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Loppsi 2 : la France entre dans l’ère du filtrage administratif du Web

Le Conseil constitutionnel a censuré treize articles de la loi Loppsi 2. Mais n’a pas touché au quatrième, qui permettra aux services de l’Etat de bloquer des sites considérés comme pédopornographiques sans passer par l’autorité judiciaire.

C’est une vraie gifle que le Conseil constitutionnel a donnée hier, 10 mars, au gouvernement, en censurant pas moins de treize dispositions de la très controversée Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite Loppsi 2, adoptée par le Parlement début février.

Les neuf Sages, saisis par l’opposition parlementaire mi-février, ont retoqué nombre de points de ce fourre-tout législatif, ainsi que le qualifient ses opposants : les peines planchers pour les mineurs, la possibilité pour un préfet de procéder à l’évacuation forcée d’un terrain occupé illégalement sans demander l’avis de son propriétaire, ou encore l’autorisation accordée à des personnes de droit privé d’exploiter des images de vidéosurveillance de la voie publique.

Ces dispositions ne pourront donc pas être promulguées en l’état, puisque jugées non conformes à la Constitution française. Mais ce ne sera pas le cas d’autres articles de la Loppsi 2, qui ont, eux, bel et bien été validés par l’institution. Il en va ainsi du polémique article 4, qui institue le filtrage de sites Internet sans l’aval de l’autorité judiciaire, une première.

L’OCLCTIC décidera des sites à bloquer

Cet article permet en effet à une autorité administrative (l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication, ou OCLCTIC) d’imposer aux fournisseurs d’accès à Internet le blocage de l’accès à un site, et ce sans passer par un juge « lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations [pornographiques, NDLR] de mineurs relevant de l’article 227-23 du Code pénal le justifient ».

« L’article 4 permet à l’autorité administrative d’interdire l’accès aux services de communication au public en ligne diffusant des images pédopornographiques. Cette décision qui tend à la protection des internautes peut être contestée à tout moment devant le juge compétent, y compris en référé. L’article 4 assure entre la sauvegarde de l’ordre public et la liberté de communication une conciliation qui n’est pas disproportionnée », explique le Conseil dans un communiqué de presse.

« Une grande déception » pour la Quadrature du Net

La Quadrature du Net, qui avait fait parvenir aux Sages un mémoire sur le sujet, manifeste son amertume dans un communiqué. « Cette décision sur l’article 4 est une grande déception. Il est évident que la censure d’Internet ne résoudra rien à la pédopornographie, comme en témoignent les expériences menées à l’étranger. Après les mesures de suspension de l’accès à Internet de la loi Hadopi, les appels à l’interdiction de l’hébergement de WikiLeaks et les discours contraires à la neutralité du Net, la France glisse un peu plus dans le camp des pays hostiles à l’Internet libre en instaurant la censure administrative du Net », écrit Jérémie Zimmermann, porte-parole de l’organisation.

Pour celle-ci, « l’espoir réside désormais dans les instances européennes, seules à même d’interdire ou, à défaut, d’encadrer la censure administrative du Net et ses risques de dangereuses dérives ». De leur côté, la CFE-CGC et l’Unsa Télécoms estiment que, « inefficace contre la cyber-criminalité, la Loppsi 2 est d’une toxicité avérée contre la démocratie et le libre fonctionnement d’Internet, tout en créant de dangereux précédents vers une société de surveillance des citoyens ».

A noter que le Conseil constitutionnel a, en matière de nouvelles technologies, censuré une disposition visant la revente de billets en ligne. « L’article 53 interdisait la revente, pour en tirer un bénéfice, grâce à Internet, de billets d’entrée à une manifestation, qu’elle soit culturelle, sportive ou commerciale, sans accord préalable des organisateurs. Cette mesure était fondée sur un critère manifestement inapproprié à l’objectif poursuivi d’éviter la présence de certains supporters lors de compétitions sportives. Dès lors elle méconnaissait le principe de nécessité des délits et des peines », explique le Conseil.

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Guillaume Deleurence