.le plombier à moustache : Que pensez-vous des nouvelles consoles de Nintendo (Wii et DS) ? Peut-on dire que, de par la nature des jeux proposés et le public plus diversifié, ces consoles sont plus
‘ sociales ‘ ?



Oui, Nintendo a le souhait de combler le fossé générationnel. En effet, les études montrent que la tranche d’âge 45-60 ans refuse souvent par peur le plaisir vidéo ludique mais la socialisation du jeu se retrouve aussi dans les LAN
party de type Counter Strike, et, d’ailleurs, les gamers ne sont pas fans de la Wii, car la pratique de ses jeux est jugée trop fatigante.Louisa : Il semble que l’addiction touche plus les individus de sexe masculin que féminin. Pourquoi cette tendance ? S’inverse-t-elle par l’appropriation par tous des outils informatiques et ludiques ?


En effet, bien heureusement, on observe de plus en plus de joueuses car les jeunes femmes actuelles sont moins culpabilisées par l’émergence de leurs pulsions agressives. Pour ce qui est de l’addiction, je n’ai reçu encore aucune joueuse.
Il me semble que les femmes ont un rapport au temps plus raisonné. Par contre, l’expliquer ici serait trop complexe.Mister-Irchad : Les nouvelles technologies en matière de jeux vidéo pourront-ils aider la science dans la recherche contre certaines maladies telle qu’Alzheimer ?


J’imagine que vous faites référence au jeu d’entraînement cérébral et, en effet, ces jeux-là peuvent non pas soigner ni guérir mais peuvent continuer à stimuler la mémoire chez des patients atteints d’Alzheimer.heyox : Vous arrive t-il de collaborer avec des développeurs au niveau du game design dans le but d’améliorer la pédagogie des jeux, notamment pour les enfants ?


Oui. Je travaille sur deux grands chantiers. L’un qui tenterait de trouver une solution à l’échec scolaire en utilisant voire en créant des jeux vidéo qui ne soient pas à l’image des logiciels ludoéducatifs classiques. Je travaille dans ce
sens avec le site Metaboli (distributeur de jeu vidéo sur PC). Autre chantier : la création de jeux vidéo que l’on nomme ‘ serious gaming ‘ dans le traitement de l’obésité infantile, non pas dans le fait de bouger son
corps, mais dans le fait de proposer un contexte suffisamment métaphorique qui permettrait à l’enfant ou l’ado obèse d’affronter certaines de ses peurs ou inhibitions.ouiouioui : Le fossé culturel et technologique qu’il peut y avoir entre un adolescent et les psychologues/psychiatres est-il un frein à votre compréhension des phénomènes d’addiction aux jeux vidéo ? Pensez-vous qu’il soit
nécessaire à un praticien de jouer à ces jeux pour déchiffrer les problèmes des accros ?



Beaucoup de mes collègues pensent à tort que les ‘ no life ‘ seraient des schizophrènes en sursis. Pour exemple : si je joue pendant 10 heures d’affilée, que j’éteins mon PC, et que juste après je fais tomber un vase,
je peux dire par exemple : ‘ Zut j’ai oublié de sauvegarder ‘. Dans ce cas, un psychiatre ne connaissant pas l’expérience de l’immersion dans le jeu vidéo pourra diagnostiquer de la folie. Ainsi, je forme de plus en plus de soignants à la
compréhension de cette nouvelle forme d’addiction.Mister-Irchad : Etes-vous personnellement amateur de jeux vidéo ? Si oui, celle vous aide-t-il à trouver des solutions ‘ anti-addiction ‘ ? Nestu : Au fait, vous jouez à quoi actuellement ?


Première question : je suis un gamer et j’ai abordé tardivement le jeu vidéo avec Deus ex de Warren Spector. Il m’arrive de proposer aux cyberdépendants de jouer à Fable car il
propose le même contexte que WoW et que surtout il y a une fin ! Deuxième question : j’ai de moins en moins de temps pour jouer mais, il y a 2 soirs, après ma dizaine de patients, j’ai joué à Halo
3.
Merci beaucoup Michael Stora, le mot de la fin ?


Le mot de la fin s’adresse à ceux qui n’ont jamais joué : ‘ Osez jouer ! ‘ et ‘ N’ayons pas honte même si c’est un plaisir solitaire ‘. 🙂 Merci à tous pour vos questions ! Je vous renvoie si vous
souhaitez approfondir, à mon dernier livre Les écrans ça rend accro… dans la collection Ça reste à prouver, chez Hachette Littérature.

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La rédaction