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Maurice Kawham (Apax Partners): “Les reports d’IPO nous forcent à financer nos start-up plus longtemps”

Directeur de participations chez Apax Partners France, Maurice Kawham analyse l’impact du e-krach de mars dernier sur le comportement des capitaux-risqueurs. Il révèle, selon lui, ce que seront les marchés de croissance pour les start-up.


Selon un sondage réalisé par la Sofres pour First Tuesday Paris et le quotidien Libération du 3 octobre, les patrons de start-up ont de plus en plus de mal à trouver de l’argent. N’est-ce pas paradoxal vu la vigueur du capital-risque en France ?
On assiste actuellement à une véritable lame de fond d’investissements en Europe. Mais la politique d’investissement des capitaux risqueurs est plus prudente qu’auparavant. On redécouvre les vertus d’anciens critères de sélection… comme la profitabilité.En clair, lors de l’étude des business plan, les investisseurs sont plus attentifs aux délais de rentabilité. Ils veulent connaître plus précisément l’étendue de la période de perte d’argent et choisissent les projets susceptibles d’être rentables le plus rapidement. Les start-up aux modèles économiques trop imprécis se retrouvent donc forcément sur la touche…
Vous parlez de politique d’investissements prudente. Pourtant, les sommes levées par les start-up pour leurs premiers tours sont de plus en plus importantes.
Nous privilégions les projets les plus ambitieux et disposant des meilleures compétences humaines. Par projets ambitieux, je veux parler des start-up qui se positionnent sur des marchés globaux comme l’Europe. Il n’est plus possible de raisonner à l’échelle de la France dans la nouvelle économie. Nous sommes prêts à soutenir de tels projets et à y investir de fortes sommes d’argent.Prenons l’exemple de Kelkoo, cette start-up avait besoin de beaucoup d’argent, car il lui fallait immédiatement racheter ses concurrents européens pour pouvoir s’imposer. Ceci explique l’importance de sa première levée de fonds.Notre nouvelle économie est à deux vitesses : les ” petits ” projets sont lâchés et n’attirent pas les investisseurs, tandis que les ” gros ” tirent vers eux l’essentiel des capitaux. Maintenant, les capitaux-risqueurs préfèrent investir dans un projet à 50 millions de dollars plutôt que dans cinq projets à 10 millions de dollars. La période d’observation est terminée, les capitaux risqueurs savent ce qui va marcher sur l’Internet et préfèrent se concentrer sur les projets auxquels ils croient plutôt que d’éparpiller leurs capitaux.
Plusieurs introductions en Bourse ont été reportées à cause de l’instabilité du marché. Ces reports sont synonymes de retards de profits pour les capitaux risqueurs. Ne risquez-vous pas de voir vos rendements s’éroder ?
La Bourse est certes un levier supplémentaire, mais nous n’avons pas vocation à nous dégager d’une société dès son entrée sur le Nouveau Marché. On ne vend pas notre participation à ce stade-là.Concernant les difficultés de la Bourse et le e-krach de mars dernier, je crois que c’est une très bonne chose. Nous sommes dans une période de rééquilibrage qui compense la cassure artificielle qui s’était établie entre le monde économique réel et le monde virtuel. Aujourd’hui, les sociétés rentrent plus tard sur le marché, nous devons leur fournir de l’argent plus longtemps, mais elles sont plus saines. Je trouve cette situation bien meilleure et plus satisfaisante pour mon métier de capital-risqueur.Les investisseurs semblent sensibles aux phénomènes de modes : autrefois, ils appréciaient le B-to-C, puis le B-to-B, etc. Quelles sont les tendances automne-hiver chez Apax Partners France pour l’année 2000 ?
Nous sommes très attentifs aux start-up proposant des infrastructures et des contenus dans l’Internet mobile. Toutes les grandes applications qui gouverneront l’univers des téléphones portables nous intéressent. C’est la raison pour laquelle nous avons investi au mois de janvier 7,7 millions d’euros dans Webraska, un service de localisation par téléphone portable.Dans le domaine du logiciel, je pense qu’il y a de la place pour de nouveaux modèles de distribution. L’ASP en est un, et nous avons d’ailleurs investi dans Virtual Computer, une société spécialisée dans ce secteur. Je crois qu’il y a aussi des synergies à trouver entre éditeurs de logiciels et éditeurs de contenus. Nous devrions trouver bientôt de nouveaux acteurs qui fédéreront les contenus du Net : les opérateurs, par exemple, peuvent se permettre de donner du contenu si celui-ci passe par ses tuyaux. Internet va certainement changer les modèles informatiques.Nous investissons aussi dans les services Internet. Nous sommes habitués à voir des sociétés proposant des services technologiques pour Internet. Mais pourquoi ne pas imaginer des sociétés de services Internet s’intéressant à d’autres domaines : publicité, éducation, médias, etc. La réussite des web agency nous montre qu’il y a de la place pour de nouveaux acteurs sur le Net. Je suis certain que les métiers du e-service sont appelés à se développer.Dans le secteur des médias, on devrait assister à une convergence de plus en plus forte entre les différents supports. Internet va devenir un canal de diffusion comme un autre pour les médias. L’arrivée des accès haut débit devrait ainsi faciliter le développement de la télévision numérique sur Internet.Enfin, nous sommes très présents dans le commerce électronique B-to-C. Nous avons réalisé des investissements dans RueDuCommerce.com, site de vente de produits high-tech, Travelprice, une agence de voyage en ligne, et Procar, un site de vente de véhicules d’occasion. On observe actuellement une contre performance du B-to-C sur les marchés boursiers. Je suis cependant confiant sur les perspectives de développement de ce secteur. Dans les deux à cinq ans, nous assisterons à un retour en force du B-to-C : quand on regarde la vitalité des sites de voyages en ligne, de finances, d’enchères, etc. Toutes ces start-up ont réussi à créer de nouveaux marchés et à fidéliser leurs clients. Leur travail finira par payer.
Parmi les start-up que vous financez, quelles sont celles dont le parcours vous rend fier ?
Spontanément, je pense à trois d’entre elles : iMediation, Webraska et Tavelprice.
Imediation, car en deux ans, cette start-up a connu une croissance phénoménale : elle emploie désormais plus de 150 personnes, a une présence aux Etats-Unis, réalise un chiffre d’affaires de plusieurs millions de dollars par trimestre, etc.Webraska parce que c’est une très belle technologie, prête à être commercialisée dès maintenant. Enfin, Travelprice parce que c’est un bel exemple de réussite d’un site B-to-C : le chiffre d’affaires de cette société dépasse les 2 millions de francs par jour et prouve ainsi que la vente de voyages est parfaitement adaptée au Net.Finalement, incubateurs et capitaux-risqueurs : même combat ?Non, nos métiers sont très différents. Nous travaillons à des stades de développement différents des entreprises. Les incubateurs parient sur des idées et des hommes, ils effectuent des investissements beaucoup plus modestes que les nôtres et aident à la création de l’entreprise.Pour nous, le critère principal est la maturité du projet et nous sommes là pour donner aux entreprises la possibilité de se développer, de croître. Les montants de nos investissements sont beaucoup plus importants, car ils vont permettre aux start-up de racheter des concurrents, simplanter dans de nouveaux pays, etc. En fait, nous sommes plutôt complémentaires.

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Antonin Billet