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Main basse sur les télécoms

Pour survivre à la crise, opérateurs et équipementiers vendent leurs actifs les plus rentables. Les fonds d’investissement raflent la mise.

Priorité au désendettement. Pour les France Telecom, Qwest, British Telecom, Alcatel, Ericsson et autres stars de l’industrie des télécoms, la voie est toute tracée. Pour rembourser leurs immenses dettes, ces opérateurs et équipementiers doivent céder une partie de leurs actifs au plus vite dans l’espoir de récupérer un peu de trésorerie. Une aubaine pour les fonds d’investissement, seuls acquéreurs potentiels.Les Apax, Carlyle, KKR, disposent en effet de réserves financières se chiffrant en centaines de millions d’euros. “Les fonds de LBO [Leverage Buy-Out, rachat avec effet de levier, ndlr] sont à la recherche d’actifs rentables et non endettés sur lesquels ils peuvent avoir un effet de levier”, confie Eddie Misrahi, general partner d’Apax en charge des télécoms.En clair, les fonds d’investissement sont prêts à mettre la main au portefeuille. Mais pas pour n’importe quoi : ils veulent les bijoux de famille, les seuls actifs rentables, des acteurs des télécoms.Pour se désendetter, les entreprises vendent leurs filiales les plus profitables, se retrouvant prises dans un cercle vicieux apparu en 2001. À cette date, British Telecom avait cédé Yell, sa filiale d’annuaires, numéro 1 en Grande-Bretagne et aux États-Unis pour 3 milliards de dollars (3,04 milliards d’euros) à Apax. Soit seulement deux fois son chiffre d’affaires.

Annuaires, TDF, Bell Labs

L’opération préfigurait la vente, en août 2002, par l’Américain Qwest, endetté à hauteur de 26,5 milliards de dollars, de ses propres annuaires aux fonds Carlyle et Welsh, Carson, Anderson & Stowe (WCAS). Pour 7 milliards de dollars, ces fonds ont mis la main sur Qwest Dex, qui publie chaque année 45 millions d’annuaires, alors que les analystes estimaient la valeur de la filiale de 8 à 10 milliards de dollars il y a quelques semaines, et le double il y a plus d’un an.Dans la même situation, France Telecom a vendu TDF, filiale de radiodiffusion, à un groupe d’actionnaires comprenant la Caisse des dépôts et consignations, intérêt industriel de la France oblige.Les équipementiers ne sont pas en reste : Lucent a dû se séparer de ses mythiques Bell Labs, ses centres de R & D, pour une centaine de millions de dollars auprès du Britannique Coller Capital. Siemens vient d’achever la vente de ses activités d’intégration de réseaux, Arche Communications, à Kohlberg Kravis Roberts & Co (KKR). “Ils se tirent une balle dans le pied en vendant leurs divisions rentables”, commente un analyste.Ces opérations ne sont pas près de s’arrêter, note Eddie Misrahi : “La puissance des fonds d’investissement permet des opérations plus corsées, autour de 4 ou 5 milliards d’euros. Il va y en avoir d’autres dans les mois à venir. Les secteurs visés seront les participations in-ternationales des opérateurs historiques, les divisions éloignées de leur c?”ur de métier, comme les opérateurs satellites. Et je crois aussi à la montée en puissance de l’outsourcing. Certains opérateurs pourraient vendre leur réseau pour dégager du cash, quitte à le relouer par la suite.”Toutes les opérations ne se ressemblent pas. Quand Ericsson a vendu sa filiale de distribution pour 480 millions de dollars, c’est Apax qui a emporté la mise en dehors de toute synergie avec le reste de son portefeuille.” Ce qui a intéressé Apax, note Stéphane Grasset, directeur France de Damovo, la société née de ce rachat, c’était de transformer une entreprise spécialisée dans la distribution en un leader mondial du service. Sur la distribution, les multiples tournent autour de 6 à 10 fois l’Ebitda [excédent brut d’exploitation, ndlr]. Sur les services, ils atteignent les vingt fois et c’est là que l’investisseur peut réaliser sa plus-value. “Dans d’autres cas, des synergies sont créées. C’est ce qu’a fait Platinum Equity en reprenant les activités européennes de distribution d’Alcatel pour 1,5 milliard d’euros. Le fonds possédait une structure équivalente aux États-Unis, Nextira One, et ancienne division de l’équipementier français sera rebaptisée Nextira One Europe fin septembre.Enfin, on voit aussi des tentatives de sauvetage. Ainsi le fonds d’investissement néerlandais Trimoteur s’était porté acquéreur de KPNQwest ou encore le Britannique Star Capital Partners s’était associé à Tele 2 pour reprendre l’opérateur mobile italien Blu. Ces deux opérations ont échoué mais d’autres ont réussi.

Sauvés ou liquidés

Comme la reprise de Completel, par Meritage Private Equity et De George Telecom Holdings, deux fonds qui ont apporté 30 millions d’euros. “Notre stratégie était claire, nos clients et notre marché identifiés, indique Alexandre Westphalen, directeur financier de l’opérateur. Les fonds ont donc suivi, mais lorsque ces conditions ne sont pas réunies, ils liquident les actifs. “Car les gestionnaires de portefeuilles doivent réaliser 30 % de TRI (taux de retour sur investissement) en deux ou trois ans. Des contraintes financières fortes, qui font dire à Jens Alder, directeur général de Swisscom, “que l’on peut imaginer que des opérateurs historiques préféreraient vendre certaines de leurs activités à un opérateur télécoms plutôt qu’à un fonds d’investissement.” 

Les fonds s’emballent pour les belles occasions
















































































































































 Principales reprises d’actifs télécoms par des fonds d’investissement 
 Date     Cible     Activité     Acquéreur     Montant 
 Mai 2001     Yell (British Telecom)     Annuaires     Apax et Hicks, Muse, Tate & Furst     3 milliards d’euros 
 
 Septembre 2001     Damovo (Ericsson distribution)     Distribution de matériel télécoms     Apax     480 millions de dollars 
 
 Janvier 2002     Bell Labs (Lucent)     Recherche et développement     Coller Capital     Env. 100 millions d’euros 
 
 Avril 2002     Nextira One Europe (Alcatel Enterprise Distribution Europe)     Distribution et services réseaux     Platinum Equity     1,5 milliard d’euros 
 
 Mai 2002     Completel     Opérateur données et voix     Meritage Private Equity et De George Telecom Holdings     30 millions d’euros et reprise de la dette 
 
 Juillet 2002     Level3     Opérateur données     Berkshire Hathaway, Longleaf Partners Fund et Legg Mason     500 millions de dollars en reprise d’obligations 
 
 Juillet 2002     TDF (France Telecom)     Radiodiffusion     CDC Ixis Equity Capital, Charterhouse Capital Development et CDC     1,9 milliard d’euros 
 
 Août 2002     Arche Communications     Intégration réseau     Kohlberg Kravis Roberts & Co (KKR)     NC 
 
 Août 2002     Qwest Dex (Qwest)     Annuaires     Carlyle Group et Welsh, Carson, Anderson & Stowe     7 milliards de dollars 
 
Le nombre d’opérations de LBO (rachat avec effet de levier) dans les télécoms a fortement augmenté cette année. La dernière en date, le rachat des annuaires de l’américain Qwest, le 20 août 2002, est la plus importante de ce type, tous secteurs confondus, depuis la fin des années 1980 et la reprise de RJR Nabisco (agroalimentaire et tabac) pour quelque 25 milliards de dollars.

Source : Le Nouvel Hebdo

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Alain Steinmann