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L’internet gratuit, c’est fini?

Logiciels, musique, informations… Les contenus gratuits pullulent sur le web. Le phénomène va-t-il continuer ? Ou les gros acteurs vont-ils se résoudre à faire payer l’accès et la consultation, comme l’a tenté Bertelsmann en signant un accord avec Napster ? Six personnalités des médias en ligne répondent.

La fin de la récré ? Le mois dernier, les fans de musique ont été estomaqués. Ils avaient pris l’habitude de télécharger gratuitement, via le site de Napster notamment, toutes leurs chansons favorites. Et voilà que le géant mondial des médias, Bertelsmann, décide de prêter 50 millions de dollars à la start-up américaine pour qu’elle arrête de livrer gratuitement de la musique et développe un système d’abonnement sécurisé ! En échange, Bertelsmann accepte que Napster diffuse son catalogue de musique.L’accord entre la major allemande et la start-up devenue, ces derniers mois, l’emblème mondial de l’internet gratuit marque-t-il la fin d’une époque ? Le phénomène du tout gratuit sur l’internet touche-t-il à sa fin ? Les acteurs que nous avons interrogés sont loin d’en être convaincus.

La gratuité est-elle une donnée fondamentale du Net ?

Laurent Naintré (fournisseur de logiciels gratuits téléchargeables): Bien sûr ! Il règne et régnera toujours sur le Net un irréductible esprit de gratuité. N’importe qui peut surfer sur la Toile sans débourser autre chose que le prix des communications. D’ailleurs, je suis sûr que la gratuité va encore se développer dans les années à venir, car le prix des communications ne cessera de baisser, voire disparaîtra.Patrice Amen (PDG des Editions Milan): À tort ou à raison, l’esprit de gratuité prédomine chez la majorité des producteurs de contenus en ligne. Leur objectif est d’obtenir une visibilité maximale sur le réseau, même si l’information qu’ils délivrent coûte cher à produire.
La plupart d’entre eux, comme Libération, Le Monde ou L’Express, comptent sur l’appui financier de structures déjà rentables dans l’économie réelle pour tenir le coup. Reste à savoir si cette stratégie, qui revient à faire sous-payer à l’internaute l’accès à l’information, est tenable longtemps…Corinne Denis (rédactrice en chef on-line du site web de L’Express): Il faut faire la distinction entre les sites d’information destinés aux entreprises et ceux qui s’adressent au grand public. Les premiers peuvent raisonnablement songer à facturer leurs prestations, les seconds sont condamnés à la gratuité : l’information généraliste sur le Net est tellement proliférante qu’elle a perdu l’essentiel de sa valeur aux yeux des internautes. Toutes les études montrent que ces derniers considèrent la gratuité comme une donnée naturelle du Net…

Le ” tout gratuit ” est-il alors irréversible ?

Stéphane Treppoz (PDG d’AOL France): Tout dépend de ce que l’on place sous le terme de gratuité. Je pense notamment que les formules “gratuit de chez gratuit” proposées par les fournisseurs d’accès pour s’attirer un maximum d’internautes ne tiendront pas longtemps. Tout comme les fournisseurs de contenus, les fournisseurs d’accès à internet ont des frais de structure lourds. La fabrication des infos, la gestion des serveurs… tout cela a un coût. La solution choisie par AOL est de proposer à l’internaute une solution “presque gratuite” mais très avantageuse : un accès illimité pour seulement 199 francs par mois…Cyril Poidatz (PDG de Free [email protected]): Chez Free, nous sommes contre la solution du forfait, qui rompt définitivement avec l’esprit de gratuité inhérent au Net. De plus, nous ne pensons pas que ce “business model” soit rentable : quand l’accès devient illimité, les internautes restent connectés en permanence. Et un forfait de 199 francs ne permet pas à un fournisseur d’accès de couvrir les frais d’accès au réseau qu’il engage. Notre objectif est de proposer un accès gratuit sans abonnement, seules les consommations téléphoniques étant payées.

Mais qui peut gagner de l’argent en misant uniquement sur un service gratuit ?

Patrice Amen : Franchement, les entreprises qui, pour gagner de l’argent, comptent sur les recettes publicitaires, les commissions générées par le trafic et versées par les partenaires marchands ou les ventes de fichiers qualifiés, je n’y crois pas. Ni les sites internet qui proposent des contenus, ni les fournisseurs d’accès ne peuvent réussir avec cette stratégie. En Grande-Bretagne, le pays où la folie du tout gratuit sur le Net est née l’année dernière, certains fournisseurs d’accès font déjà machine arrière, tels que Breathe, LineOne, AltaVista et Virgin Net. En France, le fournisseur Oreka, butant sur d’incontournables problèmes financiers, a dû suspendre son offre record de… dix-huit heures de connexions gratuites !Cyril Poidatz : Je pense au contraire que la rentabilité est parfaitement possible. Le business model de Free repose sur le trafic engendré sur le réseau téléphonique. Contrairement à d’autres, nous ne tablons pas sur des recettes publicitaires ou la revente de fichiers, mais sur les revenus générés via la rétrocession par France Télécom d’une partie du prix des communications téléphoniques. Certes, les reversements sont encore faibles : l’opérateur historique nous donne 0,14 centime la minute de communication. Mais grâce à notre filiale Free Telecom, nous comptons sur notre nouveau rôle d’opérateur pour tirer notre épingle du jeu. D’ici à février 2001, notre réseau de fibres optiques propriétaire couvrira l’ensemble du territoire français : nous pourrons alors lancer une offre haut débit à un prix très concurrentiel.

Yahoo!, gratuit pour l’internaute et jusqu’à présent considéré comme l’une des grandes réussites du web, a plongé en Bourse. La fin du système ?

Philippe Guillanton (directeur général de Yahoo! France): Nous avons construit la plupart de nos services autour du concept de gratuité et je ne vois pas pourquoi nous changerions de système ! Avec près de deux millions de visiteurs par mois, notre annuaire peut vivre sur un modèle économique où la publicité en ligne et la vente de fichiers paient en grande partie le contenu. Par ailleurs, notre popularité nous évite de dépenser des fortunes en marketing pour nous faire connaître des internautes. Je suis certain que les grands portails, les annuaires et les moteurs de recherche fonctionneront toujours à la gratuité. Mais ce ne sera pas le cas des fournisseurs d’accès et des sites délivrant du contenu…Laurent Naintré: Je crois au développement des logiciels gratuits, les freewares. Mon site ( http://perso.wanadoo.fr/laurent.naintre) a pour but de promouvoir ce type de programme. La déferlante nous arrive d’outre-Manche et d’outre-Atlantique depuis deux ou trois ans. De grandes marques proposent maintenant des programmes gratuits (Adobe, Microsoft, etc.). Les internautes sont très demandeurs, et il n’y a rien de plus excitant que de télécharger un logiciel avec une licence gratuite.Patrice Amen: En matière de paiement, ce sont les internautes qui auront le dernier mot ! Sans qu’ils en aient vraiment conscience, ils exercent une forte concurrence sur des segments entiers de l’économie du divertissement. On pense bien sûr à l’industrie du disque, touchée par la déferlante MP3. Mais sait-on que le secteur de l’édition encyclopédique, par exemple, est sérieusement mis à mal par la prolifération des sites et de pages perso d’internautes ravis de mettre gratuitement leurs connaissances à la disposition du plus grand nombre ? Tapez “Égypte” dans votre moteur de recherche : face au déluge de sites et de pages perso gratuites, aurez-vous le même besoin d’en savoir plus en achetant un livre ? Pour contrer ce phénomène, il reste à inventer des sites à très forte valeur ajoutée, mélangeant images, sons et contenus. Et à imaginer comment les rendre payants… de façon indolore.

Et comment fait-on pour faire payer les internautes ?

Stéphane Treppoz: En créant d’énormes portails d’accès gratuit… à des prestations payantes. Il ne fait aucun doute que les portails et les principaux providers joueront à l’avenir un rôle majeur d’aspirateur de contenus et de services plus ou moins gratuits. D’ailleurs un nombre croissant de dotcom, comme l’organisateur d’enchères Mixad, vendent désormais leurs services à de gros portails qui les proposent gratuitement sous ” marque blanche “?” c’est-à-dire sans même que les internautes connaissent leur nom…À l’avenir, les portails prendront la forme des chaînes câblées actuelles. Ils proposeront des “bouquets multimédias” avec une base de services gratuits. L’internaute pourra accéder ensuite, s’il le désire, à des services plus sophistiqués, tels que films, radios, journaux, musique, jeux vidéo, dessins animés, livres électroniques, chaînes de télévision, enchères ou Bourse en ligne, etc., moyennant un petit supplément pour chaque prestation. La généralisation en France de l’accès à l’internet à haut débit et le développement à partir de lannée prochaine du numérique hertzien devraient accélérer le mouvement.

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Jean-François Paillard