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L’internet médical en pleine déroute

Alors que les professionnels expriment leur malaise, la santé en ligne fait les frais d’une piètre conjoncture. Mais tous les modèles n’ont pas encore été explorés.

” Darwinique, moribond, Berezina ! ” Les expressions décrivant l’univers de l’e-santé sont particulièrement fleuries… Alors que les praticiens, notamment généralistes, expriment vivement la morosité de leur secteur, l’internet médical vit une réelle hécatombe. Deux tiers des 130 millions d’euros (853 millions de francs) investis dans le secteur en France ces deux dernières années sont partis en fumée en même temps que se dégonflait la bulle internet.

Un rendez-vous manqué

Premières victimes, les sites d’information médicale pour le grand public. L’estocade finale a été portée il y a quelques jours, lors de l’annonce du dépôt de bilan de Medisite, un web pourtant bien placé dans le paysage français. D’autres ont changé de modèle d’affaires, tel C-Votresanté, le site de Michèle Barzach, ministre de la Santé et de la Famille entre 1986 et 1988, dans lequel 13,5 millions d’euros ont été investis lors du premier tour de table. Désormais, l’équipe ne vise plus le grand public. Sa cible privilégiée : les entreprises, qui achètent ses services pour les offrir à leurs salariés. Même le portail de référence Doctissimo.fr a dû se rapprocher de Medcost, spécialisé dans les prestations web pour l’ensemble des acteurs de la santé.” Je ne pense pas qu’il reste de la place pour les sites indépendants dans cet univers “, estime Alain Trebucq, directeur de la rédaction d’Egora.fr. Ce site, destiné aux professionnels du secteur, est adossé à France Telecom Santé, une division qui intègre, entre autres Axilog (fournisseur de logiciels de santé) et Wanadoo Santé (en charge d’un réseau sécurisé spécialisé). Les seuls sites web qui semblent tirer leur épingle du jeu sont ceux qui émanent des journaux spécialisés, ces derniers restant la source principale d’information du monde médical.Reste que les praticiens ne font pas preuve d’une curiosité débordante pour ce nouveau média. ” Si je ne recevais que quinze à vingt patients par jour, peut-être que je chercherais davantage à savoir ce qu’on peut trouver sur internet, mais là c’est irréaliste “, témoigne un généraliste breton, qui se déclare également méfiant vis-à-vis de la multitude d’informations présentes sur la toile. Le résultat de ce désintérêt : Experts MD, créé l’an dernier pour relier les médecins entre eux, est introuvable et le moteur de recherche dédié Medikeo serait en difficulté.Le problème de ces sociétés est identique à celui de n’importe quel site : après avoir démarré sur le principe du gratuit, elles n’arrivent pas à passer au payant. Un écueil que la communauté des dot-com connaît bien. ” Le marché de l’internet médical a été largement surestimé et il reste beaucoup trop d’acteurs “, juge Laurent Alexandre, PDG de Medcost. Qui trouve que ” l’euthanasie ” des acteurs en place prend du temps. ” Parfois, on frôle même l’acharnement thérapeutique “, ironise ce chirurgien urologue.

Indétrônable Vidal

Même morosité ambiante pour les spécialistes du logiciel de santé. Le regroupement amorcé continue sans que, dans l’ensemble, les acteurs n’arrivent à la taille critique qui leur permettrait de proposer des produits réellement efficaces. Réticents à payer la maintenance et à utiliser des produits jugés un peu trop ” usines à gaz “, les médecins ne prennent pas la peine de déballer les logiciels censés les aider à remplir le dossier du patient ou à gérer le choix des médicaments. Le bon vieux Vidal risque de ne pas être détrôné avant longtemps.Quant à proposer des médicaments sur internet, c’est encore plus compliqué. La vente aux particuliers est strictement interdite. Le maillage des pharmacies sur le territoire a également garanti l’échec des sites de ventes de produits parapharmaceutiques, comme Vitago.fr, disparu l’année dernière. Reste un espoir pour certains acteurs : récupérer une partie des 15 milliards d’euros d’achats, réalisés chaque année en France par les officines, dont les 40 % en vente directe, qui échappent aux grossistes. “ Internet, dans ces conditions, peut rendre un réel service au pharmacien “, commente Jérôme Stevens, l’un des fondateurs de Direct Medica. La société revendique 4 000 clients ainsi que des partenariats avec les principaux laboratoires pharmaceutiques. Un succès d’estime qui ne cache pas les difficultés de concurrents comme Celtipharm.

Des relais de croissance

Contrairement à la première impression, l’entrée sur le web n’est pas si évidente dans l’univers de la santé, explique Alain Trebucq. Beaucoup d’acteurs s’y sont cassé les dents. ” Il en va ainsi des appels d’offres pour la mise en place de réseaux de soins. Destinés à relier les professionnels autour d’une spécialisation, ils sont l’objet d’une concurrence très active entre Uni-Médecine d’une part, des SSII, des opérateurs de télécommunications ou encore des agences web de l’autre. Tous sont en théorie capables de créer des logiciels répondant à ces appels d’offres. ” Mais si on les suivait à la lettre on finirait tous en prison “, prévient Jean-Yves Robin, fondateur d’Uni-Médecine, faisant allusion en cela à la réglementation particulièrement complexe du secteur de la santé.Comité d’éthique, Cnil (Commission nationale informatique et libertés)… les acteurs ont intérêt à avoir une réelle expertise du secteur. Uni-Médecine a ainsi déployé une trentaine de projets de réseaux de soins spécialisés en France et dans les DOM-TOM. L’avantage : le financement est assuré par les Caisses primaires d’assurance maladie, le conseil régional concerné et, parfois, les groupes pharmaceutiques. Car, selon Luc Jeannin, à la tête de l’éditeur de progiciels de santé ID9, ” les soins vont s’orienter autour d’une pathologie, pas d’un malade “. Les thèmes ne manquent pas : le diabète, les urgences, la toxicomanie… Avec, au centre du dispositif, le médecin généraliste, réel pivot du secteur.Certes, l’informatique n’est pas au premier rang des préoccupations des professionnels de la santé en ces temps de rébellion corporatiste, mais peut-être est-ce un tort. ” La raison d’être fondamentale des protestations actuelles est la maîtrise des dépenses de santé “, rappelle Jean-Yves Robin. Pourtant, pour ce médecin, l’usage de l’informatique et d’internet peut avoir “ une réelle valeur thérapeutique” en permettant de soigner plus efficacement les patients. Et donc de mieux dépenser.

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Agathe Remoué