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Mathieu Weill (Afnic) : «Nous restons préoccupés par les dysfonctionnements de l’Icann»

A quelques mois de la réforme de l’Icann qui l’éloignera de la tutelle du gouvernement américain, le directeur général de l’Afnic a répondu aux questions de 01net.

Pour Mathieu Weill, directeur général de l’Afnic (Association française pour le nommage Internet en coopération), la réforme de l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), qui doit avoir lieu en 2015, permettra de résoudre des dysfonctionnements comme ceux qui ont créés l’affaire sur le « .vin ». Ce changement de statut, réclamée d’un bout à l’autre de la planète permettra d’améliorer la confiance du secteur.

Dans quelques mois, l’Icann devrait avoir changé de statut. Qu’est-ce que l’Afnic a à gagner dans cette nouvelle organisation ?

Mathieu Weill – Nous n’avons rien à y gagner directement. C’est-à-dire que notre intérêt d’acteur de ce marché des noms de domaines serait plutôt un statu quo. Ça évite les distorsions. Mais, la situation actuelle, avec une Icann dominée par les Américains, très contestée mondialement, car elle n’inspire vraiment pas confiance, rejaillit sur le secteur en général et sur nous en particulier. Nous voulons rehausser la confiance, car les acteurs des noms de domaine agissent dans l’intérêt général. C’est ce que nous essayons de faire en France..

 

L’image de l’Afnic a-t-elle été écornée par les polémiques autour de l’Icann et du gouvernement américain ?

M.W. – Pas du tout. Mais nous restons préoccupés non seulement par les polémiques, mais surtout par les dysfonctionnements qui pénalisent les structures qui gravitent autour de l’Icann. Je pense par exemple au « .vin » qui est symptomatique de ces dysfonctionnements.

 

Mais sur ce point, l’Icann rétorque que ce sont les professionnels français qui n’ont pas joué leur rôle.

M.W. – La responsabilité est partagée. Mais je pense qu’au fond, c’est un problème de dysfonctionnement que l’Icann ne peut reconnaître publiquement. Les règles fixées au départ sont insuffisantes et ne protègent pas assez certains droits comme les indications géographiques protégées.

Certes, ces règles ont été adoptées et soumises à commentaires, mais ce n’est pas pour cela qu’elles sont bonnes. Il faut donc dépasser ces dysfonctionnements et se concentrer sur ce qui est structurel. La réforme de l’Icann doit apporter des solutions.

Il ne s’agit pas de résoudre le problème du .vin ou .wine, mais d’éviter que ces problèmes ne se reproduisent. Il faut améliorer le système de prise de décisions pour intéresser les personnes qui ne sont pas rompues à ces problématiques.

Pour les professionnels du vin, ces questions sont techniques, elles demandent du temps et de l’énergie pour s’impliquer dans ces décisions. C’est facile a postériori de dire « y’avait qu’à… ».

 

La réforme doit avoir lieu dès l’an prochain. Pensez-vous que des problèmes pourraient faire reculer cette échéance ?

M.W. – Pas du tout. Le calendrier est ultra tendu. Le fait d’avoir posé cette échéance a provoqué un sentiment d’urgence qui a libéré la parole. D’un seul coup, de nombreux sujets tabous sont apparus publiquement.

Par exemple, le fait qu’on puisse évoquer la création d’une organisation chargée de superviser tout ou partie des fonctions de gestion de la racine à la place du gouvernement américain. Avant, ce débat aurait été purement impossible. Personne n’aurait osé l’évoquer.

Aujourd’hui, la parole est ouverte. Ma boite mail est inondée de centaines de suggestions ou d’analyse. Toutes ne sont pas crédibles, mais tout le monde y va. Je suis vraiment surpris de cet engagement sur des sujets pointus.

Il y a des jeux d’acteurs qui vont se faire. Nous sommes encore dans la phase de créativité. Ça va se tendre quand nous commencerons à étudier les solutions les plus envisageables.

En tous les cas, la boite de Pandore est ouverte et on ne la refermera pas. Parce que, même si on ratait cette date, les idées soumises resteront et continueront d’avancer.

 

Si le sujet de la gouvernance d’Internet avance, qu’en sera-t-il de celle de l’Icann ? Le risque n’est-il pas de prendre les mêmes en s’installant à Zurich ?

M.W. – Il y a actuellement deux grands axes de travail. L’un sur la gestion de la racine, qui repose sur un contrat de supervision avec le gouvernement américain qui a annoncé son intention de rompre. Qui va remplacer l’administration américaine ? C’est une réflexion.

Le deuxième axe est directement lié au premier. Si le gouvernement américain n’a plus ce contrat, il n’aura de fait plus son droit de véto sur l’ensemble du reste de l’Icann. Il faut travailler sur l’équilibre des pouvoirs et des responsabilités à mettre en place. Les Américains mettent cela sous le terme « accountability ». En français, il signifie redevabilité. Il faudrait trouver un terme français plus expressif.

 

Comment l’Afnic se prépare à cette réforme ?

M.W. – Nous sommes concernés par la partie gestion de la racine avec le « .fr ». Nous sommes aussi partenaires de 17 projets de nouvelles extensions comme le « .Paris » ou le « .bzh ». Sur ces dossiers, l’Icann est notre régulateur.

Nous sommes aussi directement concernés par les décisions prises par l’Icann en termes de régulation du secteur. Elle prend des décisions sur les prix du « .com » ou sur ceux qui revendent les noms de domaine.

Pour se préparer, nous avons lancé des discussions avec la communauté française lors de nos comités de concertation qui rassemblent une centaine de membres de l’Afnic. Nous avons échangé avec les acteurs français qui sont concernés par ces sujets, comme les différentes administrations. Nous avons aussi été auditionnés par la sénatrice Morin-Dessailly pour son rapport numérique.

Nous cherchons aussi à réformer l’Icann de l’intérieur. C’est pour cela que je m’implique personnellement sur ce groupe de réforme rassemblant des spécialistes et bientôt des membres de gouvernement.

 

Concernant les nouvelles extensions qui arrivent en France, quelle est la tendance ?

M.W. – En ce moment, la grosse actualité concerne le .paris et le .bzh. Ce sont les deux premiers projets français géographiques et culturels.

Ils comptent déjà une centaine d’ambassadeurs qui disposent d’un nom de domaine actif (comme delsey.paris ou produitenbretagne.bzh) et aujourd’hui les titulaires de droits ou de marques bénéficient d’une phase d’enregistrement prioritaire.

Le .bzh repose par exemple sur une vraie aspiration d’une culture régionale à s’ouvrir au monde. Il s’agit, pour les Bretons de clamer leur appartenance à une communauté qu’ils soient en Bretagne ou ailleurs.

On sent l’attrait immédiat des Bretons pour cette extension. Lorsque le contrat a été signé avec l’Icann, le conseil régional a organisé une réception à Rennes. Lors du déjeuner, la patronne du restaurant avait découvert ce lancement dans Ouest-France. Sa première question a été de savoir quand et comment elle pourrait l’obtenir.

Le but de ces projets est de rapprocher les gens. Nous lancerons ensuite les points Alsace ou Corsica. Les extensions géographiques restent celles qui marchent le mieux comme nous l’avons vu avec Berlin ou NYC. En tous les cas, mieux que les points « gourou » ou « xyz ». Ce dernier fonctionne surtout parce qu’il est gratuit, mais nous ne connaissons toujours pas son modèle économique.

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Propos recueillis par Pascal Samama