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Me Tellier-Loniewski : ‘ L’arrêt de Montpellier ne légitime pas le téléchargement ‘

Laurence Tellier-Loniewski, avocate, revient sur l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier, qui a confirmé la relaxe d’un jeune homme possédant 500 films copiés. Pour elle, les juges ont fait l’impasse sur le fond du
problème : l’origine illicite des ?”uvres copiées.

Hier, jeudi 10 mars, la cour d’appel de Montpellier
confirmait le jugement du tribunal correctionnel de Rodez, qui avait relaxé en octobre dernier un jeune homme en possession de 488 films copiés sur CD. Les juges de l’Hérault ont
considéré que ces reproductions entraient dans le cadre de l’exception au droit d’auteur, qui tolère, dans
l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, une copie de l’?”uvre à usage privé.Pour Laurence Tellier-Loniewski, avocate au cabinet Alain Bensoussan, l’arrêt de la cour d’appel n’est pas sans poser des questions. Elle rappelle le cadre dans lequel peut s’exercer la copie privée.01net. Certains interprètent l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier comme une légitimation du téléchargement de films ? Est-ce le cas ?


Maître Laurence Tellier-Loniewski. La cour d’appel de Montpellier rappelle un principe qui ne peut être contesté : le droit pour tout un chacun de faire une copie privée d’une ?”uvre de l’esprit, quelle que soit son
origine et son support. Dans
l’affaire de Rodez, le point délicat est la source de l’?”uvre en question, et notamment le téléchargement. On a le droit de copier, certes, mais qu’en est-il lorsque
l’origine est illicite ? Ce que dit le code de la propriété intellectuelle, c’est qu’un droit de copie est toléré quand l’?”uvre a été divulguée. La divulgation fait référence au droit moral de l’auteur de mettre son ?”uvre sur le
marché.Et que dit sur ce point l’arrêt de la cour d’appel ?


Il n’est pas très clair, on a l’impression qu’il élude le problème. Et pourtant, c’est le fond de l’affaire : est-ce que la tolérance de copie privée peut s’exercer lorsque l’?”uvre est de source illicite ? Personnellement,
je ne le crois pas. Ni le tribunal de Rodez ni la cour d’appel de Montpellier n’ont légitimé le téléchargement, ils ont évacué ce point. A ma connaissance, ils se sont arrêtés au texte du code de la propriété intellectuelle.


Il faut rappeler que c’est une juridiction pénale, qui interprète les textes strictement. Je pense quand même qu’il y a une mauvaise interprétation du texte : la copie privée ne peut pas être légitime s’il y a contrefaçon. Les juges
n’ont pas ouvert ce débat.Mais le problème ne venait-il pas justement du fait que l’origine illégale des films n’avait pas pu être prouvée ?


C’est en effet ainsi que peut se comprendre la décision de Montpellier. Il appartenait aux parties civiles de prouver que la source était illicite, et que l’internaute le savait, ou aurait dû le savoir. La décision est beaucoup moins
compréhensible sur la notion de diffusion dans le cercle de famille. Car dès qu’il y a prêt, on sort dudit cercle. La personne jugée à Rodez a admis avoir prêté ses films à des connaissances.Les parties civiles se pourvoient en cassation. Que va-t-il se passer désormais ?


La Cour de cassation peut réformer une décision, sur des questions de droit, mais non sur des questions de faits. Elle dira peut-être qu’à partir du moment où l’on se trouve sur un site de peer-to-peer on sait que c’est illicite. Elle peut
estimer aussi que la cour d’appel n’a pas assez étudié l’argument de la licéité des sources. A l’inverse, elle peut considérer que ce n’est pas à elle, juge du droit, de remettre en cause l’appréciation du premier juge sur ce point.


Ce qui m’étonnerait beaucoup, c’est qu’il n’y ait pas une cassation sur la notion de cercle de famille. Dans ce cas, il y aurait un revirement de jurisprudence. Une jurisprudence constante dit que le droit exclut toute diffusion à
l’extérieur, en dehors du cercle de famille. Dans le cas d’une cassation, l’affaire serait renvoyée devant une autre juridiction.Si l’arrêt de la cour d’appel n’est pas cassé, il y aurait alors jurisprudence en matière de copie privée ?


Il faudra regarder attentivement la décision de cassation. Il est trop tôt pour dire si cela créera une jurisprudence. Une chose est sûre : entre
le jugement de Pontoise et l’arrêt de Montpellier, nous avons deux approches du droit d’auteur et du droit à la copie privée. C’est un peu fâcheux. Mais il est vrai que Montpellier
ne va pas jusqu’au bout de son raisonnement et ne dit pas : ‘ Quand la copie est illicite, il n’y a pas de droit à une copie privée. ‘


Il serait très intéressant qu’il y ait une unification de la jurisprudence. Car il est vrai que la loi n’est pas si claire que ça. Elle dit que, quand l’?”uvre est divulguée, la copie privée est possible. Mais elle ne dit pas
qu’elle est interdite si l’origine est illicite. Je pense qu’il faut faire appel à des notions de droit pénal plus générales, rappelant que tout le monde est, au final, complice de la contrefaçon.Concernant l’exception de copie privée, on entend tout et son contraire. Par exemple, on me prête un DVD, ai-je le droit de le copier pour mon usage personnel ?


Le problème, c’est qu’en principe, on ne doit pas vous le prêter, ce DVD. Il y a quelque chose qui est courant mais illicite, ce sont les échanges de vidéo ou de DVD dans le cadre des comités d’entreprise. C’est évidemment un point où il y
a tolérance et absence de sanctions. Mais la loi est stricte. Dès lors que l’on sort du cercle de famille, on sort des exceptions autorisées en matière de droit d’auteur.Autre exemple, souvent cité. Ai-je le droit, pour le regarder à mon domicile uniquement, de copier un film loué à la vidéothèque du coin ?


Non, car il y a un droit de destination aussi qui s’attache aux ?”uvres. La location d’un DVD alloue un droit temporaire. Il y autre chose qui doit aussi intervenir dans la réflexion : ce sont les systèmes de protection des
 ?”uvres numériques. Quasi tous les DVD de location en possèdent. La directive européenne, qui n’est pas encore transposée en droit français, interdit de contourner les systèmes anticopie. Il y a déjà une suprématie du droit d’un auteur
d’empêcher la copie de son ?”uvre, sur la tolérance en matière de copie privée. La directive le renforce.


Le droit pénal devra contenir des dispositions à l’encontre de ceux qui ont contourné le dispositif anticopie, voire ceux qui auront supprimé les mesures d’information sur ces systèmes. Le droit à la copie privée, de manière purement
technique, peut être supprimé par les auteurs.Et le consommateur de se retrouver éventuellement alors avec des ?”uvres achetées légalement qu’il ne peut pas copier pour un usage personnel complètement légal…


Une autre jurisprudence existe dans ce cas là,
à la suite de la condamnation d’EMI. Cette société n’avait pas prévenu les consommateurs que les CD en question n’étaient pas copiables pour des lecteurs de voitures. Il appartient
aux sociétés de production de dire qu’il y a des systèmes anticopie. Sinon, le consommateur a raison de se plaindre car on l’a trompé.


Mais si l’information est transparente, alors non seulement ces systèmes sont légaux, mais le fait de les altérer ou de les neutraliser devient une infraction pénale.

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Propos recueillis par Guillaume Deleurence